Ne nous leurrons pas : ce n’est pas par impuissance que les
autorités de la loi et de l’ordre n’empêchent pas des attaques
prévisibles commises par des colons de se dérouler et qu’ensuite elles
ne se hâtent pas d’arrêter des suspects.
C’est ce qui s’est passé vendredi dernier lorsque des colons ont attaqué des militants de Ta’ayush,
et lorsque samedi d’autres s’en sont pris à des Palestiniens de Hawara
et de Urif, les villages qui pour leur malheur ont la colonie et
de Yitzhar et les “avant postes” qui en essaiment sur leurs terres. La
question n’est pas de savoir où se trouvent les forces de l’ordre, mais
pourquoi la majorité juive n’est pas indignée.
Les autorités israéliennes en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est)
et les colons de toutes sortes ont un but en commun : expulser les
Palestiniens de leur pays – sinon vers la Jordanie, au moins vers les
zones A et B de la Cisjordanie [1]. Cet objectif non dit se concrétise
dans les actions au jour le jour de la police, du service de sécurité Shin Bet, de la police des frontières et de l’administration civile [2].
Il est vrai que la sauvagerie à laquelle les militants de Ta’ayush
ont été confrontés vendredi allait au-delà de tout ce qu’ils avaient
déjà enduré antérieurement. Mais pour les Palestinien il n’y avait là
rien d’inhabituel. C’est précisément la raison pour laquelle des
volontaires de Ta’ayush, héros des temps modernes, ont
décidé il y a 17 ans d’accompagner des Palestiniens dans les endroits
où l’activité violente des colons se déploie le plus fréquemment (le sud
des collines d’Hébron et maintenant la vallée du Jourdain).
Chaque semaine, ils sont volontaires pour leur servir de “bouclier
humain”, parce qu’ils supposent que leur présence obligera la police et
l’armée à intervenir. Ils ont cessé de compter combien de fois ils ont
été attaqués par les colons au cours de ces missions, et combien de fois
les soldats ont assisté passivement [à ces attaques] ou ont obéi aux
ordres des colons et ont fait déguerpir les Palestiniens et leur
escorte.
Pour chaque incident violent causé par des colons, spécialement
contre des soldats ou d’autres israéliens, il y a des douzaines
d’agressions verbales ou physiques dont les médias israéliens ne parlent
pas parce que les victimes en sont des Palestiniens. Très souvent,
lorsque des Palestiniens ont l’audace de vouloir se défendre l’armée
intervient et les attaque avec des grenades assourdissantes et des gaz
lacrymogènes. Quant à la police, elle ne trouve jamais les suspects et classe les dossiers. Ou elle arrête des Palestiniens.
Ainsi, sur ordre ou à l’instigation de colons appartenant à “l’avant-poste” illégal proche de la base militaire de Kfir,
dans la vallée du Jourdain, des bergers ont récemment été mis en
détention, leurs troupeaux dispersés et leurs ânes confisqués. Cet “avant-poste”,
ainsi qu’un autre situé plus au nord, qui n’existe que depuis quelques
mois, se développent en dépit d’un ordre de cesser les travaux donné par
l’administration civile. Sous le nez des autorités chargés de faire
respecter la loi et l’ordre, les colons continuent à harceler les
bergers locaux et les agriculteurs afin de les chasser de leurs terres.
Ce tango se déroule depuis des décennies. Dans les années 1981 – 1982, un comité présidé par le vice-procureur général Yehudit Karp
fut chargé d’examiner les plaintes de Palestiniens victimes de
violences de la part des colons. A l’époque déjà, il avait trouvé des “défauts”
dans la conduite de la police. Et à l’époque déjà ce comité avait
estimé que le problème n’était pas d’ordre technique mais concernait la
conception qu’elle avait du maintient de l’ordre. Aujourd’hui, on peut
le dire de manière plus directe : le problème c’est l’objectif
suprême depuis 1948, à savoir aussi peu de Palestiniens que possible sur
autant de territoire que possible pour les Juifs.
Un article de Guy Hircefeld, de Ta’ayush, sur le site 972
décrit l’indifférence de la police. Il dit que vendredi dernier, quand
les militants du groupe ont informé la police que des agresseurs juifs
approchaient, on leur a conseillé avec désinvolture d’enregistrer les
événements. Les personnes blessées au cours de l’attaque – qu’on a
erronément dites “légèrement blessées” sur bas des déclarations de la
police – ont été pratiquement mises en détention parce qu’elles
n’acceptaient pas de déposer une plainte immédiatement.
Les autorités chargées du maintien de l’ordre et de la loi n’agissent
pas au nom d’une abstraction de loi et d’un ordre universel. Elles
représentent le Juif israélien moyen qui sait qu’à tout moment il
pourrait obtenir une habitation fortement subventionnée en Cisjordanie avec un jardin et un paysage splendide.
Le problème mineur que les propriétaires du terrain (public ou privé)
se trouvent être des Palestiniens est résolu par l’usage de la force.
Les colons ne sont qu’une force supplétive de la violence
gouvernementale, dont le citoyen juif tire profit.
Cet article a été publié par Haaretz le 26 avril 2017, sous le titre “The Israeli Tango”.
Traduction : Luc Delval
Amira Hass est une journaliste israélienne, travaillant pour le journal Haaretz. Elle a été pendant de longues années l’unique journaliste israélienne à vivre à Gaza, et a notamment écrit « Boire la mer à Gaza » (Editions La Fabrique).
Notes
[1] Les “Accords d’Oslo”
ont abouti à la division de la Cisjordanie occupée en trois zones : la
zone A, que l’Autorité palestinienne de Ramallah est supposée gérer de
manière autonome (ce qui n’empêche pas l’armée d’occupation israélienne
d’y agir à sa guise), la zone B que l’Autorité palestinienne est
supposée gérer mais où les questions relatives à la sécurité restent du
ressort exclusif de l’armée d’occupation, et la zone C que l’occupant
israélien gère entièrement. La zone C représente 60% du territoire
considéré. – NDLR
[2] Comme son nom ne l’indique pas,
l’administration civile est une branche du pouvoir militaire israélien
dans les territoires occupés qui gère les questions civile, comme par
exemple les permis de construire (qu’elle a pour mission de refuser
quand ils sont demandés par des Palestiniens) – NDLR
Pour la Palestine
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