jeudi 7 novembre 2013

"Pour en finir avec l’affaire Al Dura", questions à Guillaume Weill-​​Raynal

Pascal Boniface             

Depuis bientôt 10 ans, Guillaume Weill-​​Raynal livre un minu­tieux travail sur la dés­in­for­mation notamment sur le racisme, l’antisémitisme et les consé­quences du conflit du Proche-​​Orient en France. Il avait publié en 2005 une démons­tration impla­cable qui remettait en cause la thèse du « nouvel anti­sé­mi­tisme » et sa montée inexo­rable en France : Une haine ima­gi­naire contre-​​enquête sur le « nouvel anti­sé­mi­tisme »1 . Il publiait Les nou­veaux dés­in­for­ma­teurs 2 en 2007. Ses contri­bu­tions, notamment dans Rue89, sont très suivies.

Il publie aujourd’hui aux Édi­tions du Cygne Pour en finir avec l’affaire Al Dura , où il démonte le caractère irra­tionnel des accu­sa­tions portées à l’égard de Charles Enderlin pour son reportage du 30 sep­tembre 2000

Comment expliquer, alors que les faits sont établis, que l’affaire Al Dura ait pu prendre une telle impor­tance non seulement en France mais aux États-​​Unis et dans d’autres pays ?

Parce que la dif­fusion du reportage sur la mort de Mohamed Al-​​Dura consti­tuait une image abso­lument into­lé­rable pour cer­tains, en ce qu’elle coïn­cidait avec une réalité que l’on s’acharnait depuis des années à nier coûte que coûte. Ce reportage apportait en effet un démenti cin­glant aux sté­réo­types de la com­mu­ni­cation israé­lienne, selon les­quels les vic­times civiles pales­ti­niennes du conflit, n’étaient jamais tota­lement inno­centes. Dans les années 1980-​​1990, lors de la pre­mière intifada, on entendait comme un refrain que les enfants tués par Tsahal – l’armée la plus morale du monde – étaient tou­jours mani­pulés par des adultes qui les inci­taient à jeter des pierres sur les soldats israé­liens. Le reportage de France 2 mon­trait un enfant abso­lument innocent. Il fallait donc dis­socier cette image into­lé­rable de la réalité qu’elle révélait. La solution s’imposait d’elle-même : ce n’était qu’une image, au sens théâtral du terme, c’est-à-dire une pure mise en scène, un reportage truqué…

À quel besoin cela correspond-​​il ?

Ce qui carac­térise le conflit israélo-​​palestinien, c’est sa dimension irra­tion­nelle. Une dimension quasi-​​religieuse, échappant à tout rai­son­nement poli­tique. Pour cer­tains, la cause d’Israël est abso­lument sacrée. Les Pales­ti­niens ne leur appa­raissent que comme les des­cen­dants d’Amalek, l’ennemi juré du peuple juif selon la bible, un être dia­bo­lique, équi­valent du Satan chrétien, qui trans­cende les siècles et les géné­ra­tions, depuis l’Antiquité jusqu’à… la Seconde guerre mon­diale. À travers ce prisme, la moindre cri­tique de la poli­tique israé­lienne devient sacrilège. Même un dis­cours non polé­mique, un simple reportage, une infor­mation purement fac­tuelle mais défa­vo­rable à Israël est perçue comme une mani­fes­tation scan­da­leuse de l’antisémitisme le plus radical. Et par un ver­ti­gineux rac­courci, un enfant victime inno­cente devient ainsi un irré­duc­tible ennemi du peuple juif, en tant que com­plice de la mise en scène du vrai-​​faux spec­tacle de sa propre mort.

Comment expliquer que non seulement la presse com­mu­nau­taire mais éga­lement les ins­ti­tu­tions offi­cielles juives ou des intel­lec­tuels comme Alain Fin­kiel­kraut aient pu porter du crédit aux thèses pour le moins fan­tai­sistes de Karsenty ?

Pré­ci­sément pour les raisons que je viens de vous expliquer. Fin­kiel­kraut a abdiqué tous sens cri­tique en sous­crivant sans la moindre réserve à la thèse bur­lesque d’une mise en scène de la mort de Mohamed Al Dura. Pierre-​​André Taguieff a vu dans le reportage de France 2 la résur­gence de l’accusation moyen­âgeuse de « crime rituel », portée autrefois contre les juifs. La dimension reli­gieuse du conflit empêche tout sim­plement de réfléchir. Elle pro­voque comme une sidé­ration de la pensée. Ça ne date pas d’hier. Au len­demain de la guerre des Six jours, d’éminents phi­lo­sophes de la com­mu­nauté juive ana­ly­saient de manière très sérieuse la vic­toire éclair de Tsahal comme une « entrée dans les temps pré-​​messianiques ».

Comment expliquez-​​vous que per­sonne n’ait pris la peine de retracer le par­cours de Phi­lippe Kar­senty avant de reprendre ses accusations ?

Tou­jours pour les mêmes raisons. Kar­senty avait partie gagnée d’avance. Il n’a fait que répondre à une attente de son public. C’est le maître-​​mot de toute dés­in­for­mation : « Dites-​​leur ce qu’ils veulent entendre ». Je vous l’ai dit, l’image de la mort de Mohamed Al Dura relevait du sacrilège. Elle était véri­ta­blement insup­por­table. Il suf­fisait à n’importe quel imposteur de prendre la pose du che­valier blanc.
Le men­songe devenait vérité. Et sa cré­di­bilité devenait inattaquable.

iris-france

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