vendredi 23 octobre 2009

Titien, Tintoret, Véronèse... Trois génies du siècle d’or de la peinture vénitienne

Nadia Agsous

Titien. Tintoret. Veronèse. Trois peintres qui ont dominé le siècle d’or de la peinture lagunaire au XVIe siècle. Trois génies de grande renommée qui, par leurs jeux d’influences, de rivalités, de concurrences ont joué un rôle important dans la création artistique et le renouveau de la peinture dans la cité des Doges.
Ces toiles en grands et petits formats, sombres, joyeuses, festives, élégantes, étincelantes, tragiques, représentant des scènes profanes, religieuses, bibliques, mythologiques, des nus féminins... sont exposées au musée du Louvre, en partenariat avec le Musuem of Fine Arts de Boston du dans le cadre de l’exposition consacrée aux créations de ces grands peintres de Venise. Ainsi, à travers ce panorama des tableaux les plus représentatifs de la peinture vénitienne de la seconde moitié du XVIè siècle, les organisateurs visent à « éclairer cette noble rivalité en comparant des peintures de même sujet ou de sujet équivalent afin de montrer combien les artistes se sont influencés ou, au contraire, ont divergé pour proposer une vision personnelle d’un thème ».
Justifier
Titien…

Tiziano Vecellio, dit Titien ou le Titien (1490-1576), le plus âgé des trois peintres est l’un des plus grands portraitistes de l’âge d’or de Venise. Connu à travers toute l’Europe, il a peint pour les souverains européens, la bourgeoisie et l’aristocratie vénitiennes. Il est considéré comme l’inventeur d’un nouveau type de peinture et de nouveaux sujets tel que le nu féminin mythologique. Titien est nommé peintre officiel de la cité des Doges. Il produit beaucoup de tableaux « officiels » ou « d’Etat ». Il fut anobli par Charles Quint, ami de Philippe II. Il est mort à l’âge de 90 ans.

Tintoret et Véronèse…

Tintoret et Véronèse sont beaucoup plus jeunes. Malgré leur différence de styles et de caractère, ils partagent une caractéristique commune : les deux sont influencés par Titien.

Tintoret…

Jacopo Robusti, dit Tintoret est né en 1518. Il était connu pour son ambition sans limite et son amour excessif pour l’argent qu’il tentait d’obtenir en exécutant des tableaux représentant des portraits, des scènes mythologiques, bibliques... commandées par des mécènes, des hospices, des confraternités (les Sculo), ces « institutions au gouvernement autonome » (Scuola de Saint-Rich Apothéose de Saint-Roch), de l’Eglise, de l’Etat (décoration du plafond du Conseil des Dix du palais des Doges)... Tintoret était connu pour ses peintures aux couleurs sombres et à l’intonation dramatique voire visionnaire. Il mourut en 1594.

Véronèse…

Paolo Caliari, dit Véronèse est né en 1928. Il était le protégé de Titien. A ses débuts, ses toiles qui peignent la richesse, le faste et la beauté de la cité des Doges mettent en perspective une vision somptueuse, luxueuse, joyeuse célébrant le triomphe de Venise qui, vers la fin du XVIè siècle vivait une période de changement et de gloire financière, économique, militaire. Il réalise l’annonciation vers 1580 pour la Scuola des Marchands et Les Noces de Cana commandé par les Bénédictins du monastère San Giorgio Maggiore en 1562, pour décorer le réfectoire du monastère. Ce tableau est actuellement conservé au musée du louvre. Véronèse est mort en 1588.

Parcours de l’exposition…

Organisée selon une logique chronologique et thématique, l’exposition propose au regard du visiteur un ensemble de quatre-vingt-six tableaux répartis à travers sept sections.

Modèles de représentation

La première section met en perspective les portraits d’hommes et de femmes représentant des personnages de pouvoirs tels que les doges, les amiraux, les praticiens et les praticiennes de la société vénitienne. Les tableaux exposés donne une idée du haut niveau des techniques de la description portraitiste des peintres de cette époque. Les détails représentés à travers ces toiles nous renseignent sur le statut social, politique et ainsi le degré de prestige de la personne représentée. Ces portraits revêtent un aspect essentiellement glorificateur et expriment la structure sociale de la cité en mettant en lumière le caractère exemplaire de ses membres les plus prestigieux. Ces portraits se caractérisent par une retranscription fidèle des costumes, des postures qui nous renseignent sur les positions sociales et politiques, des expressions de visages… A titre d’exemple, le portrait du Pape Paul III Farnese, tête nue, (1543) a été réalisé par Titien lorsque le pontife a rencontré Charles Quint à Bologne. Peint en biais dans une position dominante, le modèle suscite respect et allégeance.

Les jeux de reflets

C’est en se distinguant par leur travail de reflet par le biais de miroirs, du métal des armures sur l’eau… que les trois peintres vénitiens ont cherché à participer à la « paragone ». C’est-à-dire « la discussion théorique sur la comparaison des arts » et l’idée que l’un d’entre eux soit supérieur à tous les autres mettant ainsi en perspective la suprématie et l’originalité de leur art. Titien se sert du reflet pour érotiser le corps féminin. Dans Vénus au miroir, le peintre représente Venus dénudée se regardant dans un miroir. Le reflet de la face de Venus dans le miroir permet aux « regardants » de découvrir la partie cachée du visage de la femme « regardée ». Et en même temps, il permet à Vénus de surprendre le regard du spectateur. Pour Tintoret, le recours aux reflets dans Suzanne et les vieillards (Vers 1555-1556) a la fonction de symboliser la convoitise chez les vieillards. Chez Véronèse, le reflet représente l’univers de la courtisanerie (Saint Menna, vers 1560).

Le sacré et le profane

Les toiles exposées dans cette section mettent en lumière une approche où le religieux et le séculier sont traités dans un même tableau estompant ainsi la frontière entre le profane et le sacré. On peut ainsi voir dans une même toile des événements religieux et des scènes de la vie quotidienne : portraits, scènes religieuses, nature morte, animaux... Les tableaux de Véronèse s’illustrent par ses scènes imposantes et solennelles offrant au regard une synthèse entre événements sacrés et récit profane. Dans ce type de peinture, la représentation des animaux devient un élément quasi fréquent, inventant ainsi le genre animalier (Bassano). Parmi les tableaux représentatifs de cette section, l’on peut citer Les Pelerins d’Emaüs (1555-1560) de Véronèse. La Dernière Cène, (1559) de Tintoret. Enfant avec des chiens, (vers 1570-1576) de Titien…

Les tableaux nocturnes sacrés

Cette section montre des tableaux où les scènes sacrées sont représentées dans « une ambiance crépusculaire et nocturne ».Titien est le premier peintre a avoir eu recours aux effets de nuit. Le but étant d’accentuer la tragédie des événements et d’intensifier la dramatisation des scènes à caractère religieux notamment. La mise au tombeau, (1559) de Titien ; Les Pélerins d’Emmaüs (1556-1560,) de Véronèse ; Saint-Jerôme pénitent (vers 1571-1572) de Tintoret sont des exemples de toiles qui illustrent ce type de technique.

Portraits d’artistes et de collectionneurs

La représentation des collectionneurs et des artistes par le truchement de la peinture est une pratique qui s’est particulièrement développée à Venise. Les amateurs d’arts sont très souvent peints dans leur milieu familier mettant en perspective la fonction intellectuelle de la personne décrite notamment par le truchement d’objets symbolisant le savoir comme par exemple les sculptures, des vestiges de l’antiquité, les monnaies… : Ottavio Strada (1549/1550-1612) de Tintoret ; Jacopo Strada (vers 1567-1568) de Titien ; Le Sulpteur Alessandro Vittoria (vers 1575-1580) de Véronèse.

L’autoportrait dans un but d’autocélébration est également une pratique qui s’est développée durant cette période à Venise : Autoportrait (vers 1588) de Tintoret ; Autoportrait (vers 1562 ?) de Titien.

Petites peintures décoratives.

Pratiquée par les grands peintres, la peinture en miniature est un style très apprécié à Venise au XVIe siècle. Ces tableaux de petites dimensions à but exclusivement décoratif sont généralement destinés à la décoration de meubles (coffres) et à ornementer les intérieurs des résidences privées. Ces petits tableaux en miniature qui sont très souvent exposés le long des murs en forme de frise mettent en perspective des images narratives représentant des scènes bibliques, mythologiques et antiques. Ils se singularisent par la minutie de leur exécution et la richesse des détails : Diane et Actéon (vers 1560-1570) de Véronèse ; Jupiter et Sémélé (vers 1545 ? ) de Titien ; Esther et Assuérus (vers 1545) de Tintoret.
Le nu féminin : « La femme désirée »

C’est dans la Venise du 16e siècle que naît le nu féminin. La peinture érotique célébrant la nudité féminine occupe une place importante dans la peinture vénitienne offrant au regard une représentation de la chair humaine et ainsi une vision réaliste du corps humain féminin. Les toiles des trois peintres de la Lagune soumettent au regard des femmes dénudées, allongées, étendues, entourées d’amours peintes, très souvent, dans un environnement ouvert sur la nature et dès fois dans un espace fermé, à l’intérieur des palais mettant en scène deux thèmes : celui de « la femme en péril » évoqué par un grand nombre de toiles dont Tarquin et Lucrèce (vers 1568-1571) représentant le viol que Tarquin a commis à l’égard de Lucrèce que Titien a peint pour le roi d’Espagne Philippe II . Ou encore le tableau de Tarquin et Lucrèce (vers 1594) de Tintoret qui s’inspire de la composition de Titien sur le même thème ; la toile de Tintoret Suzanne et les vieillards, (vers 1555-1556) qui met en scène Suzanne, une héroïne biblique « représentée comme une Venus au bain se regardant dans le miroir, alors que son corps se reflète en partie dans l’eau ». Le peintre nous la présente alors qu’elle est exposée aux regards indiscrets des vieillards qui l’espionnent jouissant de la nudité de cette femme exposée en pleine nature.
Le second thème concerne celui de la « la femme offerte » aux multiples regards : celui du peintre, des caractères représentés dans les toiles et des spectateurs/trices. Les toiles les plus représentatives de ce thème qui mettent en évidence l’exaltation de la chair et de la beauté féminine par les peintres vénitiens concernent notamment Danaë de Titien (vers 1580), premier tableau de la série commandée par le roi d’Espagne Philippe II. qui montre Danaë recevant l’aurifère semence divine. L’Allégorie de l’Amour, dit le Respect exécuté par Tintoret (vers 1575). Cette toile qui « fait partie d’un cycle allégorique de quatre compositions sur les différents aspects de l’Amour » a été interprété comme « un véritable hommage au corps féminin surpris dans l’intimité... ».

Chaque peintre a tenté de représenter le nu féminin selon des caractéristiques particulières conférant à chaque artiste son propre cachet et style. Ainsi si Titien montre « le corps féminin dans des positions variées, Véronèse les transpose dans un style serein et mesuré alors que Tintoret leur confère un caractère énergique souvent empreint d’ironie ».

L’exposition a lieu au musée du Louvre, dans le hall Napoléon, sous la pyramide du 19 septembre 2009 au 04 janvier 2010. Ouverture tous les jours, sauf le mardi. De 9 h à 18 h et jusqu’à 20 h le samedi. Nocturnes jusqu’à 22 h les mercredi et vendredi


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