Le tribunal a demandé à Moshe Ben-Zion Moskowitz, un colon juif de Shiloh, en Cisjordanie, si quand il a commencé à cultiver une parcelle faisant partie du village palestinien de Qaryut, en 1980, il en était propriétaire. Par deux fois il a répondu à la juge que le propriétaire était Dieu. Mais l’avocat Jiat Nasser n’a pas lâché prise : possédait-il personnellement cette terre ? Et Moskowitz a fini par répondre que non, il n’en était pas personnellement propriétaire, mais qu’elle appartient au peuple juif.
Et comme Nasser insistait : “Est-il exact que vous n’avez pas acheté cette terre ?”, Moskowitz répondit : “C’est la terre du peuple juif”.
Pourtant, ni Dieu ni le peuple juif n’ont aidé Moskowitz à gagner le procès qu’il avait intenté en 2010 contre le conseil local de Qaryut et certains de ses habitants. Le tribunal n’a pas accepté la Bible comme titre de propriété.
Moskowitz avait demandé au tribunal d’empêcher les
Palestiniens qu’il avait assignés de le harceler, expliquait-il, en
déposant des plaintes contre lui auprès de la police, et en essayant de
cultiver la même terre. Pendant 30 ans, affirmait-il, il avait travaillé
cette terre sans rencontrer de problèmes, jusqu’à ce qu’à la moitié de
2007 arrive le Rabbin Arik Ascherman (qui faisait alors partie de “Rabbis for Human Rights”, aujourd’hui de “Haqel – Jews and Arabs in Defense of Human Rights”) qui réclama des preuves de propriété.
“Je lui ai montré la Bible. Nous sommes revenus sur notre terre”, dit Moskowitz au tribunal en décembre 2010.
Mais, après un débat juridique exténuant, la juge Miriam Lifshits décida en avril 2016 que Moskowitz
était en défaut de rapporter la preuve qu’il avait cultivé la terre
sans discontinuer depuis 1980, ou du moins pendant les dix années
précédant l’introduction de la plainte. À l’inverse, les parties
adverses avaient démontré leurs liens avec cette terre et l’usage qu’ils
en avaient fait. La juge Lifshits n’avait pas trouvé de preuve que la terre en question était en jachère quand Moskowitz
s’en était emparé. Il n’a jamais transmis au tribunal les documents
qu’il avait promis, ses déclarations à la police étaient en
contradiction avec ce qu’il avait dit au tribunal, et des témoins
démentaient ses dires.
Pourtant, alors que la Bible et le peuple juif lui faisaient défaut,
les organes de l’État chargés de faire respecter la loi – la police,
l’armée et l’Administration civile de la Cisjordanie – n’en firent pas
autant.
Un an après la décision du tribunal, ils n’ont pas bougé le petit doigt pour faire enlever les serres que Moskowitz a construites sur les terres en question pendant que le procès était en cours. Et cette semaine, le Colonel Yuval Gez, qui commande la Brigade Binyamin, a empêché les propriétaires légaux d’y entrer, pour la première fois depuis 2007.
Leur avocat, Kamer Mashraqi-Assad, avait demandé
depuis un an à l’armée d’escorter les propriétaires légitimes jusqu’à
leurs terres. Il est vrai qu’elles ne sont pas situées dans la zone où
l’armée requiert qu’on soit escorté en raison des craintes de violences
exercées par les colons, mais les agriculteurs [palestiniens] avait
témoigné devant le tribunal des menaces de violences dont ils avaient
fait l’objet dans le passé.
Les colons “viennent avec leurs fusils et des chiens, et nous n’avons rien pour nous opposer à eux”, a expliqué Tareq Odeh, de Qaryut, au tribunal en décembre 2010. “J’ai deux parcelles de terre où je ne peux me rendre, par peur des colons”. Moskowitz, avait-il encore expliqué, “est
armé. S’il descendait cinq d’entre nous, personne ne lui demanderait
rien. Mais si l’un d’entre nous lui avait lancé une seule pierre, aucun
d’entre nous ne s’en serait sorti”.
Odeh est mort l’année dernière, et il n’a donc jamais connu l’issue du procès.
Le week-end dernier, le bureau de liaison de l’armée a prévenu Mashraqi-Assad
qu’une escorte avait été organisée ce mardi pour les cultivateurs. Et
même si ce n’était que pour un seul jour, ils étaient fort impatients de
retourner sur leurs terres.
Mais lundi soir, Mashraqi-Assad les a avertis que
l’armée avait changé d’avis. Le commandant de la brigade ne voulait plus
fournir d’escorte, en raison de la présence de colons dans les
environs.
Mardi matin, Haaretz a demandé au porte-parole de l’armée si le Colonel Yuval Gez
a peur de la violence des colons ou s’il partage leur objectif qui est
de s’emparer de la terre et d’en chasser les gens qui en sont
propriétaires depuis une époque où Israël n’existait pas, avant 1948.
Mercredi soir, l’armée répondit que l’escorte avait été initialement
approuvée “alors que dans cette zone ce n’est pas nécessaire”. Mais “lors
d’une inspections préalable, la veille de la date convenue pour entrer
dans les parcelles, nous avons constaté la présence de serres qui
n’appartiennent pas à celui qui a introduit la demande [d’escorte],
qui par conséquence ne pouvait pas être mise en œuvre en pratique. Nous
avons décidé de postposer la date convenue pour travailler sur ces
terres de manière qu’une solution à ce problème puisse être envisagée
avec les professionnels compétents. Une réponse au problème sera donnée
rapidement”.
Les autorités ont également laissé des colons envahir des terres qui
sont la propriété privée de Palestiniens, dans le nord-est de la
Cisjordanie, près de Tubas et de Bardala, tout en interdisant l’accès à des bergers palestiniens, et cela en dépit d’une décision judiciaire.
Il y a des décennies de cela, la partie du nord de la vallée du
Jourdain séparant la frontière et la rivière fut interdite aux
Palestiniens qui la possédaient et y travaillaient, par ordre de
l’armée. Les colons ont profité de la situation pour s’emparer d’environ
5.000 dunams (±500 hectares) de terres appartenant à des personnes
privées, et les autorités n’en ignorent rien.
Un recours devant la Haute Cour de Justice par l’avocat Tawfiq Jabareen
a permis d’obtenir un ordre de cessation, au début de 2016. Pourtant,
les colons exploitent toujours une partie de ces terres, mais l’ordre de
cessation est bel et bien appliqué pour les bergers palestiniens qui
ont pu à nouveau abreuver leur bétail à la source de Ein Saqut…
du moins jusqu’à ce que, lundi dernier, l’Administration civile leur
interdise de faire boire leurs animaux là. Il se trouve que quelques
jours auparavant des troupeaux de “vaches juives” s’y étaient installés.
Ils proviennent d’une colonie, un “avant poste” illégal, construit en janvier à la limite de la réserve naturelle de Umm Zuqa,
non loin d’une base militaire où est stationné un bataillon
ultra-orthodoxe. En dépit d’un ordre d’arrêter les travaux délivré
contre l’avant-poste, il continue à s’étendre, et ses habitants essaient de chasser les bergers palestiniens de leur territoire de pâturage.
Il y a deux semaines, l’organisation “Machsom Watch” a découvert que l’avant-poste
s’alimentait en eau via un raccordement illégal à la base militaire
voisine. Après vérification, un porte-parole de l’armée a confirmé que
le commandant de la base n’était pas au courant, et une enquête fut
ouverte. Comme par hasard, ou pas, le troupeau de bovins [des colons]
déménagea alors vers Ein Saqut.
Mercredi, quatre soldats ont ordonné aux bergers palestiniens de
déguerpir et de ne plus s’approcher des vaches des colons. Mais lorsque
des militants de “Machsom Watch” sont arrivés, “les soldats ont changé de ton et ont permis aux Palestiniens de rester avec leur troupeau, mais pas de s’approcher de la source”, explique l’un d’entre eux, Daphne Banai. “Ils
ont expliqué qu’on est dans une réserve naturelle et que les vaches
n’ont pas le droit d’y entrer. Mais quand les soldats sont partis j’ai
vu les colons qui conduisaient leurs vaches à la source”.
Haaretz a demandé au Coordinateur des Activités Gouvernementales dans
les Territoires [occupés] (COGAT), à la police du district de Shai et
au porte-parole de l’armée s’ils sont au courant de la présence de
bétail sur des terres privées appartenant à des Palestiniens, et si
interdire à des bergers d’accéder à la source était un incident isolé ou
une politique. Aucune réponse n’a été apportée à ces questions au
moment où ces lignes ont été écrites.
Cet article a été publié par Haaretz le 28 avril 2017,
sous le titre “Winning in Israeli Court Isn’t Enough to Get You
Justice, Palestinian Farmers Are Reminded” – Traduction : Luc Delval
Amira Hass est une journaliste israélienne, travaillant pour le journal Haaretz. Elle a été pendant de longues années l’unique journaliste israélienne à vivre à Gaza, et a notamment écrit « Boire la mer à Gaza » (Editions La Fabrique).
Pour la Palestine
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