
J’avoue être d’abord resté coi devant le nouveau coup fourré
d’Emmanuel Macron contre les territoires : 300 millions d’euros de
dotations aux collectivités pour la fin de l’année 2017 annulés en douce
d’un trait de plume présidentiel le 20 juillet dernier. Et il est
heureux que le journal Libération s’en soit aperçu le 1er août faute de quoi la pratique financière élyséenne aurait eu des airs de fraude budgétaire sur le dos des collectivités !
Alors bien sûr j’ai pensé prendre le clavier pour mettre en évidence
la méthode détestable qui est celle employée par Emmanuel Macron : trois
jours avant cette coupe claire, lors de la conférence des territoires
qu’il avait convoquée au Sénat, Emmanuel Macron s’était en effet engagé
devant les associations d’élus à ne pas baisser brutalement les
dotations aux collectivités pour 2018. Cynique, il s’est donc empressé
de raboter dans leur dos les dotations pour… 2017.
Bien sûr j’ai aussi pensé évoquer le mépris qui suinte du service après vente gouvernemental comme lorsque le ministère de la cohésion des territoires a ainsi tenté de justifier que « les programmations 2018 permettront de revenir sur les opérations qui seraient ainsi décalées. » Sauf
que voilà, en 2018 et les années suivantes, cela va aussi être
ceinture. Car le 17 juillet, Emmanuel Macron a aussi surclassé ses
promesses de campagne, faisant passer l’anémie budgétaire des
collectivités de 10 à 13 milliards ! Une fois élu, le suzerain ne se
refuse rien, tant que c’est sur le dos de ses sujets : 3 Mds de
restrictions supplémentaires ont ainsi été impérieusement décrétés.
Bien sûr, j’ai pensé mettre en lumière la continuité libérale dans
laquelle s’inscrit Emmanuel Macron, lui qui, lorsqu’il était ministre de
l’économie et des finances de François Hollande, s’était attaché à
mettre scrupuleusement en œuvre la seconde vague (2014-2017) de la
saignée des collectivités locales. Constat est établi qu’une fois aux
manettes, Macron copie-colle la politique de celui-ci. En pire.
Bien sûr, bien sûr, bien sûr… Mais chemin faisant, une interrogation
m’a assailli. Quelle mouche pique Emmanuel Macron pour se jeter de la
sorte à l’assaut des territoires à deux mois d’élections sénatoriales
dont le Président avait initialement fait un enjeu électoral pour
s’implanter dans la chambre haute et renforcer ainsi la main qui est la
sienne sur le Parlement ?
C’est que l’installation de LREM s’avère plus compliquée que prévue.
La déferlante macroniste des législatives a laissé place à l’incurie
parlementaire des siens. Les orientations ministérielles ont révélé le
retour du libéralisme le plus échevelé. Et les doutes sur l’exercice de
la présidence jupiterrienne, après notamment l’épisode des armées, ont
fragilisé jusqu’à sa sainteté elle-même qui dégringole dans les sondages
au point de se hollandiser avant l’heure.
Sur le terrain, dans les collectivités, le doute s’est déjà installé.
Ceux qui hier encore s’apprêtaient à rallier le camp présidentiel par
opportunisme sont saisis d’un doute. Et si tout cela n’était que feu de
paille ? Macron mérite-t-il de lâcher la proie pour l’ombre ? Que
ceux-là en soient amenés à se poser la question témoigne de
l’essoufflement de la vague d’entraînement macroniste.
Pire : la désillusion se matérialise. Voyez la mairie de Fresnes dans
le Val-de-Marne, où le député macroniste, Jean-Jacques Bridey, a voulu
passer la main à l’une de ses affidées…avant d’être mis en minorité lors
du conseil municipal d’investiture. Voyez aussi la difficulté pour LREM
à présenter candidats et listes aux sénatoriales : 170 candidat-e-s
sont nécessaires mais le parti peine pour l’instant à en annoncer plus
de 45. Et les alliés de circonstance d’hier, Modem ou RDSE, pourtant
bien pourvus en ministères lors de la gratification présidentielle,
reprennent leur indépendance pour s’assurer dans nombre de départements
des élu-e-s sous leurs propres couleurs. D’une trentaine de sénateurs
aujourd’hui, le groupe LREM pourrait au mieux atteindre une cinquantaine
d’élus : tout sauf une percée pour celui qui sur son nom s’est offert
une majorité absolue écrasante à l’Assemblée il y a un mois et demi.
Bref, tout porte à croire que les sénatoriales ne seront pas l’étape
d’enracinement dans le pays telle qu’Emmanuel Macron la souhaitait et la
prévoyait hier encore. Mais celui-ci est trop fin tacticien pour ne pas
prendre la mesure de ce ressac. Il est également trop cynique pour ne
pas tenter de s’en extirper à tout prix. Par-delà les commentaires qui
ne manquent pas d’apparaître sur le retour de l’austérité ou sur le
fait du prince imposé à ses vassaux, c’est donc sans doute tout autant à
l’aune des sénatoriales qu’il faut lire le tir de barrage engagé par
Macron contre les collectivités durant l’été : puisque les sénatoriales
ne peuvent pas représenter une étape supplémentaire de conquête
macroniste, celui-là joue la politique de la terre brûlée pour mieux
pouvoir se soustraire au résultat du 24 septembre.
La recette a certes un goût de réchauffé mais elle est efficace : au
soir du vote, tout ce qui n’est pas LREM pourra être taxé de
conservatisme face au « principe de réalité » incarné par la macronie.
Vent debout contre la baisse des dotations annoncée, les élu-e-s locaux
de tous bords seront renvoyés au vieux-monde qui défendrait ses intérêts
particuliers quand Macron et les siens incarneraient le renouveau en
osant eux enfin assumer le rétablissement de l’équilibre budgétaire,
fût-ce au prix du démantèlement du service-public, des usagers qui
subissent les restrictions d’accès ou de prestations, et des agents
publics qui se mettent en quatre pour préserver les apparences au prix
de leur bien être et de leur santé. Une fois encore, Macron voudrait
donc jouer à fronts renversés : être sous couvert de modernité le
vecteur de l’orthodoxie budgétaire du vieux modèle bruxellois qui
s’effondre, se faire le dépositaire de l’intérêt général, quand au
contraire sa politique propage le désordre social jusqu’aux échelons les
plus proches de nos concitoyens.
Il sera demain d’autant plus aisé pour le Président Macron de pousser
au démantèlement de l’architecture institutionnelle républicaine qui
organise notre pays qu’il aura ainsi commencé à en délégitimer tous les
échelons. Qui ne l’a pas entendu annoncer voilà s’attaquer aux
départements, en commençant par ceux de petite couronne : Sarkozy
l’avait rêvé, Valls l’avait tenté, Macron s’y essaie. Chantre des
métropoles comme il ne cesse de le rappeler, Macron n’a par ailleurs
retardé que d’un an l’assaut qu’il lance contre les communes avec la
suppression de la taxe d’habitation, asséchant encore un peu plus
celles-ci en termes de ressources propres. La saillie budgétaire
macroniste et son justificatif électoraliste préparent de fait une
offensive d’une toute autre ampleur contre le cadre républicain.
L’astuce sonne pourtant déjà comme un aveu d’impuissance. Car, en
adoptant une telle stratégie, Emmanuel Macron cimente l’opposition
contre lui. Il acte ainsi à son corps défendant le glissement en trois
mois à peine d’une orientation de rassemblement sous son manteau des
grandes familles politiques françaises telle que fût sa campagne
présidentielle, à une dimension d’affrontement de seul contre tous telle
que le laisse augurer le lancement de sa campagne pour les
sénatoriales. Prenons soin de constater que ce n’est pas rien :
l’arrimage d’une politique, surtout quand comme c’est le cas avec LREM ,
elle est le fait d’une incarnation omnipotente, tient sa solidité de sa
capacité à homogénéiser l’espace autour d’elle. Enfermé dans le jeu
électoraliste faute d’avoir voulu remettre à place l’assemblage
institutionnel de notre pays, Emmanuel Macron se laisse prendre au piège
de devenir un facteur d’homogénéisation mais cette fois à son encontre.
C’est ainsi toute la réflexion politique qui a structuré la conquête du
pouvoir macroniste qui vole en éclats.
Ces sénatoriales prennent ainsi tout à coup un intérêt qu’en lui-même
le scrutin indirect de la chambre haute ne pouvait laisser augurer.
François Cocq
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