Quand je ne sais plus quoi faire de mon temps de cerveau disponible, j’essaie de le remplir avec des trucs.
Parfois
je me mets en mode « auteur de science-fiction » (ou de
spéculative-fiction, si vous préférez) : je pars d’un prémisse et...
j’essaie d’imaginer la suite.
Exemple : et si Cuba - avec Fidel,
la Révolution et tout - avait été un pays de 300 millions d’habitants
(au lieu de 11 millions) et les Etats-Unis une petite île des Caraïbes ?
J’imagine
alors une armée d’un million de médecins prêts à intervenir à la
moindre tension et prescrivant à tours de bras des « changements de
régime » en nous tapotant la bidoche.
J’imagine un monde où pas un seul enfant ne dormirait dans la rue.
J’imagine
un monde où les seules interventions militaires consisteraient à faire
tomber tous les Apartheids, un monde où « Yes We Can »
(approximativement, Yo, Si Puedo, en espagnol) serait le cri de
ralliement d’une campagne d’alphabétisation touchant des dizaines de
millions de personnes. Un monde où « Mission Accomplie » signifierait
simplement que des dizaines de millions d’autres auraient retrouvé la
vue.
J’imagine un monde où un haut responsable politique répondrait à une question de journaliste « Ce fut difficile, mais le prix... Oui, cela en valait le prix » - avec un sourire radieux, fatigué mais heureux.
Imaginez un monde où un journaliste ou un responsable politique comprendrait un traître mot de ce qui précède.
Mais bon, parlons d’autres choses.
Tenez,
j’ai toujours trouvé que « intelligence » était un concept assez
fascinant, et terriblement trompeur. L’espèce humaine est la plus
intelligente, là, tout en haut de l’échelle. Tu vois l’échelle ? Et
bien, l’espèce humaine, elle est tout là-haut. Voilà. Difficile
d’imaginer mieux. Tiens, encore ce mot magique : « imaginer ».
Il
fut un temps pas très lointain où certains éléments déviants de la
société humaine spéculaient sur la nature véritable du vent en suggérant
que « le vent, c’est de l’air en mouvement » devant les mous
dubitatifs de leurs confrères. À l’échelle du temps, notre échelle du
temps, c’était il y a longtemps. A l’échelle du vrai temps, c’était il y
a une fraction de seconde. Alors on peut toujours être tentés de dire
« nous avons bien progressé » mais le temps de le dire et nous voilà
déjà devenus l’ignare, le superstitieux ou le dingo-dingue de quelqu’un
d’autre.
Imaginons.
L’argent (et donc
l’économie). Tout le monde « sait » ce qu’est l’argent, n’est-ce pas ?
L’argent est partout, tout autour de nous, comme l’air que l’on respire.
Je sais, même si certains éléments déviants de la société tentent de m’expliquer ce qu’est l’argent réellement.
Réellement ? Comment ça, réellement ? Ben oui, j’ai regardé (comme
vous) ces vidéos qui tentent de nous expliquer la nature véritable de
l’argent, et pendant le visionnage j’ai même l’impression de comprendre à
quel point ma (notre) perception de la chose est... « infantile » ? Le
problème, c’est que ma compréhension ne dure qu’un temps et le lendemain
avec les collègues de travail, j’ai vraiment l’air d’un con à essayer
de leur expliquer ce que j’avais pourtant bien cru comprendre la veille.
Et comprendre « sur le coup », pour ensuite être incapable - les
neurones paralysées - de dérouler le fil du raisonnement, c’est bien le
signe d’un conditionnement. Première révélation : notre perception de la
nature véritable de l’argent est le résultat d’un conditionnement. (Ah,
je les vois rigoler, ceux du futur : « tu te rends compte ? Ils ne
comprenaient même pas la nature véritable de l’argent. Un truc aussi courant, répandu, basique. C’est diiiingue. »)
La religion.
Sur cette question « délicate », il me semble que tout a été dit et
redit. Alors, pourquoi y revenir ? Tout simplement parce que tout a été
dit et redit comme tout fut dit et redit lors du débat sur le sexe des
anges, sur l’hypothétique âme des femmes, ou pour savoir si les indiens
étaient des êtres humains ou des animaux. Oui, tout a été dit et redit,
mais dans les limites du cadre de l’époque. Un jour, je crois, j’espère,
lorsque ce cadre s’émiettera, il y en aura qui, très certainement, se
demanderont quelle(s) mouche(s) ont bien pu nous piquer, fous furieux
que nous sommes. « Ils faisaient des guerres pour ça ? » ou « Ils réprimaient des gens pour ça ? » (au choix). « C’est diiiingue. »
La politique.
Si je vous dis « Donald Trump » ou « Hillary Clinton », à quoi
pensez-vous ? Plus ou moins à la même chose que si je vous disais
« Nicolas Sarkozy » ou « François Hollande », non ? « Oui, oui, au
21ème siècle, des personnages largement méprisés pouvaient prétendre et
même espérer devenir des dirigeants. Ne me demandez pas comment, mais
c’est vrai. Le fait qu’ils pouvaient être considérés comme, ou se faire
passer pour, des « personnalités », rien que ça, c’est déjà complètement
diiiingue »
L’environnement. Une autre fois...
Etc... quoi.
Le
constat est là : il n’y a pratiquement pas un seul sujet, un seul
enjeu, qui ne soit traité avec inconsistance et fausses dramatisations -
surtout les plus graves. La société d’info-divertissement a fait son
œuvre de bourreau de la pensée.
Une réflexion courante consiste à
dénoncer une sorte d’apathie généralisée de nos sociétés. Ceci n’est pas
faux, mais il y a un paradoxe à observer que les esprits peuvent malgré
tout s’échauffer, s’enflammer même parfois. Oui, mais pour quoi ?
Pour
un match de foot, on s’enflamme. Pour un criminel de guerre (Tony Blair)
venu présenter son dernier livre à Paris, on fait tranquillement la
queue pour avoir son exemplaire dédicacé.
Des gangsters qui vous
bombardent des populations civiles, qui outre-passent le résultat d’un
référendum, qui détournent des sommes colossales, qui piétinent les
règles les plus élémentaires de « justice » ou de décence ou de
démocratie, qui gaspillent en armes de quoi sauver plusieurs fois la
planète, qui n’ont jamais fait quelque chose de bien ou de réellement
utile de toute leur vie, qui pour la plupart et dans un monde normal
seraient en prison, continuent d’envahir nos bulles et polluer notre
quotidien, tout en se sentant en droit - pourquoi se gêner ? - de nous
donner leur haute opinion sur un micro-phénomène vestimentaire.
Dans
un monde rétréci (globalisation mon oeil), le branches de l’arbre du
voisin qui dépassent importent plus que tous les Gengis Khan modernes.
Le « temps de cerveau humain disponible » (*) n’est pas nécessairement un temps vide. C’est un temps qui ne demande qu’à être rempli par du vide, pour peu qu’on les laisse faire.
Viktor Dedaj - qui se demande encore pourquoi il n’a plus d’amis -
(*) « Ce
que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain
disponible » selon Patrick Le Lay, en 2004, alors président-directeur
général du groupe TF1.
Le Grand Soir


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