lundi 28 février 2011

Sondages de l'Élysée : la peste soit des juges d'instruction !


Olivier Bonnet

Le parquet voulait étouffer l’affaire mais voilà un juge d’instruction saisi…

« Le parquet de Paris a classé sans suite une plainte déposée par une association anticorruption qui visait une convention passée en 2007 sans appel d’offres entre l’Élysée et le cabinet de Patrick Buisson pour la fourniture de sondages, annonçait Le Monde le 2 novembre 2010. L’association Anticor avait porté plainte le 11 février 2010 à Paris pour « délit de favoritisme », un délit passible de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Cette plainte contre X visait Publifact, le cabinet de l’ancien journaliste Patrick Buisson, qui a passé une convention le 1er juin 2007 avec la présidence de la République pour la fourniture d’études d’opinion, pour un coût total avoisinant 1,5 million d’euros sous la forme de « près de 130 factures ». Comment le parquet justifie-t-il ce classement sans suite ? « L’irresponsabilité pénale dont jouit le chef de l’État « doit s’étendre aux actes effectués au nom de la présidence de la République par ses collaborateurs », selon l’avis de classement, explique l’article. Selon le parquet, la signataire à l’Élysée de cette convention, l’ancienne directrice de cabinet de M. Sarkozy, Emmanuelle Mignon, « n’a juridiquement aucun pouvoir en propre, [elle] n’a pas de pouvoir personnel, même en cas de délégation de signature ». Une thèse battue en brèche par Libération : « La section financière du parquet de Paris a trafiqué des données juridiques dans le but d’empêcher une enquête contre des consultants et des fonctionnaires de l’Élysée, selon des éléments recueillis par Libération, révélait le quotidien. Pour étayer sa décision, le vice-procureur Jean-Michel Aldebert a en effet déformé le contenu d’une thèse en droit, soutenue en 2005, pour permettre à une agence de communication sous contrat avec le président de la République d’échapper à une procédure judiciaire. (…) Du point de vue du droit, un arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2001 a déjà précisé que les collaborateurs ou les conseillers du chef de l’État ne profitent nullement de son immunité. Pourtant, dans son avis de classement sans suite, Jean-Michel Aldebert affirme noir sur blanc « l’impunité des coauteurs et des complices ». Pour contredire le droit fixé en 2001 par la haute juridiction, il avance une analyse juridique parue en 2006. Elle provient d’un ouvrage de sciences criminelles, intitulé Responsabilité pénale et fonction politique, consacré notamment au statut du chef de l’État (…). Or, dans ses travaux, le juriste parvient à une analyse très différente que celle que lui attribue le parquet de Paris, pris ainsi en flagrant délit de tripatouillage. Car si José Delfont affirme bien que l’irresponsabilité pénale du chef de l’État s’entend de manière extensive, et peut s’étendre aux collaborateurs, c’est lorsqu’elle touche « des actes relevant de la raison d’État ». En revanche, pour les actes relevant de la délinquance ordinaire, en particulier en matière commerciale, le livre de José Delfont affirme, au contraire, que les collaborateurs ne peuvent pas profiter des mêmes dispositifs. »

Il apparaît par conséquent que le classement sans suite du parquet, au mépris de la jurisprudence de la plus haute juridiction française, constituait un pur scandale. Mais voilà, « l’ouverture d’une information judiciaire est devenue automatique après la plainte avec constitution de partie civile pour « favoritisme » déposée en novembre dernier par l’association anticorruption Anticor », explique l’agence Reuters. Un juge d’instruction a par conséquent été désigné, « Serge Tournaire, [qui] doit encore dire s’il estime pouvoir enquêter ou non ». Ce qu’il fera en toute indépendance : c’est bien l’intérêt de la fonction du juge d’instruction et ça explique parfaitement le projet sarkozyste de le supprimer ! À Serge Tournaire donc de trancher. Une chose est certaine : si le parquet conteste fallacieusement la responsabilité de l’ancienne directrice de cabinet et de la société bénéficiaire des largesses de l’Élysée, le délit est bien constitué. « C’est la Cour des comptes qui avait mis au jour en juillet 2009 cette convention, passée, selon elle, sans qu’ « aucune des possibilités offertes par le Code des marchés publics pour respecter les règles de la mise en concurrence (…) n’ait été appliquée », rappelle Le Monde. Dans son rapport de contrôle des comptes et de la gestion des services de l’Élysée en 2008, la Cour épinglait par ailleurs une série de 15 études d’opinion publiées dans la presse alors qu’elles avaient été facturées également à l’Élysée par le cabinet de conseil de M. Buisson.« Et toujours confiées à l’entreprise de Buisson sans aucun appel d’offre. De quoi motiver l’action d’Anticor dont l’avocat, Maître Jérôme Karsenti, interrogé par le JDD.fr, ne mâche pas ses mots : « On sait aujourd’hui, compte tenu des stratégies dans tous les dossiers politiques, que le parquet n’est rien d’autre que la voix du politique. C’est là l’avantage d’une information judiciaire : l’enquête échappe au parquet. On a un juge indépendant et impartial qui va pouvoir enquêter. Bien sûr le parquet va résister, par des appels. Mais à chaque fois, des magistrats indépendants et impartiaux trancheront les questions posées. La question de l’extension de l’immunité présidentielle aux services ou aux collaborateurs de l’Élysée est une vue de l’esprit. Tous les constitutionnalistes qui se sont penchés sur ce sujet disent la même chose: l’immunité présidentielle est personnelle. Elle ne peut pas être étendue à qui que ce soit. (…) [Emmanuelle Mignon] est directrice de cabinet. Si elle estime qu’elle est en train de faire quelque chose d’illégal, elle a le devoir de ne pas le faire. Par son acte, elle participe à l’illégalité. Son intentionnalité peut être poursuivie. (…) l’argumentation du parquet est intéressante. Plutôt que de montrer pourquoi il n’y aurait pas d’infraction – ce serait dur quand la Cour des comptes explique pourquoi il y a infraction -, il se retranche derrière la question de l’immunité présidentielle, qui deviendrait le bouclier absolu à toutes les infractions. »
Le juge Tournaire validera-t-il cette impunité généralisée ?

PS : relire dans nos archives Les bonnes affaires de Patrick Buisson

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