Le Sommet
mondial Climat et Territoires, organisé
à Lyon les 1er et 2 juillet et financé
par des champions de la pollution,
devait faire la démonstration de
l'engagement des collectivités
territoriales en matière de lutte contre
les dérèglements climatiques. La
déclaration finale est décevante.
« Les territoires sont en mouvement,
il faut que les Etats le soient aussi »,
tel est le message délivré par le
sénateur Europe Ecologie-Les Verts,
Ronan Dantec, l'un des organisateurs du
sommet Climat et Territoires. Financé
par des champions de la pollution –
Engie EDF Veolia et Air France font
partie des
mécènes – cette conférence a réuni,
selon les organisateurs, 800 personnes
de 80 pays. En présence de François
Hollande, pour lequel
deux avions différents avaient été
affrétés.
Parmi les intervenants, du moins
ceux qui en avaient officiellement le
titre, on compte essentiellement des
élus, qu'ils représentent des Etats ou
des collectivités territoriales, des
représentants d'institutions
internationales et d'entreprises privées
ainsi que quelques experts. Seuls deux
ou trois représentants d'ONG ont le
titre d'intervenant. Au final, beaucoup
de
grosses berlines noires climatisées.
Pour Ronan Dantec, ce sommet a
atteint ses objectifs (voir ici
une interview avec Anne-Cécile Bras
de RFI). « Le pari est réussi » car les
participants ont « travaillé ensemble »
à partir « d'approches territoriales ».
Pour Ronan Dantec, la conférence de Lyon
n'est rien de moins qu'un « antidote au
fatalisme », fatalisme dont on peut-être
frappé face à l'immensité du défi
climatique. Sans doute faut-il y avoir
participer, et vécu « l'ambiance du
sommet » pour s'en convaincre.
Si l'on écoute Ronan Dantec, les
engagements déjà pris par les
collectivités territoriales
représenteraient une diminution de 1,5
gigatonne de CO2 d'ici à 2020. Soit,
poursuit le sénateur EELV, 15 % de ce
que les scientifiques exigent, à
l'initiative de collectivités qui
comptent pour 11 % de la population
mondiale. Ce qui lui fait dire qu'en
« généralisant à l'ensemble de la
population mondiale, alors on a la
solution, on peut stabiliser le climat
sous les 2°C ».
Regardons de plus près. Les
organisateurs de ce sommet ont rendu
publique
une déclaration finale. Elle est
écrite de façon à laisser penser – « Nous,
participants à ce Sommet.... » – que les 800
participants l'ont validée et
l'endossent sans réserve. Est-le cas ?
Nous ne le savons pas mais, nous pouvons
en douter, tant on imagine mal les 800
participants avoir co-écrit et modifié
ce texte.
Qu'y trouve-t-on ? La principale
exigence est assez simple : que la
COP21, qui se tiendra en décembre 2015 à
Paris, reconnaisse « la nécessité d'une
approche territoriale » dans la lutte
contre les dérèglements climatiques.
Concrètement les organisateurs de ce
sommet souhaitent que l'accord de Paris
comprenne les mots « collectivités » et
« accès aux financements pour les
collectivités ». De quoi, a minima,
renforcer les batailles sémantiques dans
la perspective de la COP21.
Sinon, le texte comporte des passages
intéressants qui montrent que le
réchauffement climatique n'est pas
seulement une affaire de gaz à effet de
serre : la pauvreté, la pression sur les
ressources, l'urbanisation, les droits
des populations autochtones, la
biodiversité, l'adaptation aux
conséquences des dérèglements
climatiques, l'éducation et la nécessité
d'une « transition juste pour les
territoires, les entreprises et leurs
salariés » sont mentionnés. À juste
titre.
Par contre, vous n'y trouverez aucune
référence à la nécessité de transformer
profondément les modes de vie, les modes
de production et de consommation, le
capitalisme néolibéral, etc. Ces termes
n'apparaissent pas. Le texte parle de
« transformation vers une économie
bas-carbone » ou de « décarbonation de
l'économie mondiale », dans la droite
ligne
de la très ambivalente déclaration du
dernier G7.
Ainsi, le texte n'évoque pas la
nécessité de geler une très grande
majorité des réserves prouvées d'énergie
fossiles, mesure pourtant absolument
nécessaire pour rester en deçà de 2°C,
voire même de 1,5°C, objectif mentionnés
par la déclaration. Le terme « énergies
fossiles » ne se trouve pas dans la
déclaration du sommet, comme si les
collectivités territoriales étaient déjà
dans l'ère du post-fossile.
C'est ennuyeux : comment décarboner
l'économie mondiale si personne ne
propose de commencer à fermer le robinet
des énergies fossiles ? Cette
proposition, qui consiste à ce qu'une
série de gisements pétroliers, gaziers
et charbonniers ne soient tout
simplement pas exploités (voir
la tribune publiée avec Nicolas
Haeringer de 350.org dans Libération)),
aucun Etat n'en veut. La déclaration
finale du sommet Climat et Territoires
non plus.
Pourtant, suite à de fortes
mobilisations citoyennes, de plus en
plus de collectivités territoriales et
d'universités, autres acteurs majeurs
des territoires (et relativement absents
du sommet Climat et Territoires si l'on
en croit la liste des intervenant-e-s),
se sont engagés à désinvestir des
énergies fossiles (voir
la liste tenue à jour par
l'organisation 350.org). La déclaration
n'en fait malheureusement pas mention et
le terme « désinvestissement »
n'apparaît pas dans le texte. Etonnant
alors que ce mouvement obtient des
résultats significatifs et qu'il
constitue une innovation majeure et
récente de la lutte contre les
dérèglements climatiques ancrée sur les
territoires.
Ce double aspect – aucune mention ou
objectif portant sur la combustion
globale des énergies fossiles et sur les
modes de vie – est problématique. En
effet, il est tout à fait possible
d'imaginer qu'un certain nombre de
collectivités territoriales arrivent à
réduire, plus ou moins fortement, les
émissions de gaz à effet de serre sur
leurs territoires. D'une certaine façon,
c'est déjà le cas en Europe. Les
émissions de GES d'un certain nombre de
pays européens ont décru ces cinq, dix
ou vingt dernières années. Par contre,
l'empreinte carbone de leurs habitants
(+15 % en France depuis 1992), qui prend
en compte les émissions liées aux biens
et services importées de l'étranger, a
augmenté.
Il pourrait très bien en être de même
pour certaines collectivités
territoriales, suffisamment riches pour
éloigner les activités les plus
polluantes et développer des programmes
« zéro émission » dans les transports ou
l'habitat, tout en accueillant des
habitants, plus riches que la moyenne,
qui continueront d'accroître leur
empreinte carbone avec des modes de
consommation totalement insoutenables.
Voilà un défi majeur dont on voit mal
comment les représentants de ces
collectivités territoriales – par
ailleurs engagés dans la construction de
projets inutiles pour certains d'entre
eux – veulent le relever.
Venons-en aux engagements chiffrés
énoncés par Ronan Dantec. Remarquons
d'abord qu'ils ne sont pas consignés
dans la déclaration finale, ni de façon
agrégée, ni sous forme d'une liste
d'engagements individualisés. Ils sont
uniquement mentionnés dans les
documents de communication. Sauf
erreur de notre part, il n'est donc pas
possible de vérifier la teneur de ces
engagements, sur quoi portent-ils,
comment les calculs ont été effectués
alors qu'ils agrègent des politiques
très différentes, combien sont de
simples promesses et combien sont des
résultats de politiques déjà engagées,
etc. Dommage.
Plus étonnant encore, aucune date de
référence n'est fournie. Les calculs de
réduction d'émissions sont-ils faits par
rapport aux émissions de 1990, comme il
est généralement de coutume pour les
Etats, ou bien est-ce par rapport à
2000, 2005, 2010, aujourd'hui ?
Impossible à dire. C'est pourtant
essentiel pour mesurer les taux d'effort
auxquels s'engagent ces collectivités
territoriales : en effet, généralement,
les émissions ont augmenté entre 1990 et
aujourd'hui, ce qui signifie que prendre
pour date de référence 2015 implique un
taux d'effort plus limité que si l'on
choisit 1990.
Plus important encore. Pour montrer
que l'engagement des collectivités est
important, Ronan Dantec rapproche la
part de la population mondiale que
représentent ces collectivités (11 %)
(dont nous n'avons pas la liste) avec la
part de réduction d'émissions que
représentent leurs engagements (15 %)
dans l'effort exigé par les
scientifiques d'ici à 2020. Puisque 15 %
est supérieur à 11 %, le sénateur EELV
se permet de conclure que si toutes les
collectivités s'engageaient de manière
équivalente, le pari de la stabilisation
du climat en deçà de 2°C serait tenu. Ce
n'est pas très honnête.
En effet. En plus de n'évoquer qu'un
unique objectif pour 2020 – et pas pour
les années suivantes – Ronan Dantec
réalise un véritable tour de passe-passe
qui consiste à laisser entendre que
toutes les populations de la planète
seraient tenues de s'engager sur des
objectifs de réduction d'émission de gaz
à effet de serre sensiblement
équivalents à ceux des collectivités qui
ont été utilisés pour faire le calcul
mis en avant.
Ce n'est pas très honnête pour au
moins deux raisons : toutes les
populations de la planète n'ont pas la
même responsabilité en matière de
réchauffement climatique – et elles
n'ont pas les mêmes capacités à agir.
Elles ne devraient donc pas être tenues
à des objectifs de réduction d'émission
équivalents. Plus important encore :
plus de 45 % de la population mondiale
vit toujours en zone rurale dont une
majorité, principalement paysanne, vit
dans des zones où les pouvoirs publics
sont peu implantés et qui ont des
niveaux d'émission bien inférieurs aux
populations riches des zones urbaines.
Tenir compte de ces deux éléments,
c'est-à-dire reconnaître des
responsabilités et des capacités
d'action différenciées entre les
différentes populations de la planète,
conduirait à reconnaître que la juste
part des collectivités territoriales
engagées dans le calcul mentionné par
Ronan Dantec est bien supérieur aux 15 %
annoncés.
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