Charles Sannat
Ave Uber, morituri te salutant. Je te salue Uber, ceux qui vont mourir te saluent.
C’était par ces paroles que les gladiateurs saluaient César – sauf
qu’il s’agissait de l’empereur Claudius de Rome et encore, on n’en est
pas vraiment sûr, mais n’étant pas historien, je m’en remets à mes
augustes et très cultivés lecteurs qui, j’en suis certain, sauront
m’apporter la version historique la plus crédible (et je vous
tiendrai au courant de cet appel à la culture collective de notre
communauté).
Bref, du coup, j’ai quelque peu détourné cette locution latine
célèbre pour l’adapter à notre monde moderne et prochainement
“post-conducteur”, car l’idée de la voiture autonome, c’est l’idée du
bus et de camions autonomes, c’est-à-dire sans chauffeur, ce qui veut
dire… sans masse salariale et sans “embêtement” puisqu’un homme c’est un
salaire et une “gestion des ressources humaines” à assurer. Bref, que
de temps perdu (à lire au second degré) et de problèmes que l’on
pourrait s’éviter en remplaçant tout cela par de belles machines.
Évidemment, ce sera pour votre bien.
Pour votre bien, plus le droit de conduire et on vous y prépare déjà !
Derrière la baisse de la vitesse sur les routes, il y a évidemment
l’excuse de la mortalité… Bon, personne ne vous dira que ceux qui
meurent aujourd’hui, généralement meurent dans de vieilles voitures (car
il en reste plein nos campagnes et zones rurales) sans airbags, sans
prétensionneurs, sans espace de déformations, bref, de vieilles
guimbardes, sur des routes défectueuses et connues pour leur
dangerosité.
Cela, on ne vous le dira pas, pourtant, on peut globalement
généraliser. 80 % des accidents sont plurifactoriels, avec un poil (ou
deux ou trois ou plus) d’alcool ou de “fumette récréative” comme il faut
dire, une vieille bagnole, et une route pourrie. En changeant le
paramètre “route pourrie” et “vieille bagnole”, on baisserait
considérablement la mortalité, si en plus on empêche de picoler, on
serait au top, mais cela demande des moyens humains et budgets
considérables pour les travaux.
Alors on baisse la vitesse et on lutte contre la “délinquance” routière…
Mais baisser la vitesse, c’est aussi permettre des conditions
globales plus favorables aux futures voitures autonomes et électriques.
Qui dit vitesse plus basse dit contraintes techniques moins fortes et
autonomie des batteries plus grande ou en tout cas, optimisée.
La logique sera donc de vous dégoûter de conduire en vous pénalisant
et criminalisant de plus en plus fortement jusqu’à ce que, sans permis,
vous soyez obligé de louer à vie une voiture électrique autonome que
l’on ne vous permettra plus d’acheter, histoire de vous pomper encore
plus. (Avez-vous vu que dans les pubs, désormais, on ne vous vend
presque plus une voiture à partir de 15 000 euros, mais à partir de
seulement 250 euros par mois… ou 5 euros par jour seulement !! Bref, on
vous vend un abonnement.)
La logique va consister, pour les gouvernements en place, qui n’ont
que foutre de l’intérêt des gens mais de la bonne utilisation de leur
pognon pour le compte des industries qu’ils servent, à baisser la
vitesse encore et encore au nom de votre bien et de votre sécurité…
Enfin, ça, c’est la théorie et la grande idée.
Mais un petit grain de sable fait dire que ce plan ne sera pas si simple à mettre en place !
“Il s’agit de l’un des premiers accidents mortels impliquant un
véhicule autonome, une technologie dont les États-Unis tentent
d’accélérer le déploiement sur leur territoire. Lundi 19 mars 2018, une
femme a été percutée par un véhicule autonome expérimental de la société
Uber, a annoncé la police de Tempe, dans l’Arizona, où s’est produit
l’accident. La victime n’a pas survécu à ses blessures. La société Uber a
publié un message indiquant “nos cœurs sont avec la famille de la
victime. Nous coopérons avec la police de Tempe et les autorités locales
qui enquêtent sur cet incident”…
C’est rassurant tout de même. Uber précise qu’ils vont coopérer avec
la police, comme s’il eut été possible qu’il en soit autrement… Ce qui
sera le cas quand les sommes investies seront telles qu’il faudra
étouffer les scandales et les risques au nom du profit et du retour sur
investissement. Les futurs crimes sont déjà écrits, déjà prévisibles, de
même que les “unes” des articles de presse.
“John Assange, le petit fils de Julian Assange, fondateur de
Wikileaks, publient les données internes de Google Car Research Center,
qui était au courant par pas moins de 189 études des dangers systémiques
potentiels d’une mise à jour intempestive de son OS voiture qui
pourrait provoquer un reboot généralisé de tous les véhicules alors
qu’ils sont en fonctionnement. Après les révélations, le groupe Google a
vu son cours en Bourse chuter de 68 % à Wall Street, et les pénalités
demandées par les familles des deux millions de morts sur la route lors
de l’accident global du 4 juillet 2035 pourraient dépasser les 100
milliards de crypto-dollars.”
Une piétonne est donc décédée
Ok, très bien, enfin très bien, façon de parler, très triste pour la
victime bien évidemment, mais les “scientistes” devraient insister sur
le fait que la science, hélas, avance rarement sans enjamber des
monceaux de cadavres. Parfois, ce sont des millions de morts, nous
n’avons pas idée, ou plutôt nous préférons ne pas avoir idée des
sacrifices que nous faisons ou demandons à d’autres pour notre confort
quotidien. Cela va des petits enfants chinois que nous faisons
travailler dans des usines de retraitement de déchets hautement
toxiques, en passant par la guerre en Libye dont Sarkozy commence à
avoir à s’expliquer, sans oublier par exemple les morts anonymes de
l’industrie nucléaire en France, et nous pourrions multiplier les
exemples à l’infini ou presque.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire et je le répète avec force en termes d’approche intellectuelle.
Si nous avons aujourd’hui 3 000 morts sur les routes qui sont
toujours de trop, l’accident de voiture est un risque individuel et
quand je dis individuel c’est à comprendre de la manière suivante : si
je fais une fausse manœuvre, je peux me tuer ainsi que mes passagers et
éventuellement ceux de la voiture d’en face. C’est un drame, individuel.
Mon accident n’entraîne pas un accident pour toutes les voitures qui
circulent en France.
Lorsque nous n’aurons que des voitures autonomes, fonctionnant sur le
même système, une panne générale de Google et ce sera presque aucun
accident pendant 10 ans, et la onzième année, 2 millions de morts, le
même jour, à la même seconde.
Nous passerons d’une logique de risque individuel à un risque collectif et systémique.
Les voitures autonomes sont une immense source de profit potentielle
puisqu’elles permettront de ne plus avoir à payer de chauffeurs. Les
“capitalistes” pousseront donc à la roue pour que cela soit mis en
service, trop vite et trop tôt. Et les drames à venir sont déjà
parfaitement prévisibles.
Nous ignorerons les signaux d’alerte précoces et feront passer pour
des attardés mentaux les pauvres gus comme moi qui alerteront sur les
évidences de changement d’approche et des risques qu’ils impliquent.
Encore une fois, nous passons d’une logique de mort individuelle à
une échelle de mort collective, et il serait souhaitable de pouvoir
demander à ceux qui vont mourir ce qu’ils en pensent.
Ceci
est un article ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction en tout
ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa
suite. Insolentiae.com est le site sur lequel Charles Sannat s’exprime
quotidiennement et livre un décryptage impertinent et sans concession de
l’actualité économique. Merci de visiter mon site. Vous pouvez vous
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