Gilles Devers
Voici un texte transmis par notre ami René Naba. Il s’agit d’un article sur la situation en Syrie, écrit par Michel Raimbaud,
ancien Ambassadeur de France, qui a été aussi ministre conseiller au
Brésil, et qui actuellement est professeur et conférencier au Centre
d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS). Officier de l’Ordre National du Mérite Chevalier de la Légion d’Honneur
* * *
Paris 12 Mai 2014
La
Syrie est confrontée à une guerre sauvage, cruelle, impitoyable:
150 000 morts, des centaines de milliers de blessés, des millions de
déplacés et de réfugiés (un habitant sur trois), la destruction des
habitations, des écoles, des hôpitaux, des usines, des infrastructures,
le pillage du patrimoine archéologique et culturel.
L’opposition
prétendument pacifique que soutiennent nos dirigeants et leurs amis
islamistes de Turquie, d’Arabie et du Qatar a longtemps réussi à faire
illusion et à escamoter son écrasante responsabilité dans ce bilan.
Maintenant que les langues se délient, nul ne peut plus ignorer que la
dite opposition n’a pas attendu d’être submergée par les djihadistes
sauvages que nous voyons à l’œuvre depuis deux ans pour prendre les
armes, ayant eu recours dès les premiers jours de la crise à la
provocation, à la violence et au terrorisme. On ne perçoit donc pas ce
qui la prédestinait à devenir la représentante légitime du peuple
syrien, mais les subtils personnages qui nous gouvernent, se prenant
pour les petits maîtres du monde, en ont décidé ainsi. Ils vont
d’ailleurs plus loin dans le cynisme en gardant le silence sur les
horreurs commises par les djihadistes modérés et les terroristes
démocrates et en attribuant au «régime» la responsabilité du calvaire
que vivent les Syriens.
Or
ceux-ci, dans leur grande majorité - il suffit d’écouter les
innombrables témoignages pour s’en convaincre- ne voient qu’une issue
pour sortir de l’enfer: l’armée nationale, dont l’intervention - n’en
déplaise aux tricheurs qui camouflent les réalités dérangeantes - est
souhaitée et non pas redoutée, représente seule le salut. Recrutée par
conscription, elle est le symbole de l’unité du pays. Avec le Président
Bachar al Assad, elle est la garante de la pérennité de l’Etat et de ses
institutions. Les habitants des quartiers touchés par la disgrâce de la
«révolution» font spontanément la différence entre l’armée régulière et
les mercenaires sauvages qui prétendent leur imposer un ordre d’un
autre âge, et il n’y a pas photo.
Ou,
si photo il y a, c’est pour immortaliser l’accueil fait aux soldats
venus les délivrer de leurs soi-disant «libérateurs», comme dernièrement
à Homs. La mystification n’a que trop duré. Il faut arrêter de mentir
aux Français et de s’enliser dans la défense d’une cause pourrie. La
France, déjà partie prenante au démantèlement de la Libye, ne peut
rester complice de la destruction de la Syrie en y soutenant les
terroristes d’Al Qaida qu’elle prétend combattre en Afrique, traquer
Boko Aram au Nigéria et fermer les yeux sur le martyre infligé à la
ville d’Alep par ses amis djihadistes. Cette schizophrénie est
indécente.
Alep
est un cas d’école. Voilà deux ans déjà que la capitale économique de
la Syrie est assiégée et en partie occupée par une «opposition armée»
infréquentable, sa population étant punie de ne pas avoir adhéré à la
«révolution» islamiste. Vigoureusement et ouvertement aidés par un
régime turc qui a levé le masque et perdu toute raison, djihadistes,
terroristes, mercenaires (souvent venus du Caucase et de l’Asie
Centrale) s’efforcent de briser la résistance des Alépins.
On
le sait maintenant, les «grandes démocraties» ne sont pas très
chatouilleuses sur le choix de leurs alliés et l’on constate qu’elles
assimilent volontiers le djihad à une guerre pour la liberté et les
droits de l’homme (et/ou de la femme). «Les gars du «Jabhat al Nosra»»,
succursale d’al Qaida dans la région, «font du bon boulot», a osé dire
un ministre qui restera dans les annales.
Cette
fine remarque, que l’on excuserait à la grande rigueur dans la bouche
d’un pilier de café du commerce, ne serait-elle pas déplacée dans celle
du chef de la diplomatie d’une «grande démocratie» donneuse de leçons ?
«Nous
ne savions pas», diront tous ceux qui n’ont pas voulu savoir.
L’expression rappelle des souvenirs. Savoir quoi ? Que les habitants
d’Alep sont systématiquement affamés et assoiffés par les rebelles qui
les ont pris en otages ainsi que par leurs parrains turcs, déjà
instigateurs du pillage et du démontage de leurs usines ? Qu’ils sont
privés d’eau potable, d’électricité, de ravitaillement, de médicaments,
au gré des caprices de leurs «libérateurs», sans que la fameuse
«communauté internationale» (qui rassemble les Européens et les
Américains de l’Axe du Bien) ne pipe mot, toute à sa fébrilité dans la
recherche de lycéennes enlevées au Nigéria. Pas un mot des ONG, de la
Croix-Rouge, du HCR, de Navy Pillay (l’ineffable du Conseil des
Nations-Unies pour les Droits de l’Homme), du placide M. Ban, des
caciques de l’humanitaire méchant, pour dénoncer ce blocus couvert par
des Etats qui se disent grands. Nous ne savions pas ? Pas besoin d’être
président, ministre, responsable politique, intellectuel, journaliste,
pour se renseigner et percer le mur de béton de l’indifférence
sélective, de la désinformation massive, du mensonge collectif. Il
suffit d’être raisonnablement honnête. L’espèce serait-elle en voie de
disparition dans nos pays si contents d’eux-mêmes et si confits en
dévotion s’agissant des droits et libertés chez les autres ?
Les
victimes de la guerre universelle menée en Syrie (la moitié d’entre
elles appartenant d’ailleurs à l’armée, aux forces de sécurité et aux
comités de défense) seront mortes victimes de la barbarie, du mensonge,
de l’indifférence. Nous ne savions pas, diront-ils. Eh bien si, ils
savaient. Ils savaient même si bien qu’ils ont sciemment,
systématiquement, enfumé leurs concitoyens dans un nuage opaque de
fausses affirmations, de contre-vérités, de valeurs factices, de
tromperies. Qui osera donc leur demander des comptes ?
Resteront-ils
impunis comme c’est souvent le cas, tant il est vrai qu’ils sont si
puissants et si nombreux ? Si un seul d’entre eux dans le vaste monde
était pris pour cible par la Cour Pénale Internationale, comme un
africain ou un arabe du commun, cela nous redonnerait espoir dans les
valeurs que nous voyons chaque jour bafouées, bafouées par ceux-là mêmes
qui les brandissent afin de mieux cacher leurs turpitudes.
Michel Raimbaud
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