Sylvie Ducatteau
Des
citoyens ont retracé le circuit très opaque de la dette de
l’assurance-chômage française. Leur enquête montre que les détenteurs de
cette créance, auxquels l’Unédic verse 400 millions d’euros d’intérêts
par an, opèrent dans les paradis fiscaux.
Ce
vendredi matin, au moment même où le Conseil des ministres se penche
sur les réformes de la formation professionnelle, de l’apprentissage et
du système d’indemnisation du chômage qui constituent le projet de loi
« pour la liberté de choisir son avenir professionnel » – un titre pour
le moins décomplexé –, une quinzaine de membres du Groupe d’audit
citoyen de la dette de l’assurance-chômage (Gacdac) rendent public un
premier rapport sur la dette de l’Unédic. Ils dénoncent l’opacité du
financement de l’organisme chargé de la gestion des cotisations de 16,5
millions de salariés, un « système-dette » volontairement mis en place
par ses dirigeants avec le soutien de l’État et des investisseurs sur
les marchés financiers, détenteurs de 35 milliards d’euros de titres de
créances sur l’assurance-chômage. Des investisseurs dont certains
flirtent avec les paradis fiscaux, et se trouvent en bonne place sur les
listings des Panamas et Paradise Papers révélés dans la presse.
Où va l’argent de l’Unédic ? Quel est le niveau d’évasion
fiscale tiré des cotisations des salariés et de la CSG, l’impôt payé par
les salariés et les retraités pour financer une partie de la protection
sociale ? Après plusieurs semaines d’enquête dans les méandres de la
comptabilité et des opérations financières de l’Unédic, ce que les
membres du Groupe d’audit citoyen de la dette de l’assurance-chômage
(Gacdac) ont découvert les a laissés pantois. D’autant que plus d’un
chômeur sur deux n’est pas indemnisé.
Si le montant de la dette du gestionnaire des
allocations-chômage, estimée entre 34 et 37 milliards d’euros, n’a pas
vraiment surpris les membres du Gacdac, la proximité de l’Unédic avec
certains créanciers adeptes de l’optimisation, voire de l’évasion
fiscales les a, en revanche, stupéfiés. « L’opacité du système ne nous a
pas aidés. Nous ignorons précisément où sont les titres (de dette de
l’Unédic), mais nous savons avec certitude que les entités qui les
détiennent sont présentes dans les listings des Paradise ou Panama
Papers (ces fichiers de comptes cachés dans les paradis fiscaux qui ont
fuité dans la presse – NDLR). Sur cinquante investisseurs que j’ai
réussi à repérer, la moitié est présente sur ces listes », révèle Louise
Ferrand, qui a conduit les recherches documentaires pour le groupe
d’audit.
Pour emprunter sur les marchés financiers, l’Unédic, via
des banques dites « placeuses », émet des titres, des obligations, pour
l’essentiel assez encadrés. Pour ses besoins de financement à court
terme, elle recourt à des Euro Medium Term Notes (EMTN) imaginés aux
États-Unis, des prêts très flexibles en taux, durée et peu réglementés,
donc très prisés des « investisseurs », qui peuvent les échanger sans
trop de contraintes. Pour ses affaires, l’Unédic fait appel à une
vingtaine d’établissements financiers : les banques françaises BNP
Paribas, Société générale, Crédit agricole, Bred et Natixis, les
britanniques Barclays et HSBC, la suisse Crédit suisse, ou encore
l’italienne Unicrédit, les allemandes Commerzbank AG, Nord/LB,
Landesbank Baden-Württemberg, DZ Bank AG et Helaba, les américaines
Citigroup et J.P. Morgan, la canadienne Scotiabank et la japonaise Daiwa
Capital.
« Nous ignorons qui sont les vendeurs et les acheteurs »
« Aucune de ces banques, quel que soit le montant des
titres qu’elle achète, n’a à rougir puisqu’on estime qu’elles pratiquent
toutes, avec plus ou moins de dextérité, l’évasion fiscale », notent
les auteurs de l’audit, déçus de n’avoir pu présenter un tableau
exhaustif des acteurs de la dette de l’assurance-chômage. Notamment ceux
du marché dit secondaire, où se joue le gros de la partie, et qui,
grâce à des réformes des Codes du commerce, monétaire et financier de
2002, bénéficient de véritables paravents qui garantissent leur
anonymat.
Une fois acquis par les banques, les titres de l’Unédic
sont en effet revendus sur un autre marché, le marché secondaire, en
échange d’une commission, bien sûr, via une chambre de compensation,
institution financière qui joue les intermédiaires dans les transactions
en assurant leur bonne exécution. En l’occurrence, Euroclear, l’une des
deux chambres européennes ; la seconde, Clearstream, avait défrayé la
chronique dans les années 2000. Selon le Gacdac, l’Unédic verserait
autour de 400 millions d’intérêts aux investisseurs sans les connaître
vraiment, expliquait son directeur, Vincent Destival, auditionné par les
sénateurs en 2015 : « Nous n’avons pas de suivi précis sur la manière
dont notre dette est renégociée sur les marchés entre détenteurs
primaires et des investisseurs intéressés. Nous savons à quel prix mais
nous ignorons qui sont les vendeurs et les acheteurs. » L’un d’eux a
pourtant été repéré par les auteurs du rapport : Sicav-Fis, adepte de
l’optimisation fiscale. « En fouillant, je suis tombée sur ce fonds de
compensation privé. Il a été créé pour gérer la réserve du régime
général des pensions de retraite des Luxembourgeois. En 2016, il
possédait pour 7,95 millions d’euros de titres de l’Unédic », précise
Louise Ferrand.
La dette équivaut à un an de recettes de cotisations
Les citoyens auditeurs ont ainsi retracé le circuit d’une
partie de la dette de l’assurance-chômage française passant par le
Luxembourg : le Crédit suisse (sous le coup d’une enquête pour
blanchiment aggravé, pour ne pas avoir déclaré des milliers de comptes
au fisc français) gère pour Sicav-Fis un emprunt de 252 millions d’euros
qu’il a lui-même placé avec HSBC (un champion des placements dans les
paradis fiscaux, qui vient d’éviter un procès en versant 300 millions à
l’État français pour compenser les impôts dus) sur le marché primaire
pour le compte de l’Unédic. « Nous demandons que la clarté soit faite
sur l’identité des créanciers. Nous voulons savoir où passe l’argent de
la collectivité », explique Pascal Franchet, du Gacdac. Lui ne se fait
pas d’illusions sur la réponse attendue à la longue liste de questions
que les auditeurs posent, dans une lettre jointe à leur rapport, à la
ministre du Travail, aux administrateurs et à la direction de l’Unédic.
« Les dirigeants ont fait le choix du système-dette, de l’endettement
pour financer l’assurance-chômage avec le soutien de l’État qui garantit
les emprunts. Cet aval de l’État permet à l’Unédic d’obtenir des taux
d’emprunt très bas auprès des banques. Mais, si les taux remontent, ce
qui est probable, ce sera une catastrophe pour le système
d’assurance-chômage », poursuit Pascal Franchet.
La dette équivaut désormais à un an de recettes de
cotisations. Des cotisations dont le taux stagne depuis maintenant
quinze ans, alors que le nombre de chômeurs a, lui, doublé. « En fait,
les allocations-chômage sont une variable d’ajustement. D’où la nouvelle
course à la radiation qui s’annonce », déplore Pascal Franchet.
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