mardi 26 juillet 2016

La France repousse l’interdiction des néonicotinoïdes à 2018

Romain Loury        

L'interdiction des pesticides tueurs d'abeilles n'interviendra qu'après les élections présidentielles de 2018.

Plusieurs acteurs environnementaux craignent que la loi biodiversité, adoptée mercredi 20 juillet, ne perde de sa substance sous un prochain gouvernement, notamment concernant l’interdiction des néonicotinoïdes, repoussée à 2018. Un article de notre partenaire le JDLE.
Après sa présentation fin mars 2014 à l’Assemblée nationale, il aura fallu 27 mois au projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages pour achever son cheminement parlementaire.
Du côté des associations, on salue «de réelles avancées», mais aussi «des occasions manquées». Chez Europe Ecologie Les Verts (EELV), on note aussi «des avancées notables», mais encore «loin d’être à la hauteur des enjeux».
Parmi les progrès, les associations évoquent le préjudice écologique, la consolidation du principe de la compensation, la non-régression du droit de l’environnement, la création de l’Agence française pour la biodiversité, l’AFB (au 1er janvier 2017), l’engagement à ratifier le protocole de Nagoya ou encore l’interdiction des néonicotinoïdes. Parmi les abandons, ceux de l’interdiction du chalutage en eaux profondes (finalement édictée fin juin au niveau européen) et de la taxe sur l’huile de palme, ou encore le flou quant au dragage des fonds marins en présence de récifs coralliens.

Néonicotinoïdes: rien n’est joué

Au-delà des bons et des mauvais points, l’application de la loi, qui reste à promulguer (avec son cortège de décrets d’application), soulève de nombreuses incertitudes. Car nul ne sait si le prochain gouvernement, que les sondages attribuent aux Républicains, sera disposé à en cueillir les fruits, ou à les laisser pourrir sur l’arbre. Le sujet est d’autant plus brûlant que les lobbies, en particulier de la chasse et de l’agriculture, ont lourdement œuvré lors des débats parlementaires.
Exemple, les néonicotinoïdes, sujet qui a connu de nombreux rebondissements au cours des débats : interdictions (d’abord 2016, puis 2017) introduites à l’Assemblée, puis retoquées au Sénat, avant que la version finale se stabilise sur septembre 2018, avec dérogations possibles jusqu’en septembre 2020. «Au final, on a introduit des délais d’interdiction, on laisse des portes ouvertes [celle des dérogations, ndlr], ce qui laisse le temps aux lobbies de s’organiser», déplore Sandra Regol, porte-parole d’EELV, contactée par le JDLE.

«Tout cela est très politique, au mauvais  sens du terme», renchérit Jean-David Abel, chargé de la biodiversité chez France Nature Environnement. Cela a été une énorme bataille, et nous sommes évidemment satisfaits de cette décision de principe, au moins au niveau psychologique. Mais dans les faits, cela laisse au prochain gouvernement la liberté d’agir. Rien ne l’empêchera, par exemple sous pression de la FNSEA [la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles], de revenir dessus, par exemple en élargissant les dérogations et en repoussant l’interdiction à 2025».

AFB: coup de frein en vue ?

Mêmes craintes pour l’Agence française pour la biodiversité (AFB), fœtus à l’avenir brumeux. Avec la non-intégration de l’Office national des forêts (ONF) et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), principal acteur pour la biodiversité terrestre), sur pression du milieu de la chasse, elle fait l’objet, malgré les propos rassurants tenus par le gouvernement, de craintes quant à ses moyens financiers et humains.
«Si l’AFB doit faire mieux et plus [que les quatre organismes préexistants, ce ne sera pas possible», juge Jean-Luc Ciulkiewicz, secrétaire général du Syndicat national de l’environnement (SNE-FSU). Ce qui pourrait ajouter au malaise des agents de l’environnement, qui protestent déjà contre un manque de reconnaissance de leurs qualifications.
«Dans 10 mois, ce gouvernement ne sera peut-être plus au pouvoir : si on n’a pas verrouillé les choses du côté de l’AFB, tout cela peut être déconstruit très rapidement. On peut très vite aller vers une coquille vide, avec des gens qui n’auront pas les moyens de travailler», poursuit Jean-Luc Ciulkiewicz.
Selon Jean-David Abel, «le risque de coup de frein est très important, d’autant qu’il s’agira alors [en mai 2017] d’une petite agence d’Etat de seulement quelques mois: les gens des cabinets le savent parfaitement, quand ils ne prennent pas les décisions».

Huile de palme: adieu taxe, bonjour certification

Côté huile de palme, adieu la «taxe Nutella»: au lieu de cela, le gouvernement devra proposer un dispositif favorisant la certification de production durable, et concernant toutes les huiles. Donc non discriminatoire, ce qui aurait fait courir à la France le risque de se faire attaquer par les pays producteurs, dont la Malaisie et l’Indonésie, devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Pour Jean-David Abel, «l’un n’exclut pas l’autre, mais les lobbies [les pays producteurs, l’industrie agroalimentaire, ndlr] ont agi très fort sur ces questions-là. Il a souvent été avancé que la France serait isolée, et que cela n’aurait donc aucune efficacité sur le terrain: au contraire, le fait qu’un pays bouge peut faire bouger d’autres pays, et très vite cela peut faire boule de neige».

Lors de la lecture définitive du projet de loi, mercredi 20 juin, la secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité, Barbara Pompili, a indiqué que «les services du ministère travaill[ai]ent déjà à cette question de certification des huiles». «Croyez-moi, nous ne lâcherons rien», a-t-elle ajouté. Même en cas de nouvelle majorité ?

Le Journal de l'environnement

euractiv.fr

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