Les terribles tortures
régulièrement infligées à des centaines de milliers de Palestiniens par
Israël (sujet du film "Ghost Hunting" de Raed Aboni, à voir pendant le
Festival Ciné-Palestine) laissent indifférents nos gouvernements. Gideon
Levy en donne ici un exemple frappant. Mais qu’attendent les
organisations qui luttent contre la torture pour entamer des poursuites
judiciaires, alors que tous les éléments de preuves sont réunis ?
Atroces tortures infligées à un jeune Palestinien dans un centre de détention israélien
Une blessure au cours d’un affrontement avec l’armée israélienne : début du cauchemar de Bara Kana’an
Gideon Levy et Alex Levac
26 mai 2017
Maintenant, Bara Kana’an n’a plus de cheveux. On venait de le tondre,
le jour où nous lui avons rendu visite, la semaine dernière, juste
après sa sortie de l’hôpital. Une casquette de baseball noire recouvre à
présent son crâne dégarni, un bras se balance dans une écharpe. Il est
pâle. Il est assis dans le séjour, chez ses parents, entouré de ses
proches qui sont venus l’accueillir chez lui. Des soldats israéliens lui
avaient coupé des touffes de cheveux, pour l’humilier – il semble. Le
coiffeur de Beit Rima, son village situé au nord-est de Ramallah, a
essayé de réparer la situation en lui tondant toute la tête.
Kana’an qui travaille habituellement dans une menuiserie, tout près, à
Bir Zeit, paraît plus jeune que son âge de 20 ans – peut-être à cause
de sa calvitie. Depuis quelques années, il prend part aux manifestations
hebdomadaires dans le village de Nabi Saleh, contre la barrière de
séparation et l’occupation. Le village, connu pour sa résistance
persistante et non-violente, se trouve à environ cinq kilomètres de chez
lui. Kana’an était là lui aussi, il y a quinze jours, lorsque la
manifestation se consacrait à exprimer la solidarité avec les
prisonniers palestiniens en grève de la faim, qui sont détenus en
Israël. Jusque-là, Kana’an n’avait jamais été blessé ni arrêté lors
d’une manif.
Les manifestants se sont mis en route comme d’habitude, à 13 heures,
devant la mosquée située au centre du village, et ont marché vers la
route par où on quitte Nabi Saleh dominé par la tour de contrôle en
ciment armé des « Forces de Défense » israéliennes, en face de la
colonie d’Halamish. Comme à l’habitude, des soldats et un contingent de
la Police des Frontières les ont accueillis avec la dose réglementaire
de gaz lacrymogène, de grenades assourdissantes et de balles d’acier
enrobées de caoutchouc. Quelques manifestants jetaient des pierres. Tout
se passait comme d’habitude, quand la routine a été brutalement cassée
par le meurtre d’un manifestant : Saba Nadal Abid de Nabi Saleh, âgé de
20 ans, est mort à l’hôpital, après avoir été touché à la poitrine par
une balle tirée par le fusil Ruger d’un soldat.
Après une trentaine de minutes de pierres et de gaz lacrymogène, au
moment où il se réfugie derrière une poubelle laissée dans la rue, il
voit que son cousin de 19 ans, Nadim Kana’an a été blessé, ayant été
touché derrière le cou par une balle d’acier enrobée de caoutchouc. Bara
s’empresse de l’amener à l’ambulance palestinienne qui se trouve sur
place, comme d’habitude au moment des manifestations, pour toutes les
éventualités – ce qui arrive toujours : Des personnes sont blessées ou
sont affectées par le gaz lacrymogène presque chaque semaine.
Les deux cousins montent dans l’ambulance qui se dirige vers le nord,
en direction de l’hôpital de Salfit, pour qu’on y soigne Nadim. (Nadim y
reste deux jours puis en sort). Mais quand ils arrivent à
l’intersection au pied de la tour de contrôle des FDI, des soldats
sortent en courant et bloquent la route. Bara pense qu’il y en avait une
dizaine.
Quelques-uns entrent dans l’ambulance et photographient la blessure
de Nadim puis donnent l’ordre à Bara de sortir du véhicule. En le
fouillant, ils trouvent un lance-pierre, sur quoi ils ordonnent à Bara
de se mettre derrière la jeep. Ils lui bandent les yeux et lui attachent
les mains derrière le dos avec de menottes en plastique.
C’est le début de dix heures de mauvais traitements - Ka’anan s’en
souvient bien. Ce sont les heures les plus pénibles de sa vie. Par
moments, dit-il, il était sûr de ne pas s’en sortir.
On le remet violemment dans la jeep qui roule environ 10 minutes
avant de s’arrêter. On l’emmène à un endroit où il sent qu’il y a un mur
en métal autour de lui, peut-être dans un conteneur maritime. Personne
ne dit rien, il ne sait pas du tout ce que ses ravisseurs veulent faire
de lui, ni la raison derrière cela. Ils ne répondent pas à ses
questions.
On force Ka’anan à rester assis sur un tabouret pendant des heures,
toujours les mains liées et les yeux bandés. Des soldats entrent et se
mettent à lui donner des coups de pied. L’un d’eux le gifle. Il a le
vertige et tombe de son siège. Alors qu’il est allongé par terre, l’un
d’eux marche sur sa poitrine. On le tire et on le remet sur le tabouret
puis toutes les cinq minutes, des soldats entrent et lui donnent des
coups de pied. On le fracasse avec un casque ou on l’injurie. Chaque
fois qu’il baisse la tête en avant pour se reposer, on le redresse et on
lui dit de se tenir droit. Après deux heures de ce genre de traitement,
les soldats lui offrent à manger mais, incapable de voir ce que c’est,
il ne mange que deux bouchées. On ne lui donne rien de plus ce soir-là.
Plus tard, on lui met une bouteille d’eau à la bouche, mais il a un
haut-le-cœur et l’eau s’écoule sur ses vêtements.
Quelques heures plus tard, on l’amène à un autre endroit. Une fois de
plus on le force à s’asseoir, une fois de plus il baisse la tête,
épuisé, une fois de plus les soldats le forcent à se redresser.
Lorsqu’il dit qu’il lui faut se soulager, on le sort et on lui ouvre sa
braguette, mais, dit-il, on lui donne des coups de pied et il mouille
son pantalon. On ne lui enlève pas ses menottes et personne ne lui
referme sa fermeture éclair.
Ses ravisseurs continuent à l’injurier. En même temps, se rappelle
Ka’anan, ils l’obligent à répéter constamment après eux, des calomnies
contre Mohammed : « Mohammed est un cochon, Mohammed est un âne ». Un
des soldats, lui dit et répète en arabe : « Tu es mon âne ». Il ne veut
pas répéter ces obscénités. De temps en temps, les soldats soulèvent le
bandeau un instant et disent : « Tu vois, les soldats sont tes amis ». À
ce moment-là, il en voit trois. À plusieurs reprises, ils le font
tomber puis le ramassent.
Une fois, il sent qu’on le mène à un nouvel endroit isolé et il
commence à craindre pour sa vie. Ses craintes augmentent lorsqu’un de
ses ravisseurs lui met un revolver à la tête : « Je veux te tuer », dit
le soldat, et il semble à Ka’anan qu’il en a l’intention. Il prie tout
haut – prière que les Musulmans récitent avant de mourir. Un soldat lui
donne un autre coup de pied et il tombe une autre fois. Le soldat lui
ordonne de se relever et compte jusqu’à 10. Mais Ka’anan ne le fait pas
après 10.
Il est maintenant très tard. On emmène le jeune Palestinien dans une
base militaire. Il ne sait pas où. On apporte des ciseaux et on coupe
ses menottes. Avec ces ciseaux, les soldats lui coupent des touffes de
cheveux, après quoi ils le relâchent et lui donnent l’ordre de marcher
en pleine nuit vers Nabi Saleh, où tout a commencé.
À la fin, une voiture palestinienne l’a ramené chez lui. Il était 2
heures du matin, dit-il. Dix heures depuis le début de son épreuve. Ses
parents l’ont conduit à l’hôpital de Salfit où il a subi des tests puis
il en est sorti. Il a toujours quelques cicatrices mais ça ne semble pas
sérieux. Il nous montre une photo de son crâne bigarré.
Les porte-parole des FDI ont raconté cette histoire à Haaretz : « Le
vendredi 12 mai, il y a eu du tapage violent et illégal dans le village
de Nabi Saleh, durant lequel des douzaines de Palestiniens ont jeté des
pierres et fait rouler des pneus en flammes à destination des forces de
l’ordre. Ka’anan a été arrêté, soupçonné d’avoir participé au tapage et
on a trouvé un lance-pierre sur lui. On a conduit le suspect à un
avant-poste des FDI, où on l’a détenu environ cinq heures, durant
lesquelles, après vérification, on n’a trouvé aucune preuve de violence
exercée contre le détenu. On a répondu à ses besoins personnels et il a
subi un examen médical ».
S’il a « participé au tapage », pourquoi l’a-t-on relâché ? Et s’il n’y a pas participé, pourquoi l’a-t-on détenu ? Ira-t-il à la nouvelle manif vendredi ? Non, dit Bara Kana’an, tout en retenant un sourire embarrassé.
(Traduit par Chantal C. pour CAPJPO-EuroPalestine)
Source : http://www.haaretz.com/israel-news/.premium-1.791904
CAPJPO-EuroPalestine
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