Superno
Tiens, et si on reparlait de 2012 ? Nous sommes désormais à 14 mois de l'échéance, et ça commence à s'agiter sévère en coulisses.
Je ne suis pas naïf, les péripéties passionnantes que l'on nous narre au quotidien (la montée de François Hollande dans les sondages, le duel entre les deux "zécolos" Eva Joly et Nicolas Hulot, Marine Le Pen à 20%), tout ça, c'est de l'écume pour amuser la foule. Je ne suis pas sûr que ça l'amuse beaucoup, d'ailleurs.
Un peu comme un lever de rideau en attendant les deux vraies "vedettes". La première, c'est Sarkozy, le sortant déchu qui continue désespérement à s'agiter. La seconde, qui s'échauffe en coulisses pendant que ses hommes de main, marchands de lessives millionnaires, intrigants qui se voient déjà ministres, et même sa femme, occupent le terrain : c'est DSK, vainqueur désigné par le patronat, la finance, les lobbies, la presse, les instituts de sondages et en général tous ceux qui souhaitent la poursuite d'une politique ultralibérale dans le seul intérêt des riches et des puissants, contre les intérêts du peuple, des "vrais gens".
Rappelez-vous, début 2006. C'était différent, puisque le sortant ne se représentait pas. Les mêmes qui ont décidé que DSK gagnerait en 2012 avaient évidemment choisi Sarkozy. Mais ils lui avaient aussi trouvé une victime expiatoire qu'ils avaient intronisée par sondages interposés : Marie-Ségolène Royal. L'incrédulité des "socialistes" de l'époque ("Mais… Elle est nulle ! Elle est bredine jusqu'à l'os !…") n'y avaient rien changé. Certes, au signal, les même médias qui l'avaient encensée et portée au pinacle se sont retournés comme des crêpes et n'ont eu qu'à souligner ses criantes insuffisances pour que Sarkozy soit élu dans un fauteuil, respectant ainsi parfaitement le scénario prévu depuis le début.
En 2011 le scénario est tout aussi simple : imposer la "compétence" et le "sérieux" de DSK, sauveur du monde, face à un Sarkozy en slip, au bilan dramatique. Les sondages, qui n'ont que très peu baissé pour DSK malgré l'agacement perceptible devant sa stratégie du silence, donnaient encore ces derniers jours 63/37 au second tour… Sans commentaire…) Sarkozy est d'ailleurs tellement usé qu'on ne sait même pas s'il arrivera à s'aligner au départ. Dans ce cas, un "Plan B" prévoit de mettre Marine Le Pen au second tour et de grimer ainsi la victoire du patronat et de la finance en victoire contre le racisme, l'intolérance et le fascisme.
C'est futé, comme plan. Car DSK va contre toute évidence se réclamer de la "gauche", et la moitié des électeurs de droite, du moins ceux qui ne voteront pas pour Marine Le Pen, vont se tourner vers lui.
Et nous, quel peut bien être notre rôle au milieu du tournage de cette comédie dramatique, dont on est en train de clouer le décor en carton-pâte ?
En ce qui me concerne, je suis proche du désespoir. La même rage qu'en 2006, quand j'ai compris que quoi qu'il arrive, on n'échapperait pas à Sarkozy.
Vous voulez un président de droite ? Pas de problème, vous pouvez voter Sarkozy ! Vous voulez un président de Gauche ? Vous plaisantez, n'y pensez même pas ! Mais vous avez DSK, qui est un excellent président de droite, mais qui est grimé en président de "gauche", ça ne vous suffit pas ?
Ma rage décuple quand j'entends des gens que j'ai admirés, comme José Bové, qui outre qu'il commence à manier la langue de bois, déclare sans état d'âme apparent qu'il appellera à voter au second tour pour le candidat "socialiste" le mieux placé, même si c'est DSK… Pire, il est même possible que le leader écolo-libéral Cohn-Bendit arrive à imposer son idée fabuleuse : renoncer à une candidature écolo au premier tour en échange de circonscriptions pour les législatives…
Il a la mémoire courte, Cohn-Bendit ! Il ne sait pas que les "socialistes" se sont toujours appuyés sur eux et sur les communistes pour prendre le pouvoir, avant de les étouffer totalement. Pour les "socialistes" comme pour Sarkozy, l'écologie ne doit servir que de façade, de peinture verte à une politique libérale, par essence anti-écologique.
J'attends toujours l'émergence d'une vague de "vraie gauche", mais je crains que ce soit mal parti… La tactique de Mélenchon de faire de la provoc à tout prix pour se faire connaître a de ce point de vue très bien marché… Sauf qu'on le compare désormais à Georges Marchais (on a vu plus flatteur…) et qu'on le met dans le même sac que Marine Le Pen. Ce sont les deux extrémistes de service, les repoussoirs qui ne servent qu'à étayer la thèse généralement admise : il n'y a que deux candidats crédibles et respectables : Sarko et DSK.
En outre la forme, certes parfois jouissive, des attaques mélenchonesques et de ses coups de gueule, écrase complètement le fond, les idées du Parti de Gauche, ce mélange de social et d'écologie politique, qui deviennent totalement inaudible. Une certaine perruche télégénique con-templée tous les soirs par 7 millions de téléspectateurs a d'ailleurs déclaré qu'il n'avait ni idées ni programme. Un peu comme Besancenot, les médias vont s'en servir comme d'une baudruche politique, qu'on gonfle et qu'on dégonfle en fonction des besoins. DSK n'a d'ailleurs pas besoin des voix de Mélenchon, puisque plein de gens de droite vont voter pour lui…
Je sens donc déjà venir l'antienne de cette prochaine année : "vous critiquez DSK, vous voulez 5 ans de plus de Sarko ?". Ben non, je ne veux pas 5 ans de plus de Sarko. Personne n'en veut plus, d'ailleurs. Mais je ne veux pas non plus de son clone, qui, plus intelligent et mieux entouré, ferait sans doute moins de conneries spectaculaires, mais qui en gros, ferait exactement la même politique, dans l'intérêt des mêmes.
Fin 2006, quand les critiques commencèrent à s'abattre sur l'illuminée des Charentes, sa défense toute faite fut de brandir l'accusation de machisme : on ne la critiquait pas parce qu'elle était nulle et qu'elle faisait des bourdes bien plus grosses qu'elle, mais bien parce qu'elle était une faible femme. Grotesque.
Le 13 février dernier, Christian Jacob, premier roquet de l'écurie sarkozyste muni d'un ordre de son maître de s'attaquer aux bas de pantalon strausskahniens, déclarait que DSK, "ce n'est pas l'image de la France, l'image de la France rurale, l'image de la France des terroirs et des territoires, celle qu'on aime bien, celle à laquelle je suis attaché".
L'argument vaut ce qu'il vaut. Mais je le comprends fort bien. DSK vit dans un monde parallèle fait de banksters, de patrons, de luxe, d'avions, de limousines et de villas marocaines et ne connaît pas la vie de ceux que sa politique asservit et opprime. Jacob, agriculteur productiviste de profession, poussait simplement son petit couplet rural et réac. Son fonds de commerce en quelque sorte.
Aussitôt, bronca épouvantable : bouh ! "antisémite", "antisémitisme" ! Même Benoît Hamon, qui est pourtant souvent très fin, tombe dans le panneau et hurle avec les loups. Serge Klarsfeld va jusqu'à rapprocher le clientélisme rural de Jacob aux propos authentiquement antisémites de Xavier Vallat (chargé des "questions juives" à Vichy sous Pétain) à l'encontre de Léon Blum. Portnimwak ! D'abord Blum, tout juif et grand bourgeois qu'il fut, restera dans l'histoire comme un héros de la Gauche, l'homme du Front Populaire, de la Sécu et des congés payés. DSK ne court aucun risque de ce côté-là !
Comment peut-on comparer des situations aussi différentes ? Bien sûr DSK est juif, il le revendique haut et fort, dont acte, et grand bien lui fasse.
Mais n'en déplaise à Serge Klarsfeld et à tous ceux qui voient de l'antisémitisme partout, l'antisémitisme en France est en 2011 complètement marginal. Il suffit d'écouter autour de soi, les premières victimes de racisme en France sont bien évidemment les noirs et les arabes, ou les gitans, les roms et autres rastacouères, mais en aucun cas les juifs ! En plus, ce racisme ne s'exprime pas seulement du haut d'une tribune politique, mais bien dans la vie quotidienne, les contrôles policiers, la recherche problématique d'un logement ou d'un boulot…
Ah oui, en plus d'être juif (ce dont, au risque de me répéter, on se fout complètement), DSK est riche, et marié à une femme encore plus riche que lui, ancienne vedette de la télé, et héritière d'un marchand de tableaux. Il fut maire de Sarcelles mais habitait à Neuilly. Il mène notoirement un train de vie de nabab. Il fait bénéficier ses copains riches de largesses fiscales (Lagerfeld, la diminution de l'impôt sur les stock-options de 40 à 26%…). Il a des amis patrons et banquiers, il prône une politique de droite ultralibérale.
C'est drôle, c'est mot pour mot ce qu'on reproche à Sarkozy ! Qui a lui aussi des origines juives, mais qui les a totalement occultées, considérant comme Henri IV que Paris valait bien une messe, et se faisant complaisamment filmer dans les églises ou en grande conversation avec le pape. Conséquence, on a pu gloser sur les goûts de luxe de notre nain national, sa Rolex, sa femme richissime, son Air Sarko One, son aveuglement fiscal face aux fraudes de Mme Bettencort ou M. Wildenstein, ou ses amis patrons et banquiers, ses séjours aux frais de la princesse, sans qu'une seule fois l'accusation d'antisémitisme ne surgisse.
Parmi les reproches faits à DSK, il y en a d'avérés autant que rédhibitoires : sa propension pathologique à la consommation féminine compulsive (qui n'a rien d'original dans le milieu politique), son caractère d'asservisseur ultralibéral des peuples opprimés par la finance (la Grèce, l'Irlande), d'affairiste avéré (cf le "Cercle de l'industrie" ), de privatiseur forcené, ses mensonges éhontés (la "cassette Méry" ). Tout ça suffit à justifier une envie irrésistible d'aller taquiner le goujon le 6 mai 2012…
De plus il commence, sous le manteau, et surtout par mail, à en circuler d'autres : par exemple une sombre affaire d'escroquerie à 22 milliards d'euros autour d'un système d'extinction de puits de pétrole, et à laquelle DSK serait mêlé… Avec indignation que la presse, censurée, n'en parlerait pas, même pas le Canard ni Mediapart. Fort intéressé, j'ai suivi les quelques liens, et il s'avère que tous proviennent de sites plus ou moins conspirationnistes, islamistes ou antisémites (l'un n'excluant pas l'autre). À priori, bullshit donc.
Je souhaite donc deux choses : que la "Vraie Gauche" puisse s'exprimer et faire connaître un programme qui sorte du carcan ultralibéral, qui ne s'applatisse pas devant les diktats de la finance, qui voie plus loin qu'un quinquennat, qui prenne en compte les besoins du peuple et les impératifs écolo-planétaires, et particulièrement la fin de l'ère du pétrole, alias "oléocène".
Je souhaite aussi que DSK soit traité comme les autres. Je ne veux pas qu'à chaque critique émise contre lui jusqu'en mai 2012 et sans doute plus encore après, j'entende non seulement "gningningnin, t'es l'idiot utile de la droite", mais aussi "gningningnin t'es antisémite".
À ce sujet, je vous invite d'ores et déjà à lire cet article du journal FAKIR, et surtout à télécharger, consulter, et diffuser son supplément "ch'tio Fakir", DSK : pourquoi on n'en veut pas, qui rentre parfaitement dans le cadre de ce raisonnement : des faits, rien que des faits. Accablants.
Dessin : Fort réaliste paru dans le dernier numéro de Fakir.
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