Réussir à dégoûter les Brésiliens du foot, et moi-même par la même occasion qui, minot, me rêvait footballeur professionnel, fallait le faire ! Et les Brésiliens et moi, on n’est pas tout seuls si j’en juge par le titre de cet ouvrage collectif placé sous la direction d’Antoine Dumini et François Ruffin, “Comment ils nous ont volé le football” (Fakir éditions, 6 euros).
Le foot professionnel, disent les auteurs, aficionados déçus eux aussi, n’a plus rien à voir avec les parties acharnées de ballon en mousse où nous nous écorchions les genoux dans les cours de récré. Le foot pro est devenu l’emblème triste de la mondialisation. Avec le fric pour tout pourrir.

Naïveté

En même temps, déjà, à l’époque, on étaient naïfs, aussi. On aurait facilement pu s’en douter que quelque chose clochait. Comme lors de ce lointain Mondial 66, organisé en Angleterre, et surnommé “World Cup des arbitres” tant ceux-ci mirent de zèle coupable à faire triompher d’abord l’Europe, ensuite le pays accueillant (finale Angleterre-Allemagne, 4-2).
« Jamais aussi clairement le football n’est apparu comme la continuation de la guerre par d’autres moyens », écrit notre collectif dépité à propos de ce triste précédent.
Après, disent les auteurs, la guerre est devenue financière, le foot un produit à vendre, et les footeux des esclaves couverts de millions pour qu’ils courent et la ferment. Les sponsors sont devenus les maîtres du jeu, les entraîneurs relégués au rang de fusibles commerciaux.
Dans le café de Ruffec, petite ville charentaise en bord de Nationale 10, où nous nous retrouvions jadis pour houspiller ou congratuler notre équipe selon qu’elle était vaincue ou victorieuse, jamais vu le moindre sponsor traîner au comptoir. Et il aurait fait beau voir qu’il s’en prit à l’autorité du droguiste qui nous tenait lieu d’entraîneur.
Le droguiste en question, qui avait connu son heure de gloire au sein de la glorieuse équipe de Lille (une finale de Coupe de France), ne vendait que des balais, des produits d’entretiens et des peintures. Certainement pas ces saletés dont on feint d’ignorer qu’elles courent dans les veines des champions d’aujourd’hui pour leur permettre d’assurer un match débridé tous les trois/quatre jours.

Les rodomontades de Platoche

On en apprend de belles dans le bouquin des éditions Fakir. Des pratiques mafieuses de la Fifa, qu’on supposait mais dont on n’imaginait pas l’ampleur, à une exploitation médiatique ruisselante à millions, en passant par la soumission servile de champions infantiles.
Faut remonter à loin pour trouver des récalcitrants magnifiques comme le buteur chilien Carlos Caszely qui moucha proprement Pinochet (lequel tortura sa mère en représailles) ou le Brésilien Socrates, dont l’équipe arborait le mot “democracia” en guise de pub sur les maillots.
Aujourd’hui le pétrole d’un vulgaire Qatar noie à flots toute velléité de révolte chez les enfants gâtés des pelouses, serrés par leurs dirigeants trop gras. Regardez donc notre fier “Platoche” faire la leçon aux émeutiers des favelas. Ho, les gars, on vous a compris, mais vous vous calmez le temps de la compète, ok ?
En attendant, moi c’est décidé, je le boycotte, ce Mondial. Je veux plus entendre parler de tous ces vendus, leur attribuer le moindre applaudissement, leur faire la moindre pub. (Bon, maintenant, si une télé est par hasard allumée…)

Tiens, je vais aller au stade du coin voir courir mes vedettes locales, qui peintre en bâtiment, qui magasinier en CDD, qui chômeur, ça m’évitera les tentations. Ah bon, il est fermé ? Ils sont tous au bar des Sports devant le grand écran télé ?

Photo :  Manifestation à Sao Paulo le jeudi 15 mai (Reuters)

Le Yéti