dimanche 22 novembre 2009

Climat ou pas, il faut abandonner le pétrole


Thomas Friedman 
 New York Times



Le nombre d’américains qui pensent que le changement climatique est réel a considérablement chuté en 18 mois. Le lobby pétrolier se dit convaincu que la terre ne se réchauffe pas. Faudrait-il en conclure que la dépendance aux énergies fossiles ne doive plus être remise en cause ? Surement pas, estime Friedman, qui rappelle que la terre abritera 2,5 milliards d’humains supplémentaires d’ici 2050, tous désireux de bénéficier d’un niveau de vie à l’occidentale. Les réserves de pétroles, de toute évidence, n’y suffiront pas, et le passage aux énergies propres s’impose. --- Friedman, qui a la « destinée manifeste » dans les gènes, voit dans la révolution verte une nouvelle frontière à conquérir qui permettrait aux USA de conserver leur leadership. En bon libéral qu’il est, il pense qu’une taxe carbone et un marché des droits d’émission y suffiront. Tel n’est pas notre avis. Les taxes pigoviennes peuvent être justifiables quand les alternatives sont là, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. En l’absence de véhicules et d’énergies propres en quantité suffisante et à un prix abordable, la taxe carbone pénalisera le plus lourdement les ménages aux revenus modestes qui ont été contraints de s’excentrer vers les grandes banlieues en raison des prix de l’immobilier, et qui subissent déjà une charge très importante pour maintenir leur mobilité. En l’état, ce n’est pas acceptable.


En suivant le débat autour des projets de lois sur l’énergie et le climat présentés au Congrès on observe que les opposants du lobby pétrolier [1] à la législation soulèvent maintenant deux objections. La première est que la Terre s’est refroidie récemment, et non réchauffée, et la seconde est que l’Amérique n’a en aucun cas les moyens d’instaurer une taxe carbone ou un marché des droits d’émission (cap-and-trade).

Voilà ce qu’ils croient également, sans le dire : que le monde va faire face à une épidémie massive, comme la peste noire, qui supprimera 2,5 milliards de personnes d’ici à 2050. Ils pensent qu’il est vaut bien mieux pour l’Amérique que le monde reste dépendant du pétrole pour son énergie - un produit largement contrôlé par des pays qui nous haïssent, et dont le prix ne peut qu’augmenter à mesure que la demande augmente - plutôt que d’énergies renouvelables que l’on contrôle et dont les prix diminuent à mesure que la demande augmente. Et enfin, ils croient que les peuples dans les pays en développement sont très heureux d’être pauvre : qu’on leur donne juste un peu d’eau potable et d’électricité et ils seront satisfaits. Ils ne voudront jamais vivre comme nous.

Les opposants à n’importe quelle taxe carbone qui stimulerait les alternatives au pétrole doivent effectivement croire cela, car c’est seulement ainsi que leurs arguments ont un sens. Laissez-moi vous dire pourquoi, en expliquant tout d’abord la façon dont je vois la situation.

Je suis un partisan intransigeant [2] des énergies propres. Être vert, pour moi, ce n’est pas seulement recycler ses déchets, c’est une manière de rénover l’Amérique. C’est pourquoi j’ai dit et je répète que le vert est la nouvelle couleur du drapeau américain. [3]

Mon argument est simple : je pense que le changement climatique est réel. Pas vous ? C’est votre problème. Mais il y a deux autres tendances massives ayant des répercussions énergétiques menaçantes et qui sont indéniables. La rénovation de l’Amérique passera par notre capacité à prendre le leadership et à inventer les technologies qui s’attaqueront à ces problèmes.

La première tendance, c’est que le monde devient de plus en plus peuplé. D’après un rapport de l’ONU datant de 2006, « la population mondiale augmentera probablement de 2,5 milliards de personnes, passant de 6,7 milliards à 9,2 milliards en 2050. Cette augmentation est équivalente à la taille totale de la population mondiale en 1950, et elle aura lieu principalement dans les régions les moins développées, dont la population devrait passer de 5,4 milliards en 2007 à 7,9 milliards en 2050. »

Les conséquences sur l’énergie, le climat, l’eau et la pollution que provoqueront ces 2,5 milliards de bouches à nourrir, habiller, loger et transporter sont dramatiques. Mais cela va arriver, sauf si, comme le croient apparemment les dénialistes, une pandémie mondiale ou une soudaine abstinence générale stabilisent la population mondiale - pour toujours.

Il faut également considérer autre chose. Le monde devient de plus en plus plat - de plus en plus de gens peuvent désormais observer comment nous vivons, aspirant à vivre de la même manière, voire même occuper nos emplois pour leur permettre de vivre comme nous. Il y aura non seulement 2,5 milliards d’hommes en plus aux alentours de 2050, mais beaucoup voudront vivre comme des « américains » - avec des maisons de taille américaine, des voitures de taille américaine, consommant des Big Macs de taille américaine.

« Que se passera-t-il quand les pays en développement, qui voient exploser leur parc automobile, auront des dizaines de millions de voitures fonctionnant au pétrole et qu’aur lieu au même moment la reprise de l’économie mondiale sans plus de nouvelles ressources pétrolière ? » s’interroge Felix Kramer, le spécialiste de la voiture électrique qui préconise l’électrification de la flotte américaine de véhicules et l’augmentation de la production d’énergies renouvelables pour les faire fonctionner. Ce qui arrivera, bien évidemment, c’est que le prix du pétrole crèvera le plafond - à moins que l’on ne développe des alternatives. Les pétro-dictateurs en Iran, Venezuela et Russie, espèrent le contraire. Cela les enrichirait encore plus.

Soit les opposants à une loi climat-énergie impliquant un prix significatif du carbone se fichent d’être accros pour toujours au pétrole et dépendants de pétro-dictateurs, soit ils pensent vraiment que la population ne croitra pas de 2,5 milliards de gens voulant vivre comme nous, et qu’en conséquence le prix du pétrole n’augmentera pas beaucoup, que nous pouvons donc nous dispenser de relever la taxe carbone afin de stimuler les alternatives propres et durables et l’efficacité énergétique.

Les verts radicaux (faucons verts -ndt) voient les choses différemment. Nous pensons que dans un monde de plus en plus chaud et de plus en plus peuplé d’ « américains », le prochain grand défi industriel sera d’entrer dans une ère des TE, ou Technologies de l’Energie, basées sur l’énergie propre et l’efficacité énergétique. Il le faut. Et nous pensons que le pays qui inventera et déploiera le plus de TE bénéficiera des plus grandes sécurité économique, sécurité énergétique, sécurité nationale, aura les entreprises les plus innovantes, sera le plus respecté dans le monde. Et nous pensons que ce pays doit être l’Amérique. Sinon, nos enfants ne jouiront pas du style de vie que nous avons connu. Et nous pensons que la meilleure façon de lancer les TE, c’est de fixer un prix du carbone sur le long-terme - en combinaison avec l’impressionnant plan de relance de l’administration Obama sur les technologies vertes - et de laisser ensuite le libre marché et l’innovation faire le reste.

Alors, vous ne croyez pas au changement climatique ? Vous avez tort, mais libre à vous de le faire, jusqu’à ce que votre maison en bord de mer soit emportée. Mais si vous ne croyez pas non plus que le monde sera de plus en plus peuplé de gens aspirant au niveau de vie des américains - l’ignorer renforcera nos pires ennemis, alors que la réponse des énergies propres renforcera nos meilleures technologies - alors vous êtes délibérément aveugle, et vous nuisez à l’élan vers le futur de l’Amérique.


Notes

[1] Friedman écrit : "drill-baby-drill"- ndt

[2] Friedman écrit : faucon -ndt

[3] “green is the new red, white and blue.”

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