Lors des précédentes cérémonies du même genre, les participants
faisaient au moins semblant d’y croire. Mais pour la conférence
internationale inaugurée le 3 juin à Paris, c’est peine perdue.
On se
demande comment cette initiative tardive de la France pourrait réussir
là où toutes les tentatives antérieures ont fait long feu. Les
principaux protagonistes, en effet, récusent la démarche ou s’en
désintéressent. Et si cette initiative est promise au fiasco attendu,
c’est autant par indifférence qu’en raison d’un désaccord explicite.
Les
dirigeants israéliens, on le sait, n’en voulaient pas. Ils préfèrent un
face-à-face politique avec les Palestiniens dont ils sont assurés de
sortir vainqueurs grâce à leur supériorité militaire. Rejetant
cyniquement toute internationalisation de la question palestinienne, ils
comptent plus que jamais sur la stratégie du pot de fer contre le pot
de terre. La fin de non-recevoir opposée à l’initiative française, de ce
point de vue, n’a rien d’un caprice. Elle est la conséquence logique
d’un rapport de forces favorable dont Tel-Aviv entend toucher les
dividendes.
Or ce refus israélien est conforté par l’immobilisme
des Etats-Unis. Implicitement, l’administration Obama est sur la même
longueur d’onde que son allié sioniste. La diplomatie US participe
complaisamment à la grand-messe parisienne, mais de façon minimaliste,
John Kerry ayant annoncé qu’il ne formulerait aucune proposition. Car du
côté de Washington, la messe est dite : les USA n’ont pas l’intention
d’exercer la moindre pression sur leur protégé. Ils se sont mis hors jeu
il y a deux ans déjà, laissant à l’Etat d’Israël le bénéfice d’une
hégémonie régionale qu’ils garantissent de surcroît par leur droit de
veto onusien.
Pas plus que ses prédécesseurs, le locataire actuel
de la Maison blanche n’aura fait bouger les lignes au Proche-Orient.
Accordant à l’occupant un blanc-seing dont il aurait tort de se priver,
il conforte comme à son habitude la politique d’obstruction israélienne.
Ce faisant, il laisse la diplomatie française sur le carreau. Car si la
France compte sur ses « alliés » pour l’aider, il est clair qu’elle va
faire chou blanc. Avec Israël aux abonnés absents et Washington qui fait
tapisserie, les jeux sont faits d’avance. Condamnée à une agitation
stérile, la présidence française fera feu de tout bois pour montrer
qu’elle fait quelque chose, mais elle va surtout brasser du vent.
Mais
l’inertie israélo-américaine n’est pas la principale raison de cet
échec annoncé. Du côté palestinien, Mahmoud Abbas exprime son
approbation à l’égard d’une démarche qui semble le sortir de l’isolement
où il croupit, livré à lui-même à la tête d’une institution
fantomatique par ses parrains occidentaux. Le retour de la diplomatie à
grand spectacle qui fit jadis son succès offre à l’Autorité
palestinienne un sursis supplémentaire. Et avec elle, tous ceux qui ont
fait le choix de la collaboration avec l’occupant à l’ombre d’un
processus de paix moribond comptent sur cette nouvelle médiation
internationale pour se remettre en selle.
La déclaration
surréaliste du président palestinien en faveur d’une présence militaire
de l’OTAN en Palestine occupée, à cet égard, participe d’une série de
manœuvres visant à se concilier les bonnes grâces occidentales. Comme si
la substitution de troupes US aux troupes sionistes constituait une
garantie pour la souveraineté du futur Etat palestinien, Mahmoud Abbas
semble prêt à toutes les compromissions. Condamné à l’impuissance par le
système dont il est le bénéficiaire depuis les calamiteux accords
d’Oslo, l’appareil bureaucratique d’une OLP fossilisée ne voit son
salut, désormais, que dans l’arrivée des GI’s.
La presse
occidentale a beau évoquer un « espoir renaissant » chez les
Palestiniens, on se doute bien que personne n’est dupe. Les victimes de
l’occupation sioniste savent qu’aucune des puissances invitées à cette
conférence ne compte modifier le rapport de forces en leur faveur. Ils
savent qu’on se réunira sagement autour de la table et que nul n’aura le
courage de la renverser. Ils savent surtout que les organisations de la
résistance, comme l’a dénoncé le Front populaire pour la libération de
la Palestine [*], seront soigneusement exclues du processus final. Leurs
représentants légitimes étant disqualifiés a priori, ils devinent ce
que les puissances occidentales attendent de ces négociations. Le moment
venu, on sollicitera l’aval grassement monnayé d’une caste dirigeante
inféodée à la puissance occupante. Et l’on dira, alors, que les
Palestiniens ont consenti avec honneur à de nouvelles concessions pour
mettre fin à un douloureux conflit.
Cette nouvelle liturgie
internationale, comme les autres, va étaler sa bavarde insignifiance. La
politique de gribouille d’une France inféodée accouchera, au mieux,
d’une énième mascarade diplomatique. On y exaltera avec emphase les
vertus d’une « solution à deux Etats » à laquelle personne ne croit. On
fera comme si l’impunité d’Israël n’avait pas définitivement rendu
impossible la coexistence entre deux nations souveraines. Que l’occupant
ait sciemment tué dans l’oeuf cette solution politique en colonisant à
outrance passera inaperçu, tant on se montrera soucieux de ne froisser
personne.
Une puissante incantation nous demandera, au contraire, de
croire aux vertus magiques de la négociation. Et l’on se prêtera au jeu
hypocrite d’une diplomatie idéale où les parties en présence, sous la
houlette bienveillante des grandes puissances, pavoiseront ensemble le
chemin vers la paix.
Normalien, énarque, Bruno Guigue est aujourd’hui professeur de
philosophie. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Aux origines
du conflit israélo-arabe, l’invisible remords de l’Occident »
(L’Harmattan, 2002).
[*] http://arretsurinfo.ch/la-conference-de-paris-est-une-attaque-contre-les-droits-des-palestiniens/
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