lundi 6 juillet 2015

Sommet Climat et Territoires : des conclusions décevantes !

Maxime Combes                 

Le Sommet mondial Climat et Territoires, organisé à Lyon les 1er et 2 juillet et financé par des champions de la pollution, devait faire la démonstration de l'engagement des collectivités territoriales en matière de lutte contre les dérèglements climatiques. La déclaration finale est décevante.

« Les territoires sont en mouvement, il faut que les Etats le soient aussi », tel est le message délivré par le sénateur Europe Ecologie-Les Verts, Ronan Dantec, l'un des organisateurs du sommet Climat et Territoires. Financé par des champions de la pollution – Engie EDF Veolia et Air France font partie des mécènes cette conférence a réuni, selon les organisateurs, 800 personnes de 80 pays. En présence de François Hollande, pour lequel deux avions différents avaient été affrétés.
Parmi les intervenants, du moins ceux qui en avaient officiellement le titre, on compte essentiellement des élus, qu'ils représentent des Etats ou des collectivités territoriales, des représentants d'institutions internationales et d'entreprises privées ainsi que quelques experts. Seuls deux ou trois représentants d'ONG ont le titre d'intervenant. Au final, beaucoup de grosses berlines noires climatisées.
Pour Ronan Dantec, ce sommet a atteint ses objectifs (voir ici une interview avec Anne-Cécile Bras de RFI). « Le pari est réussi » car les participants ont « travaillé ensemble » à partir « d'approches territoriales ». Pour Ronan Dantec, la conférence de Lyon n'est rien de moins qu'un « antidote au fatalisme », fatalisme dont on peut-être frappé face à l'immensité du défi climatique. Sans doute faut-il y avoir participer, et vécu « l'ambiance du sommet » pour s'en convaincre.
Si l'on écoute Ronan Dantec, les engagements déjà pris par les collectivités territoriales représenteraient une diminution de 1,5 gigatonne de CO2 d'ici à 2020. Soit, poursuit le sénateur EELV, 15 % de ce que les scientifiques exigent, à l'initiative de collectivités qui comptent pour 11 % de la population mondiale. Ce qui lui fait dire qu'en « généralisant à l'ensemble de la population mondiale, alors on a la solution, on peut stabiliser le climat sous les 2°C ».

Regardons de plus près. Les organisateurs de ce sommet ont rendu publique une déclaration finale. Elle est écrite de façon à laisser penser – « Nous, participants à ce Sommet.... » – que les 800 participants l'ont validée et l'endossent sans réserve. Est-le cas ? Nous ne le savons pas mais, nous pouvons en douter, tant on imagine mal les 800 participants avoir co-écrit et modifié ce texte.
Qu'y trouve-t-on ? La principale exigence est assez simple : que la COP21, qui se tiendra en décembre 2015 à Paris, reconnaisse « la nécessité d'une approche territoriale » dans la lutte contre les dérèglements climatiques. Concrètement les organisateurs de ce sommet souhaitent que l'accord de Paris comprenne les mots « collectivités » et « accès aux financements pour les collectivités ». De quoi, a minima, renforcer les batailles sémantiques dans la perspective de la COP21.
Sinon, le texte comporte des passages intéressants qui montrent que le réchauffement climatique n'est pas seulement une affaire de gaz à effet de serre : la pauvreté, la pression sur les ressources, l'urbanisation, les droits des populations autochtones, la biodiversité, l'adaptation aux conséquences des dérèglements climatiques, l'éducation et la nécessité d'une « transition juste pour les territoires, les entreprises et leurs salariés » sont mentionnés. À juste titre.
Par contre, vous n'y trouverez aucune référence à la nécessité de transformer profondément les modes de vie, les modes de production et de consommation, le capitalisme néolibéral, etc. Ces termes n'apparaissent pas. Le texte parle de « transformation vers une économie bas-carbone » ou de « décarbonation de l'économie mondiale », dans la droite ligne de la très ambivalente déclaration du dernier G7.
Ainsi, le texte n'évoque pas la nécessité de geler une très grande majorité des réserves prouvées d'énergie fossiles, mesure pourtant absolument nécessaire pour rester en deçà de 2°C, voire même de 1,5°C, objectif mentionnés par la déclaration. Le terme « énergies fossiles » ne se trouve pas dans la déclaration du sommet, comme si les collectivités territoriales étaient déjà dans l'ère du post-fossile.
C'est ennuyeux : comment décarboner l'économie mondiale si personne ne propose de commencer à fermer le robinet des énergies fossiles ? Cette proposition, qui consiste à ce qu'une série de gisements pétroliers, gaziers et charbonniers ne soient tout simplement pas exploités (voir la tribune publiée avec Nicolas Haeringer de 350.org dans Libération)), aucun Etat n'en veut. La déclaration finale du sommet Climat et Territoires non plus.
Pourtant, suite à de fortes mobilisations citoyennes, de plus en plus de collectivités territoriales et d'universités, autres acteurs majeurs des territoires (et relativement absents du sommet Climat et Territoires si l'on en croit la liste des intervenant-e-s), se sont engagés à désinvestir des énergies fossiles (voir la liste tenue à jour par l'organisation 350.org). La déclaration n'en fait malheureusement pas mention et le terme « désinvestissement » n'apparaît pas dans le texte. Etonnant alors que ce mouvement obtient des résultats significatifs et qu'il constitue une innovation majeure et récente de la lutte contre les dérèglements climatiques ancrée sur les territoires.
Ce double aspect – aucune mention ou objectif portant sur la combustion globale des énergies fossiles et sur les modes de vie – est problématique. En effet, il est tout à fait possible d'imaginer qu'un certain nombre de collectivités territoriales arrivent à réduire, plus ou moins fortement, les émissions de gaz à effet de serre sur leurs territoires. D'une certaine façon, c'est déjà le cas en Europe. Les émissions de GES d'un certain nombre de pays européens ont décru ces cinq, dix ou vingt dernières années. Par contre, l'empreinte carbone de leurs habitants (+15 % en France depuis 1992), qui prend en compte les émissions liées aux biens et services importées de l'étranger, a augmenté.
Il pourrait très bien en être de même pour certaines collectivités territoriales, suffisamment riches pour éloigner les activités les plus polluantes et développer des programmes « zéro émission » dans les transports ou l'habitat, tout en accueillant des habitants, plus riches que la moyenne, qui continueront d'accroître leur empreinte carbone avec des modes de consommation totalement insoutenables. Voilà un défi majeur dont on voit mal comment les représentants de ces collectivités territoriales – par ailleurs engagés dans la construction de projets inutiles pour certains d'entre eux – veulent le relever.
Venons-en aux engagements chiffrés énoncés par Ronan Dantec. Remarquons d'abord qu'ils ne sont pas consignés dans la déclaration finale, ni de façon agrégée, ni sous forme d'une liste d'engagements individualisés. Ils sont uniquement mentionnés dans les documents de communication. Sauf erreur de notre part, il n'est donc pas possible de vérifier la teneur de ces engagements, sur quoi portent-ils, comment les calculs ont été effectués alors qu'ils agrègent des politiques très différentes, combien sont de simples promesses et combien sont des résultats de politiques déjà engagées, etc. Dommage.
Plus étonnant encore, aucune date de référence n'est fournie. Les calculs de réduction d'émissions sont-ils faits par rapport aux émissions de 1990, comme il est généralement de coutume pour les Etats, ou bien est-ce par rapport à 2000, 2005, 2010, aujourd'hui ? Impossible à dire. C'est pourtant essentiel pour mesurer les taux d'effort auxquels s'engagent ces collectivités territoriales : en effet, généralement, les émissions ont augmenté entre 1990 et aujourd'hui, ce qui signifie que prendre pour date de référence 2015 implique un taux d'effort plus limité que si l'on choisit 1990.
Plus important encore. Pour montrer que l'engagement des collectivités est important, Ronan Dantec rapproche la part de la population mondiale que représentent ces collectivités (11 %) (dont nous n'avons pas la liste) avec la part de réduction d'émissions que représentent leurs engagements (15 %) dans l'effort exigé par les scientifiques d'ici à 2020. Puisque 15 % est supérieur à 11 %, le sénateur EELV se permet de conclure que si toutes les collectivités s'engageaient de manière équivalente, le pari de la stabilisation du climat en deçà de 2°C serait tenu. Ce n'est pas très honnête.
En effet. En plus de n'évoquer qu'un unique objectif pour 2020 – et pas pour les années suivantes – Ronan Dantec réalise un véritable tour de passe-passe qui consiste à laisser entendre que toutes les populations de la planète seraient tenues de s'engager sur des objectifs de réduction d'émission de gaz à effet de serre sensiblement équivalents à ceux des collectivités qui ont été utilisés pour faire le calcul mis en avant.
Ce n'est pas très honnête pour au moins deux raisons : toutes les populations de la planète n'ont pas la même responsabilité en matière de réchauffement climatique – et elles n'ont pas les mêmes capacités à agir. Elles ne devraient donc pas être tenues à des objectifs de réduction d'émission équivalents. Plus important encore : plus de 45 % de la population mondiale vit toujours en zone rurale dont une majorité, principalement paysanne, vit dans des zones où les pouvoirs publics sont peu implantés et qui ont des niveaux d'émission bien inférieurs aux populations riches des zones urbaines.

Tenir compte de ces deux éléments, c'est-à-dire reconnaître des responsabilités et des capacités d'action différenciées entre les différentes populations de la planète, conduirait à reconnaître que la juste part des collectivités territoriales engagées dans le calcul mentionné par Ronan Dantec est bien supérieur aux 15 % annoncés.

Maxime Combes, Economiste, membre d'Attac France et de l'Aitec, @MaximCombes sur Twitter


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