Diffusé mardi sur Arte,
un documentaire raconte comment le lipide, accusé à tort d’être à
l’origine de toutes les maladies cardiovasculaires, a permis à
l’industrie agroalimentaire et aux laboratoires de s’enrichir.
Rien de tel qu’un peu d’histoire pour comprendre
le succès de certains des médicaments d’aujourd’hui. Et ce n’est pas le
moindre des mérites de ce documentaire d’Arte, Cholestérol : le grand
bluff (1), que de nous proposer un voyage dans le temps pour expliquer
le triomphe planétaire des statines, ces médicaments contre le
cholestérol un temps les plus vendus au monde avec plus de 200 millions
de consommateurs quotidiens, générant un chiffre d’affaires de plusieurs
milliards d’euros.
Tout commence par la
constitution d’un ennemi : le cholestérol. La tâche n’était pas simple
car il s’agit d’un lipide sacrément utile pour le corps. Comment le
transformer en serial killer ? Ainsi se monte une des plus belles
esbroufes de l’histoire de la médecine, avec ses mensonges, ses
avancées, ce cocktail incertain de science et de manipulation, ses
anecdotes, aussi, parfaitement racontées dans ce documentaire avec des
extraits d’archives saisissants.
Ainsi la première scène,
avec l’image du héros intouchable de la Seconde Guerre mondiale, Ike
Eisenhower. Il est alors président des Etats-Unis. Le 24 septembre 1955,
il est terrassé par une crise cardiaque. Pendant plusieurs jours, les
Américains vont guetter sa guérison. Cette attente sera d’autant plus
chargée en émotion que les Etats-Unis ont subie une « épidémie » de
crises cardiaques dans les années 50 et redoutent le pire. La faute à
qui ? Au cholestérol, bien sûr. Alors qu’Eisenhower fume deux paquets de
cigarettes par jour, c’est son taux de cholestérol qui est mis en
avant.
Facteurs de risques
Au même moment, on
assiste au triomphe du physiologiste américain Ancel Keys. L’homme est
réputé, le chercheur est sérieux. Il est formel : seul un régime pauvre
en graisses et en cholestérol permettrait de prévenir les maladies
cardiaques, de contrôler son poids et de repousser l’échéance d’une mort
prématurée. Mais voilà, si notre chercheur a la solution, encore
faut-il qu’il la démontre. Tellement convaincu d’avoir raison, il va
ériger ce lipide en coupable des maladies cardiovasculaires à l’aide
d’études tronquées. Qu’importe qu’en Finlande le taux de cholestérol
soit très bas et celui de maladies cardiovasculaires très élevé ! Même
chose avec l’étude dite de Framingham (Massachusetts), où des chercheurs
ont suivi pendant trente ans tous les habitants de cette ville,
analysant leur alimentation et leurs maladies cardiovasculaires.
Finalement, aucun lien
n’a pu être établi entre taux de cholestérol et accident cardiaque. Mais
l’hypertension, l’obésité, le tabac et la sédentarité sont ouvertement
pointés comme facteurs de risques. Qu’à cela ne tienne, d’autres
chercheurs vont alors se mettre à distinguer le bon et le mauvais
cholestérol. Et comme le montre le documentaire, les scientifiques qui
rechignent vont voir leur labo fermer faute de financements.
Dès lors, va se mettre
en place un couple redoutablement efficace. D’un côté, le monde de la
recherche, de l’autre, l’industrie agroalimentaire qui va se lancer à
fond sur la vente de produits allégés, d’huiles végétales, finançant de
nombreuses équipes pour accréditer le lien entre taux de cholestérol et
maladies cardiovasculaires, et ainsi justifier l’achat de leurs
produits.
Opération commerciale
Second volet de
l’aventure : l’arrivée des molécules miracles, les statines, découvertes
par un chercheur japonais à la fin des années 70. Leur but : faire
baisser le taux de cholestérol. Tout se tient. Et on va assister là à
une autre gigantesque opération commerciale, avec dans le rôle du
lobbyiste en chef l’industrie pharmaceutique. Un exemple parmi d’autres :
ce sont près de 4 000 cardiologues qui seront invités en Chine par les
labos.
On multiplie les études,
on sature le marché. Et cela prend. Aux Etats-Unis d’abord, puis
partout dans le monde. Depuis la mise en vente officielle des premières
statines en 1993, une écrasante majorité de médecins vont miser sur leur
prescription, et cela avant toute autre mesure préventive. Consommées
par 220 millions de patients à travers le monde, les statines vont
devenir en quelques années les médicaments les plus vendus dans
l’histoire de la médecine.
« Open Bar »
Pour autant, tout n’est
pas à jeter dans ces molécules, les statines se révélant efficaces en
prévention secondaire. Mais le gigantesque marketing a entraîné une
prescription à tout va. « C’était incroyable, c’était la statine pour
tout le monde, c’était « open bar » », explique un cardiologue. Une
machine commerciale avec des publicités ahurissantes où l’on voit un
couple dîner tranquillement puis l’homme s’écrouler, avec quelques mots
en off disant : « Ah, s’il avait pris ses statines… » Vingt-cinq ans
plus tard, on en paie toujours les frais.
Et la surconsommation des
statines, par exemple en France, n’est pas pour rien dans le mésusage
des médicaments.
Source
(1) Réalisé par Anne Georget, le documentaire a été diffusé mardi sur Arte à 20 h 55, puis il sera disponible sur Arte+7.
Conscience Citoyenne Responsable
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire