Pascal Boniface
Depuis bientôt 10 ans, Guillaume
Weill-Raynal livre un minutieux travail sur la désinformation
notamment sur le racisme, l’antisémitisme et les conséquences du
conflit du Proche-Orient en France. Il avait publié en 2005
une démonstration implacable qui remettait en cause la thèse du
« nouvel antisémitisme » et sa montée inexorable en France : Une
haine imaginaire contre-enquête sur le « nouvel antisémitisme »1 . Il publiait Les nouveaux désinformateurs 2 en 2007. Ses contributions, notamment dans Rue89, sont très suivies.
Il publie aujourd’hui aux Éditions du Cygne Pour en finir avec l’affaire Al Dura , où il démonte le caractère irrationnel des accusations portées à l’égard de Charles Enderlin pour son reportage du 30 septembre 2000.
Comment expliquer, alors que les faits sont établis, que
l’affaire Al Dura ait pu prendre une telle importance non seulement en
France mais aux États-Unis et dans d’autres pays ?
Parce que la diffusion du reportage sur la mort de Mohamed Al-Dura
constituait une image absolument intolérable pour certains, en ce
qu’elle coïncidait avec une réalité que l’on s’acharnait depuis des
années à nier coûte que coûte. Ce reportage apportait en effet un
démenti cinglant aux stéréotypes de la communication israélienne,
selon lesquels les victimes civiles palestiniennes du conflit,
n’étaient jamais totalement innocentes. Dans les années 1980-1990,
lors de la première intifada, on entendait comme un refrain que les
enfants tués par Tsahal – l’armée la plus morale du monde – étaient
toujours manipulés par des adultes qui les incitaient à jeter des
pierres sur les soldats israéliens. Le reportage de France 2 montrait
un enfant absolument innocent. Il fallait donc dissocier cette image
intolérable de la réalité qu’elle révélait. La solution s’imposait
d’elle-même : ce n’était qu’une image, au sens théâtral du terme,
c’est-à-dire une pure mise en scène, un reportage truqué…
À quel besoin cela correspond-il ?
Ce qui caractérise le conflit israélo-palestinien, c’est sa
dimension irrationnelle. Une dimension quasi-religieuse, échappant
à tout raisonnement politique. Pour certains, la cause d’Israël est
absolument sacrée. Les Palestiniens ne leur apparaissent que comme
les descendants d’Amalek, l’ennemi juré du peuple juif selon la bible,
un être diabolique, équivalent du Satan chrétien, qui transcende
les siècles et les générations, depuis l’Antiquité jusqu’à… la Seconde
guerre mondiale. À travers ce prisme, la moindre critique de la
politique israélienne devient sacrilège. Même un discours non
polémique, un simple reportage, une information purement factuelle
mais défavorable à Israël est perçue comme une manifestation
scandaleuse de l’antisémitisme le plus radical. Et par un
vertigineux raccourci, un enfant victime innocente devient ainsi un
irréductible ennemi du peuple juif, en tant que complice de la mise
en scène du vrai-faux spectacle de sa propre mort.
Comment expliquer que non seulement la presse
communautaire mais également les institutions officielles juives
ou des intellectuels comme Alain Finkielkraut aient pu porter du
crédit aux thèses pour le moins fantaisistes de Karsenty ?
Précisément pour les raisons que je viens de vous expliquer.
Finkielkraut a abdiqué tous sens critique en souscrivant sans la
moindre réserve à la thèse burlesque d’une mise en scène de la mort de
Mohamed Al Dura. Pierre-André Taguieff a vu dans le reportage de
France 2 la résurgence de l’accusation
moyenâgeuse de « crime rituel », portée autrefois contre les juifs. La
dimension religieuse du conflit empêche tout simplement de réfléchir.
Elle provoque comme une sidération de la pensée. Ça ne date pas
d’hier. Au lendemain de la guerre des Six jours, d’éminents
philosophes de la communauté juive analysaient de manière très
sérieuse la victoire éclair de Tsahal comme une « entrée dans les temps
pré-messianiques ».
Comment expliquez-vous que personne n’ait pris la peine de
retracer le parcours de Philippe Karsenty avant de reprendre
ses accusations ?
Toujours pour les mêmes raisons. Karsenty avait partie gagnée
d’avance. Il n’a fait que répondre à une attente de son public. C’est le
maître-mot de toute désinformation : « Dites-leur ce qu’ils
veulent entendre ». Je vous l’ai dit, l’image de la mort de Mohamed Al
Dura relevait du sacrilège. Elle était véritablement insupportable.
Il suffisait à n’importe quel imposteur de prendre la pose du
chevalier blanc.
Le mensonge devenait vérité. Et sa crédibilité
devenait inattaquable.
iris-france
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