jeudi 29 juin 2017

Un Palestinien est tué, et un Juif est accusé. Qui est coupable ? La balle !

Amira Hass

En quittant la petite salle d’audience, le coupable a eu soin de toucher la mezuzah fixée sur le côté de la porte. II venait d’avouer qu’il avait blessé quelqu’un avec circonstances aggravantes et causé sa mort par négligence.

Dimanche, au cours de l’audience mettant un point final à une procédure qui s’est étirée sur deux ans et demi, une jeune femme avait tendrement, à plusieurs reprises, caressé le dos du tueur par négligence.
Le mort par négligence était Nadim Nuwara, un adolescent de Ramallah. Le condamné est Ben Deri, un ancien membre de la police des frontières, de Rishon Letzion. L’audience a eu lieu au tribunal de district de Jérusalem, dans Jérusalem-Est occupée. 
Il s’agit donc d’un nouveau cas d’un Israélien en uniforme qui a pris la vie d’un Palestinien, qui a glissé sous le radar des médias avec une aisance qui n’a plus rien d’exceptionnel. La seule chose qui soit inhabituelle ici – et cela ne fut possible que grâce à la détermination du père endeuillé, Siam Nuwara, et de la présence inattendue de caméras de sécurité et de CNN – c’est qu’il y a eu une enquête suivie d’un procès. Le glissement a ainsi été plus lent que d’habitude.
L’annonce d’un accord entre l’accusé Deri et l’accusation [1] mentionne : “Avant d’ouvrir le feu, l’accusé n’a ressenti aucun danger et savait qu’il n’y avait aucune justification pour tirer”. C’est exactement ce qu’avaient dit les témoins qui se trouvaient à  Bitunya en ce 15 mai 2014, le jour où les Palestiniens commémorent la Nakba, leur “catastrophe” de 1948.
Des jeunes gens approchaient le checkpoint militaire qui sépare Ramallah des villages situés plus au sud, qui rend efficace l’annexion du bloc de colonies [juives] de Givat Ze’ev par Israël. Une compagnie de la police des frontières fut envoyée dans l’enclave palestinienne et et se positionna sur un balcon. Les pierres lancées, en signe de protestation, par les jeunes gens alors qu’ils se trouvaient à une distance de 70 à 80 mètres n’étaient qu’un geste symbolique et ne pouvaient atteindre les policiers ou le checkpoint. Lorsque Deri a visé, puis tiré et atteint Nuwara, celui-ci ne tenait même pas une de ces pierres symboliques en main.
Étant donné que le mort était un jeune Palestinien, et que le coupable était un Juif, nous – en tant que nation de vétérans de l’armée entraînés au tir – sommes portés à croire l’histoire concoctée par le procureur d’État avec l’aide de l’avocat Zion Amir, à savoir qu’une “balle réelle” s’était malencontreusement trouvée mélangé avec les balles enrobées de caoutchouc, qui étaient les seules que Déri était autorisé à utiliser. Et c’est pourquoi celui-ci n’a pas été jugé pour meurtre, comme cela figurait initialement dans l’acte d’accusation, mais pour homicide par négligence.
Deri, qui est donc un type négligent, n’a pas vérifié s’il n’y avait pas une unique “balle réelle”, une orpheline égarée par hasard, qui s’était frayée par erreur un chemin jusque dans son arme juste avant qu’il ouvre le feu, afin de frapper un adolescent qui marchait, les bras le long du corps, à 80 mètres de lui. On notera cependant que cette agression préméditée aurait été une violation des ordre reçus même si la balle utilisée avait été enrobée de caoutchouc.
Nous, qui excellons tant dans l’art de lire dans l’esprit des Palestiniens et sur leurs pages Facebook, nous croyons la police et les services du procureur quand ils disent qu’ils ne peuvent pas vérifier comment il se fait que trois autres Palestiniens ont été atteints par des tirs à balles réelles ce même jour, au même endroit, tirées par des hommes appartenant à la même compagnie de la police des frontières que Deri. L’un d’entre eux, Mohammed Salameh, fut tué. Et seuls Deri et un autre membre de la police des frontières présent sur place avaient l’autorisation de tirer. Et uniquement avec des balles enrobées de caoutchouc.
La mission est maintenant pratiquement terminée. Le spectacle de la loi et de la Justice a été présenté.
Plus tôt, au cours de ce mois de juin, les juges Noam Sohlberg (qui est un des habitants de la colonie de Alon Shvut), Neal Hendel et Anat Baron, de la Cour Suprême, ont rejeté le recours de la famille de la victime contre l’accord de “plaider coupable” [dont a bénéficié Deri]. Tout ce qu’il faut encore attendre, c’est le prononcé de la sentence, qui aura lieu en septembre.
Et, parce que la victime est un Palestinien et que le coupable est un Juif, la famille de Deri, ses amis et l’organisation d’extrême-droite Honenu [déjà évoquée ici à plusieurs reprises – NDLR] qui l’ont accompagné tout au long de la procédure judiciaire, ont d’excellentes raisons de supposer que le juge Daniel Teferberg ne se montrera pas trop sévère avec lui.
Après avoir initialement manifesté leur soutien à Deri, les médias [israéliens] observent un silence qui est calculé. C’est un excellent moyen d’effacer la fait que Deri a agi comme l’ont fait beaucoup de policiers et de soldats avant lui envers des Palestiniens, et de s’assurer que beaucoup d’autres peuvent continuer à agir de même.

Le silence est une manière de permettre au juge de rendre une sentence clémente, tout en accordant la plus grande considération aux sentiments de Deri et à la préservation de son avenir.
         

[1]  “plea bargain” : équivalent mutatis mutandis dans la procédure pénale israélienne de la “comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité” dans certains pays européens. L’accusé reconnaît certains faits, la peine est négociée (à la baisse quand il s’agit d’un Israélien, ou pour éviter la prolongation indéfinie d’une détention administrative sans jugement quand c’est un Palestinien). – NDLR

Cet article a été publié par Haaretz le 21 juin 2017, sous le titre “A Palestinian Is Killed and a Jew Is Convicted. The Bullet ? An Accident”. 

Traduction : Luc Delval

Amira Hass est une journaliste israélienne, travaillant pour le journal Haaretz. Elle a été pendant de longues années l’unique journaliste israélienne à vivre à Gaza, et a notamment écrit « Boire la mer à Gaza » (Editions La Fabrique).

Pour la Palestine

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