Bastions de l’opposition au régime de Bachar al-Assad, dès 2012, les quartiers est de la ville d’Alep sont revenus dans le giron du régime syrien, le 22 décembre 2016. Mais les stigmates de la guerre civile sont partout présents. L’ancienne capitale économique du pays mettra du temps avant de se relever.
Pour parvenir jusqu’à Alep, il faut emprunter une route de contournement qui serpente dans le désert. L’autoroute principale, qui relie la capitale, Damas, à la grande ville du nord, n’est plus utilisée car elle traverse des zones rebelles. Chaque jour, des centaines de camions font la noria sur cette « voie sacrée » pour le régime de Bachar al-Assad qui assure le contrôle de la « Syrie utile » (lire ci-dessous). De part et d’autre de la route, un chapelet de fortins militaires et de checkpoints assure la sécurité. Chaque jour, à l’aube, des équipes de démineurs inspectent les bas-côtés à la recherche d’engins explosifs.
Une ville défigurée
Depuis le 22 décembre dernier, Alep est réunifiée. Les groupes armés
qui tenaient la partie orientale ont été exfiltrés, sous la supervision
des Russes. La ville, qui, avant-guerre, représentait 40 % de l’économie
syrienne, s’est réveillée défigurée après cinq ans de combats. Le
centre historique, bâti autour des souks, de la citadelle et de la
mosquée des Omeyades, a beaucoup souffert. « C’est comme si un
tremblement de terre s’était abattu sur notre patrimoine », constate,
désabusée, Hélène Kilo, ingénieure civile au département des antiquités.
Le bilan est terrible : 30 % du centre historique sont rasés ou
quasiment détruits, 30 % sont endommagés et 40 % sont à peu près sortis
intacts des combats.
Dans les rues, les portraits de Bachar al-Assad sont partout. Le raïs
syrien apparaît en costume cravate, en treillis militaire ou en
compagnie de Vladimir Poutine. Des slogans de propagande proclament que «
Bachar, c’est la forteresse de la résistance ! »
Dans la partie ouest, tout semble normal, en apparence. Les quartiers
ont moins souffert des bombardements. Le bruit lancinant des
générateurs rappelle que le réseau électrique ne fonctionne plus, de
même que celui d’eau potable. Une centaine de puits ont été forés pour
ravitailler les habitants qui font la queue avec des bidons et des
jerricanes. L’Unicef distribue des pastilles de chlore pour purifier
l’eau. « Les gens soufflent un peu, reconnaît Laurène Bakalian, une
employée de banque qui n’a pas voulu quitter Alep malgré les combats. Il
n’y a plus de missiles qui nous tombent dessus. À la banque, des
clients sont rentrés du Liban pour faire le point sur leurs comptes. Ils
reviennent voir leur magasin ou leur usine ».
Retour de ceux qui avaient fui
Dans les anciens quartiers d’Alep-Est, tenus par les rebelles, les
dégâts sont considérables. Sous les bombardements, les habitants ont fui
en masse vers la Turquie ou la province voisine d’Idlib. Selon le
Comité international de la Croix-Rouge (CICR), 100.000 personnes
seraient revenues dans leurs foyers depuis la réunification de la ville,
même quand les immeubles sont endommagés. Dans Hanano, par exemple,
immense quartier populaire, l’aide humanitaire s’organise. Des cuisines
mobiles fournissent gratuitement des sandwichs de « falafels », sortes
de boulettes de pois chiches cuites dans l’huile. C’est l’Iran qui paie
ces Restos du coeur version syrienne.
Le Croissant rouge syrien fournit, de son côté, des cartes de
téléphone et des petits chargeurs solaires que les habitants installent
sur leurs fenêtres : ils permettent d’alimenter une ampoule et une
batterie de portable. « Sans cette aide, nous ne pourrions pas vivre.
Mon mari est peintre en bâtiment, mais il n’y a pas de travail »,
explique Oum Jomaa, une habitante du quartier. Quelques vendeurs se sont
installés sur les trottoirs et proposent des fruits et légumes, des
gâteaux ou encore des chaussures. La vie reprend timidement.
Les Russes discrets mais présents
Un hôpital mobile de l’armée russe sillonne les quartiers orientaux.
Dans la ville, les soldats de Poutine sont discrets mais présents dans
certains commissariats, pour faciliter le retour à la paix. Les
militaires russes forment également des démineurs car la ville regorge
d’obus et de munitions non explosés qui font encore des victimes,
notamment chez les enfants qui les confondent avec des jouets.
Les zones industrielles d’Alep ont été pillées et endommagées pendant
les combats. Celle d’Al-Arqoub, la plus ancienne de la ville, n’a
pourtant quasiment jamais cessé son activité. Samih Kokh est patron d’un
atelier de filature. Le plafond de son bureau s’est effondré à cause
d’un tir de roquette. « Malgré les dangers, explique-il, j’ai tenu à
rester dans mon pays. Si je dois mourir, c’est ici. Mes huit employés
sont partis, la plupart en Turquie. Je travaille seul avec mon fils. »
Comme Samih Kokh, qui a survécu dans l’enfer de la guerre, les Aleppins
ont conscience que le pire est derrière eux.
Le Télégramme, Christian Chesnot, 26-04-2017. Via Les Crises.
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