jeudi 9 avril 2009

Les empires politiques et les empires religieux

par Yvon Verrier
Hugo, Dumas et Stendhal,
historiens et chroniqueurs de leur époque ?


C'est pourtant par Hugo et Dumas que j'ai appris mes premières pages de l'histoire de la France. Et c'est par Stendhal que j'ai compris bien des choses, même sur notre monde moderne.

(Alexandre Dumas)

Ceux qui n'ont pas l'habitude des écrivains du dix-neuvième siècle peuvent s'étonner d'une pareille déclaration. Quoi ? Notre Dame de Paris, c'est vrai ? Et Les misérables ? Mais des misérables, il y en a encore, il me semble. Et Les trois Mousquetaires ? Et le Comte de Montecristo ? Oui, enfin, je ne dis pas qu'il y eut un véritable d'Artagnan qui se disputait avec les gardes du Cardinal, qui sauva la vie Charles II d'Angleterre, ou qui empêcha qu'on remplace la roi de France par son frère jumeau. Et quant à ce Comte de Montecristo, je n'affirme rien. Mais Dieu qu'il m'a fait rêver. Et c'est quand même grâce à Hugo et Dumas que j'ai eu le goût de la France. Ils ont peut-être inventé quelques jolies histoires. Mais le contexte historique dans lequel ils les ont installées, ça ne ment pas. Relisez Notre Dame de Paris, on pourrait reconstruire la ville en entier, rien qu’avec la description que Hugo en fait. Et pour Dumas, on ne sait pas toujours quand il raconte l'histoire, et quand il l'invente. Mais je gage ma librairie qu'il ne s'écarte pas souvent de la vérité, aussi bien quand il parle des guerres de France que de celles d'Espagne.

Nous oublions souvent que certains héros de notre littérature furent aussi politiciens ou diplomates. Les pères de Hugo, Dumas et Stendhal furent des généraux militaires, parfois même comtes de l'empire. On devait souvent parler d'histoire au dîner. En fait, pour eux, c'était plutôt de l'actualité. Et puis, Lamartine fut ministre, Hugo député, et Stendhal fut nommé consul en Italie.

ça ne parait pas toujours dans leurs livres. Mais un écrivain peut-il totalement ignorer le monde dans lequel il vit ? Un poète ne peut-il s'occuper que des fleurs et des jolis papillons ? Oui, sans doute, si un moment de paix assez long lui en laisse le temps. Et qui songerait à faire des rimes, en temps de guerre ? Plusieurs, en fait. Mais quand les cannons se taisent, même pour une demi-journée, on préfère le chant du picolo à celui du fifre. On préfère les jolies fleurs aux chardons. Mais je m'éloigne encore. Cet après-midi, je cherchais ces vers de Hugo, dans les Châtiments :

Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,


Et je les ai trouvés. C'était dans L'expiation. Je l'avais oublié. Mais en même temps, j'ai retrouvé cette chanson :

Un jour, Dieu sur sa table
Jouait avec le diable
Du genre humain haï.
Chacun tenait sa carte ;
L'un jouait Bonaparte,
Et l'autre Mastai.

Un pauvre abbé bien mince !
Un méchant petit prince,
Polisson hasardeux !
Quel enjeu pitoyable !
Dieu fit tant que le diable
Les gagna tous les deux.

- Prend ! Cria Dieu le père,
Tu ne sauras qu'en faire ! -
La diable dit : - erreur ! -
Et, ricanant sous cape,
Il fit de l'un un pape,
De l'autre un empereur.

1er mars 1853 - Jersey.

Le Mastai dont parle Hugo, c'est Giovanni Maria Mastai Ferretti, ordonné prêtre en 1819, évêque de Spolète en 1831, évêque de Imola en 1832, cardinal en 1840, et pape en 1846, sous le nom de Pie IX. C'est à lui qu'on doit le dogme de l'immaculée conception, selon lequel Marie, la mère de Jésus aurait été conçue sans péché. Il le fallait bien, pour demeurer dans cette espèce de logique vaticane, selon laquelle tous les hommes naissent du péché et dans le péché, sauf Jésus et sa mère. Et pourquoi pas aussi sa grand-mère et son arrière grand-mère, et ainsi de suite, jusqu'à Eve ?

Un peu comme Henri VIII et Napoléon, Pie IX avait commencé son règne sous des allures de modernisme et de libéralisme. Mais cette allure pris fin en 1850, quand une expédition française écrasa la République romaine. Il passa le reste de sa vie à lutter contre toute forme de libéralisme, se rendant alors très impopulaire, d'où les flèches que Hugo lui tira, comme à Napoléon qu'il avait d'abord pris pour un libérateur, avant de le découvrir tyran. Depuis l'Allemagne, Beethoven avait eu la même méprise. Il avait dédié un concerto à l'Empereur Napoléon, et plus tard pris de regrets, il faillit bien le détruire.

Les plus grands espoirs hissent certains à des sommets inégalés, mais ils en tombent bientôt de plus haut encore, s'ils osent tromper les attentes de leurs amis, ou trahir leur confiance. Les empereurs romains ne vivaient pas longtemps. On disait, pour se débarrasser d'un personnage gênant : il suffirait d'en faire un empereur (Sénèque). En fait, plusieurs empereurs romains ont été assassinés par le même général qu'il les avait mis sur le trône. Mais récemment, on a plutôt vu le contraire. Des rois et des empereurs se sont débarrassés de ceux qui les avaient aidés à gravir les marches de leurs trônes. Henry VIII prit la tête de Thomas Moore. Hugo, plus chanceux s'exila à Jersey et Guernesey. Et c'est sur cette petite ile britannique que le plus grand écrivain français écrivit ses plus belles œuvres. Mais il en garda une blessure qui paraît un peu partout, surtout quand il parle de Napoléon, et particulièrement dans cette chanson que j'ai retrouvé par hasard, au cinquième livre de ses Châtiments, qu'il a nommé : L'autorité est sacrée, et où il met Napoléon et Mastai dans le même sac, et que pour ainsi dire : il les envoie tous les deux au diable.

Bien sûr, on se rappelle de Napoléon. Mais pour Mastai, il fallait faire quelques recherches. Je connaissais le Pape, ou plutôt son œuvre, puisque c'est quand même ainsi qu'on nomme le crime, quand c'est un pape qui le commet. Mais je ne savais pas que nous parlions du même Mastai que Hugo associe diaboliquement à Napoléon.

On peut lire bien des choses de Hugo, dans Actes et paroles et Choses vues, pour comprendre le lien qui unissait vraiment l'empire de Napoléon à celui de Pie IX. En 1864, sans doute pour célébrer l'anniversaire de son dogme de l’immaculée conception, Pie IX publie une encyclique : Recueil des quatre-vingts erreurs de notre temps, dans laquelle il condamne la démocratie, la liberté de religion, la séparation de l’Église et de l’État, le rationalisme, le socialisme et toute forme de modernisme. Tout ce qu'il fallait pour plaire à Hugo. Un peu plus et on retournait au Moyen Age. Dans ses États pontificaux, il imposa déjà son contrôle sur la science, l’éducation et la culture. Et on peut penser qu'il aurait voulu imposer le même contrôle ailleurs. En fait, à cause de son autorité religieuse sur le reste de la planète, ce contrôle s'imposa de lui-même, là où bien sûr, il faisait aussi l'affaire de l'État. Car là où il ne le faisait plus, on assista graduellement à une séparation de l'État et de l'Église. Voilà, à mon avis, le véritable but de la Renaissance. Et à certains égards, on peut dire que c'est déjà commencé, que c'est en route. Mais il suffit de voir le monde, comment il va, pour comprendre que tout n'est pas encore accompli.

(Pie IX)

Il parait quand même que l'autorité de Pie IX avait grandement diminué, et sans doute dans l'espoir de reprendre un peu de force, on dit qu'il favorisait ceux qui étaient disposés à imposer son autorité absolue au sein des Églises nationales. C'est à la suite de cet étrange lobby auprès des empereurs, que le premier concile Vatican, abouti à la proclamation de l’infaillibilité pontificale en 1870. Mauvais timing. La même année, les troupes françaises qui protégeaient la papauté se retirent, et Rome devient la capitale de l’Italie, ce qui met fin aux États pontificaux. Sans doute très choqué dans son infaillibilité, Pie IX se retire au Vatican, et il y reste jusqu’à sa mort. Par la suite, plusieurs autres papes y ont aussi volontairement gardé leurs cartiers, se considérant prisonniers, jusqu’à la signature des accords du Latran en 1929.

Mais nous étions alors entre deux guerres, que nous appelons encore la Première et la Deuxième, comme s'il n'y en avait pas eu d'autres avant, ou après. En fait, nous étions beaucoup plus près de la Deuxième, pendant laquelle la papauté ne fit pas montre de beaucoup plus de sagesse qu'à l'époque de Pie IX.

Enfin, c'est drôle comme un petit poème peut nous rappeler des choses. Surtout ceux de Hugo. J'allais dire : un petit poème innocent. Mais ceux de Hugo ne le sont jamais, même quand il les nomme : chansons. Ils accusent et condamnent, même quand ils s'arrêtent un moment pour pleurer sur le cadavre d'un enfant :

L'enfant avait reçu deux balles dans la tête...
(Souvenir de la nuit du 4, Les Châtiments).

Mais tout ça m'a rappelé un peu d'histoire. On peut sans doute remonter assez loin dans le temps. Mais commençons par Constantin, quand il décrète que le Christianisme, que les Romains persécutaient depuis des centaines d'années, est désormais la seule religion de l'Empire, créant ainsi le premier empire chrétien. Un empire qui dura à peine 50 ans, et qui se termina par la chute de Rome.

ça n'est pas la première fois qu'un empereur décide d'imposer une religion à son peuple. Et ça n'était pas plus étrange au temps des pharaons, que ça devrait nous le sembler de nos jours. Charlemagne (742-814) roi des Francs, des Lombards, et empereur d’Occident, mena la dynastie carolingienne à son apogée, et essaya de restaurer l'empire romain, sans toutefois y réussir. Othon Ier le Grand (912-973), roi de Germanie, fondateur et souverain du Saint Empire romain germanique, qu'on appelle aussi le Ier Reich. Il sera dissous en 1806 par Napoléon Ier. Guillaume Ier (1871-1888), Guillaume II (1888-1918) et d’Otto von Bismarck, chancelier jusqu’en 1890, fondateurs et maîtres du IIe Reich, de 1871 à la fin de la guerre franco-prussienne, en 1918. Hitler Adolf (1889-1945) restaurateur ou fondateur du IIIe Reich. Il mit fin à la République de Weimar et établit la dictature nazie. Son IIIe Reich était fondée sur l'antisémitisme et l'expansion territoriale à outrance. Ce qui ne sembla jamais contrarier la papauté de l'époque, ni d'ailleurs, celle de nos jours. Le régime s'écroula en 1945, à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, laissant l'Allemagne anéantie.

Les dieux et les religions, c'est la meilleure façon de mener le monde. On ne vient à bout de rien, avec un athée. Ou plutôt, avec un homme qui ne croit plus en l'Église. Il faut alors l'arrêter, le torturer, et qu'à cela ne tienne, il faut parfois le passer par les armes. Que voulez-vous, avec ces âmes mortes, la peur de son prochain est souvent plus édifiante que celle de Dieu. Sauf que tôt ou tard, cette peur finit par mener à la révolution.

Et comment fait-on dans ces pays qui n'ont pas de religion ? Mauvaise question. Tous les pays ont des religions, même et surtout ceux qui pensent ne pas en voir. Gengis Khan s'était associé au Dalaï Lama, pour s'assurer de son support spirituel, sur cette partie de l'âme de son peuple qui lui restait inaccessible. Et plus tard, Mao, malgré ses sorties contre la religion, qu'il prétendait être un poison, a encouragé, ou laissé son peuple le transformer en un dieu vivant. En tout cas, il n'a pas fait beaucoup d'effort pour empêcher qu'on promène son image dans les rues, et qu'on cite des parties de ses discours comme des versets de la Bible. Etant devenu Dieu à son tour, il n'avait plus besoin du support spirituel du Dalaï Lama. Mais il avait besoin du Tibet, surtout, de son territoire, de ses richesses naturelles : uranium, pétrole. Nous avons vu la même chose en Russie, où on a remplacé les icônes sacrées de la Vierge par celles de Lénine et de Staline, et qu'on a ensuite promené leurs statues dans les rues. On leur faisait de processions, des pèlerinages, des rogations. Il y avait pourtant eu une révolution. Mais semble-t-il, c'était simplement pour changer les saints de noms. Les nouveaux empereurs s'appelaient Lénine, Staline, ou Mao, les nouveaux dieux aussi. La nouvelle religion s'appelait communisme. Faites une religion d'une chose, et vous la tuez.

Dieu me parle directement...

Vous savez qui a dit ça ?

Bush, führer du 4e Reich, protecteur de la foi, commandeur des croyants, et peut-être aussi le dernier empereur de l'empire américain. Et cette fois, ce ne sera pas à cause des invasions des barbares venues du nord, mais à cause des invasions barbares que ses armées ont menées un peu partout sur la planète. Tous les empires sont forts et puissants, pendant un moment. Mais tous les empereurs ont leurs faiblesses. La première, c'est justement de céder à ce rêve fou d'être empereur. La deuxième, c'est d'abord de s'associer avec des amis qu'on appellera ensuite des ennemis. Comment s'y retrouver, quand on n'a plus la foi ? Le plus simple serait de mieux choisir ses amis, ou au moins, de mieux choisir ses ennemis. Le plus sage serait quand même de travailler à transformer ses ennemis en amis. Mais depuis un moment, les empereurs américains ne savent plus choisir, ni l'un, ni l'autre. Si au moins le peuple américain savait choisir ses présidents. Hélas, reste-t-il une nation, un pays qui ne soit pas mené par un fou, un imbécile, ou un criminel ? Pour le moment, il ne m'en vient qu'un seul à l'esprit: le Neverland. Autrement, nous sommes tous dans le même bain, et ma foi, il me semble que l'eau est bien sale.

Enfin, le syndrome du divin est si sévèrement ancré dans le cœur des humains, pas étonnant que des empereurs songent à l'utiliser à leur avantage. S'ils sont déjà des dieux, la chose se fait simplement. Sinon, ils s'associent avec le grand prêtre d'un dieu à la mode. Mais il demeure que presque tous les empereurs européens ont associé leurs empires à celui de Rome. Était-ce par religion ? Ou par nécessité politique ? Rome a-t-elle encore quelques affaires avec des empereurs ?
Même de nos jours, l'Église continue de recruter ses prêtres et ses religieux selon des critères qui n'ont pas changé depuis Pie IX et Vatican I. Et non seulement le processus n'est pas plus démocratique que dans les armées, mais il n'est pas transparent, et ne reflète aucunement la foi que l'Église devrait avoir en Dieu et en ses voies qui sont certainement impénétrables, surtout quand elles touchent d'abord un empire terrestre. On ne sait donc pas si l'Église est encore au service des empereurs. Mais elle n'a jamais démontré qu'elle était au service de son Dieu.

N'empêche que la symbiose politique dure depuis un moment, et qu'elle a souvent rendu sa flamme au feu mourant. Bien des empires n'auraient vu le jour sans l'Église, et la plupart n'auraient pas vu le soir de ce même jour, sans lui redonner quelque pouvoir en retour. Empires politiques et empires religieux ont besoin l'un de l'autre comme le chat et sa queue.

(Stendhal)

Eh bien, je vais peut-être en étonner quelques-uns. ça fait déjà un moment que je fais subir mon petit test de lecture à mes ami, avec ce livre de Stendhal : Le rouge et le noir. Pour m'amuser, et pour prouver qu'on ne peut mieux cacher un trésor qu'en l'exposant à la lumière du jour, je demande parfois à mes amis, de lire quelques lignes d'un chapitre que Stendhal à nommé : Le clergé, les bois, la liberté. Ensuite, je leur demande de quel livre il s'agit. Il faut savoir que la plupart des gens de mon âge ont eu cet aimable privilège de lire et d'analyser Le rouge et le noir, quand ils étaient encore au collège. Aussi, je ne leur dis pas tout de suite le titre du livre. Je leur laisse plutôt le deviner. Et qu'est-ce qu'on me répond ?

- C'est un livre de politique, d'économie, d'histoire...

Bien sûr, tous se rappellent la délicieuse intrigue entre Julien Sorel et Mathilde. Et à quinze ans, nous avions probablement tous éclipsé ce passage, ou Monsieur de La Mole confie une délicate mission à Julien. Et ne croyez pas que les choses aient changé à ce point. On confie encore de ces périlleuses missions à de naïfs jeunes hommes. Bien sûr, plus ils sont naïfs, plus ils sont précieux :

Si ce jeune homme me trahit, se disait M. de La Mole, à qui se fier ?

Enfin, je veux surtout rappeler comment on comptait alors sur le clergé, pour régler certains petits problèmes pourtant politiques, et je dirai aussi comment, même à notre époque, que nous disons moderne, on compte encore sur une certaine religiosité, pour continuer de mener les gens, là où on veut les mener. Mais voyons plutôt ce qu'on en disait à l'époque. Surtout, il faut se rappeler que Stendhal n'était pas qu'un romancier. Il avait suivi Napoléon, et l'année où il publia son roman, il était consul de France à Civitavecchia, tout près de Rome. N'est-ce pas là que Julien devait se rendre ? Mais relisons plutôt ces quelques lignes, des quatre pages que Julien devait apprendre par cœur, afin de les réciter à cet important personnage.

"Impossibilité de former un parti armé en France sans le clergé. Je vous le dis hardiment, parce que je vais vous le prouver, messieurs. Il faut tout donner au clergé.

"1¨ Parce que s'occupant de son affaire nuit et jour, et guidé par des hommes de haute capacité établis loin des orages à trois cents lieues de vos frontières...

- Ah ! Rome, Rome ! s'écria le maître de la maison...

- Oui, monsieur, Rome ! reprit le cardinal avec fierté. Quelles que soient les plaisanteries plus ou moins ingénieuses qui furent à la mode quand vous étiez jeune, je dirai hautement, en 1830, que le clergé, guidé par Rome, parle seul au petit peuple.

"Cinquante mille prêtres répètent les mêmes paroles au jour indiqué par les chefs, et le peuple, qui, après tout, fournit les soldats, sera plus touché de la voix de ses prêtres que de tous les petits vers du monde...

(Cette personnalité excita des murmures.)

- Le clergé a un génie supérieur au vôtre, reprit le cardinal en haussant la voix ; tous les pas que vous avez faits vers ce point capital, avoir en France un parti armé, ont été faits par nous. Ici parurent des faits... Qui a envoyé quatre-vingt mille fusils en Vendée etc., etc.

"Tant que le clergé n'a pas ses bois, il ne tient rien. A la première guerre, le ministre des finances écrit à ses agents qu'il n'y a plus d'argent que pour les curés. Au fond, la France ne croit pas, et elle aime la guerre. Qui que ce soit qui la lui donne, il sera doublement populaire, car faire la guerre, c'est affamer les Jésuites, pour parler comme le vulgaire, faire la guerre, c'est délivrer ces monstres d'orgueil, les Français, de la menace de l'intervention étrangère.

Voilà. D'habitude, quand on en arrive à ce point, on me fait toujours la même réflexion :

- C'était dans le livre ?

Oui, et ça y est encore. Mais la question, c'est pourquoi, au milieu d'une naïve intrigue amoureuse, on insère cette histoire politique et stratégique ? Qu'est-ce que les affaires politiques d'un prince ont à voir avec les intrigues amoureuses de Julien ? Rien. Absolument rien. Je pense tout simplement que depuis son poste de consul, tout près de Rome, Stendhal envoyait un message à Paris. Dans son roman, c'est Julien qui va demander l'aide de Rome. Dans la réalité, c'est Rome qui la demande à Paris, par l'intermédiaire de son consul, et elle sera accordée, pour un moment. Autrement, à l'époque, le livre de Stendhal est quasiment passé inaperçu. Et si on ne nous avait pas forcés à le lire, il serait probablement encore totalement ignoré. En fait, nous l'avons lu, et nous n'avons pas remarqué ce chapitre qui explique comment un empire ne saurait se passer du clergé, et ni, bien sûr, comment le clergé ne saurait se passer des empires.

Bien sûr, il y est question de la foi, de cette foi qu'on ne peut justement pas questionner. Et voilà où les ficelles se rejoignent. Tout ça se passe exactement à l'époque où Pie IX, le Mastai de Hugo, se déclare lui-même infaillible. Par lui et par ses successeurs, l'Église se place donc au-dessus de l'État, mais d'abord au-dessus de la démocratie et du peuple, ce qui au début fait bien l'affaire de l'Empereur, mais elle se place aussi au-dessus dessus de l'Empereur, ce qui bien sûr, ne fera pas son affaire très longtemps.

Peu importe. Depuis ses débuts avec Constantin, la religion fut un outil indispensable pour mener le peuple. Quand on ne veut plus rien lui expliquer, on lui dit simplement que ça vient de Rome. Et là, il faut avoir la foi, et ne plus rien remettre en question. Sinon, on voudra certainement vous brûler, ou en tout cas, on y pensera. Mais enfin, a-t-on jamais rien inventé de plus fantastique que la religion, pour gouverner un peuple ?

Mes chers enfants, il faut obéir, et se serrer la ceinture. ça ne vient pas de moi, mais de l'Église. Elle nous demande d'aller récupérer les terres du Christ, d'aller faire la guerre aux Russes, aux Chinois, aux Musulmans. L'Église nous parle. Il faut lui obéir, car c'est Dieu qui nous parle par elle...

Si vous avez mon âge, vous avez entendu ce genre de discours sous différentes formes.
Et le phénomène, je devrais dire le syndrome politique, l'habitude n'est pas que chrétienne ou catholique. On mène aussi certains Juifs et Musulmans de la même manière. On mise sur la bonne foi des gens pour les diriger là où on le veut.

C'est une arnaque. Et comment la détecter ? C'est pourtant assez simple. Aussitôt qu'un gouvernement impose une religion, ce que selon la plupart des théories théologiques, Dieu n'a jamais imposé, puisqu'il nous laisse libre d'accepter son salut, ou de subir notre perte, aussitôt qu'un roi veut nous imposer un dieu, on peut être certain qu'il ne le fait pas pour notre salut, mais pour le sien, et celui de son empire, dans lequel nous comptons si peu, ou alors, comme soldats et chair à canon, en temps de guerre, ou comme domestiques et bêtes de somme, en temps de paix. Mais jamais un empereur ne nous impose une religion pour plaire à un autre dieu qu'à lui-même.

Mais il demeure une chose navrante. Les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans ont tous utilisé leur foi et leurs religions pour justifier leurs guerres. Mais depuis les derniers mille ans, ce sont les Chrétiens qui ont fait le plus de dommages, en s'excusant d'obéir à leur Dieu, et de répandre sa bonne parole. Dieu, qu'on l'appelle Yahvé, ou Allah, ne traîne pas ses enfants de force jusqu'au ciel en leur attachant une corde au cou. Et aucun humain ne devrait prétendre être investi d'une pareille mission.

Et pourtant, on fait encore des guerres de religions, même et surtout quand on affirme ne pas en faire. On ne dit pas : nous envahissons l'Afghanistan pour y faire passer un pipeline, ou l'Irak, pour y voler du pétrole, ou pour le détruire, ce qui revient au même, quand on possède bien d'autres puits de pétrole, puisque la destruction du pétrole de l'Irak fait automatiquement augmenter la valeur du pétrole américain. Et les pauvres habitants de ces pays n'y sont pour rien. On s'en fou, d'ailleurs. S'ils voulaient bien se tenir tranquilles, le temps qu'on fasse notre petite affaire, on n'aurait pas besoin d'aller chercher des Talibans chez les enfants de cinq ans. Oui, vous direz, mais ça ne profite pas vraiment aux Américains ? Non, bien sûr. Le peuple américain, ce sont des gens comme nous. Et ils seront les premiers à payer le prix des bêtises de leurs présidents. Ils le paient déjà, d'ailleurs. Il ne faut pas croire que l'ensemble du peuple américain soit beaucoup plus riche que les pauvres des autres pays. Et tout ça ne profite même pas aux présidents, qui ne sont que des marionnettes bien traitées et bien payées. En fait, ça profite aux véritables empereurs qu'ils représentent.

Pour le moment, ce sont des guerres de pétrole. Plus tard ce sera des guerres pour l'eau. On ne manque pas plus de pétrole que d'eau. Mais quelle magnifique façon de contrôler un peuple, en le privant d'eau ? On commence déjà à parler de sécheresse en Californie, et dans les déserts américains. Mais la Californie était déjà un désert au temps du Christ, et quand il peut en Arizona, c'est parce que c'est le déluge sur le reste du pays. Mais les gens croient ce qu'on leur dit, sans preuve, parce qu'ils ont la foi. Oui, parce que désormais, nous avons une nouvelle religion : la science, de nouveaux grand prêtres, les scientifiques, et de nouvelles Bibles : leurs fameuses études scientifiques qui sont incapables de prévenir un tremblement de terre, mais qui savent exactement la température qu'il fera dans cinquante ans.

On scientise les religions. On remplace les théologiens par des scientifiques, tout comme on avait remplacé les philosophes par des théologiens, quand on a compris que les dieux romains battaient de l'aile, et qu'il faudrait bientôt les remplacer. Nos gens sont plus instruits. Ils ne croient plus en l'ancienne magie. Mais ils croient en la science, quelle importance, ils croient quand même. C'est pour ça que le pape actuel s'est récemment appuyé sur une pseudo étude scientifique, pour justifier la position de l'Église sur l'utilisation des pilules contraceptives. Parce que ces gens, qui font le métier de vendre la foi, savent bien que désormais, ça passe mieux, si on excuse nos bêtises par une étude scientifique, plutôt que d'essayer de prouver que ça fait de la peine au petit Jésus. Et tout ça est bien étrange, parce qu'au même moment, les scientifiques commencent à nous demander d'avoir foi en leurs théories. Et encore une fois, si vous osez remettre ça en question, vous subirez les foudres des croyants scientifiques. Et croyez-moi, ça n'est pas plus rassurant que de se faire poursuivre par la Sainte Inquisition.

Nous sommes en train de faire une nouvelle religion de la science. Nous allons tuer la science, et donc les connaissances qu'on pourrait en retirer. En ce qui concerne cette partie visible de l'Univers, cette partie connaissable de notre réalité, abandonner son intelligence et sa conscience à la foi et aux croyances, ça ne vaut guère mieux que d'être ignorant. Connaître, ça n'est pas croire, mais comprendre et savoir. Et ça n'a rien à voir avec la foi. Sans doute, on peut avoir la foi en Dieu, ou en ce principe initial qu'on ne sait pas nommer autrement. Mais la foi véritable est personnelle. Elle ne se transfère pas d'une âme à l'autre, et surtout, elle ne s'impose pas. Si donc on vous demande d'avoir la foi. Eh bien, dites-vous que cette foi qu'on vous demande, ça n'est pas une vertu, mais de l' imbécillité.

Mais je ne voudrais pas qu'on pense que je ne crois pas en Dieu, car j'y crois. Mais ce dieu auquel je crois, ça n'a rien à voir avec l'Église ni avec l'État. En fait, c'est en l'Église que je ne crois pas, ou plus. Et je veux terminer en citant cette phrase du testament de Hugo. Même sans le nommer, je pense qu'on aurait reconnu son style :

(Victor Hugo)

Je refuse l'oraison de toutes les Églises.
Je demande une prière à toutes les âmes.
Je crois en Dieu.


Hugo était-il athée ? Comme on aime à le prétendre, aussitôt qu'on ose remettre l'autorité de l'Église en question. Non, il ne l'était pas, en autant qu'on puisse être certain de ce qu'on affirme sur soi-même. Hugo dit : je crois en Dieu. Et ce que ça veut dire pour lui, pour nous, ou pour le reste de la terre, on ne le sait pas. Mais ces quelques phrases sont assez éloquentes. En peu de mot, il dit simplement : Je crois en Dieu, et je crois aux prières des âmes. Mais je ne crois pas en l'Église. Et à l'époque, une pareille déclaration, ça valait bien un lancer de chaussure à la tête du pape.

Enfin, si on n'a jamais rien lu d'autre de Hugo, on devrait au moins lire ça. C'est la partie de son testament qui nous concerne. Et c'est une richesse qu’il continue de nous léguer, aussi longtemps que nous saurons la conserver.

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