Vijay Prashad
Les négociateurs palestiniens se voient confier une tâche ingrate :
chaque fois qu’ils font un pas vers la position israélienne, les
Israéliens en demandent davantage.
On pourrait considérer que les Accords d’Oslo signés en 1993 -
qualifiés par Edward Saïd de « [traité de] Versailles palestinien » -
constituaient une concession suffisante pour Israël. Mais avec les
activités de colonisation et la construction illégales du mur en
Cisjordanie, Israël continue d’exiger davantage de territoires et moins
de paix.
Pendant des décennies, les négociateurs israéliens ont déclaré d’un
air maussade que leurs interlocuteurs palestiniens refusaient de
reconnaître à Israël le droit d’exister. Les Accords d’Oslo ont invalidé
cette accusation, mais n’ont évidemment pas eu comme corollaire la
reconnaissance de l’existence de la Palestine par Israël.
Peu de temps après les Accords d’Oslo, la position d’Israël a changé : les Palestiniens devaient non seulement reconnaître Israël, mais aussi l’accepter en tant qu’« État juif ». Il s’agit désormais d’une exigence dans le cadre des négociations en cours sous la tutelle du secrétaire d’État américain John Kerry qui se déroulent « en dents de scie ». Cette exigence des Israéliens est tellement scandaleuse que John Kerry l’a qualifiée « d’erreur » devant le Congrès américain le 13 mars.
Peu de temps après les Accords d’Oslo, la position d’Israël a changé : les Palestiniens devaient non seulement reconnaître Israël, mais aussi l’accepter en tant qu’« État juif ». Il s’agit désormais d’une exigence dans le cadre des négociations en cours sous la tutelle du secrétaire d’État américain John Kerry qui se déroulent « en dents de scie ». Cette exigence des Israéliens est tellement scandaleuse que John Kerry l’a qualifiée « d’erreur » devant le Congrès américain le 13 mars.
Le 25 mars, la Ligue arabe a adopté à l’unanimité une résolution
« exprimant son rejet total de la décision de considérer Israël comme un
État juif ». La Ligue arabe a suivi un argument avancé par un récent
rapport des Nations Unies intitulé « L’intégration arabe » et présenté
par la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO).
Le rapport, publié début mars, indique qu’« Israël insiste sur le
fait d’être reconnu par la communauté internationale et les Arabes comme
un État exclusivement juif ». « Il impose cette reconnaissance comme
condition pour l’obtention d’un accord avec les Palestiniens. Cette
politique repose sur le concept de pureté ethnique ou religieuse des
États qui avait sous-tendu les pires crimes du XXe siècle ».
Les mots employés sont forts. Ils impliquent une comparaison plus
juste d’Israël avec les pays du Sud (et non de l’Occident, comme il
l’aurait préféré), en particulier avec l’Arabie saoudite, autre État
basé sur la suprématie de la religion et le déni des droits des
minorités. Une comparaison que les Israéliens ne sont pas prêts à
accepter.
Confusion et frustration
Le 5 mars et le 7 avril, l’ambassadeur israélien auprès des Nations
Unies, Ron Prosor, a envoyé au secrétaire général des Nations Unies, Ban
Ki-moon, de violentes lettres condamnant Rima Khalaf, ancienne ministre
du gouvernement jordanien et présidente de la CESAO.
Selon le quotidien israélien Haaretz, l’ambassadeur déclare dans sa
deuxième lettre que le Dr Khalaf « a beau être titulaire d’un doctorat
en Science des systèmes, elle mériterait un doctorat en science-fiction
pour son rapport de 200 pages qui regorge de théories du complot. Ce
rapport relève bien davantage de la fiction que de la réalité en
alléguant qu’Israël ravive le concept de pureté ethnique et religieuse
de l’État ». Jon Prosor ajoute aux allégations désormais habituelles que
les « accusations [du Dr Khalaf] représentent la quintessence de
l’antisémitisme moderne » et qu’elle « diabolise Israël ».
À la lecture de ces lettres, on partirait du principe qu’Israël ne
souhaite pas être considéré comme un « État juif », concept qui repose
en effet sur « la pureté ethnique et religieuse de l’État ». Dans ce
cas, la confusion règne dans de nombreux quartiers où la nouvelle
exigence de Tel Aviv provoque effectivement un sentiment de frustration.
Le 4 mars, lors de la conférence du Comité américain pour les
Affaires publiques israéliennes (AIPAC), puissant lobby israélien, qui
s’est tenue à Washington DC, son lieu de prédilection, le Premier
ministre israélien Benjamin Netanyahu a demandé au dirigeant palestinien
Mahmoud Abbas de « reconnaître l’État juif », précisant que ceci
impliquerait l’annulation du « droit de retour » des Palestiniens (« Les
Palestiniens devraient renoncer au rêve d’inonder Israël de
réfugiés »).
Comment Israël définit-il l’État juif si ce n’est par la « pureté
ethnique et religieuse ? » Israël n’est pas parvenu à régler cette
question. Le parlementaire Avi Dichter (Kadima) a présenté des projets
de loi à la Knesset en 2010 et 2011 visant à supprimer l’arabe des
langues officielles et à remplacer la loi fondamentale israélienne par
la loi religieuse juive. Ces projets de loi ont été retirés.
L’année dernière, deux ensembles de projets de loi présentés par
Yariv Levin (Likoud), Ayelet Shaked (Foyer juif) et Ruth Calderon (Yesh
Atid) ont essayé de définir l’expression « État juif » mais n’ont de
nouveau pas pu parvenir à un consensus. Comment les dirigeants
palestiniens pourraient-ils accepter une expression vague que les
législateurs israéliens sont incapables de définir ?
« Loi d’apartheid »
Le ministère israélien des Affaires étrangères dispose d’une
définition anodine qui relie l’expression à l’idée de nationalité :
« Depuis leur apparition dans l’Antiquité, les peuples juifs ont
constitué une nation, un peuple et une civilisation ancrés dans les
aspects fondamentaux de leur identité, tels que le judaïsme et l’hébreu.
Israël est au peuple juif ce que la France est au peuple français,
l’Irlande aux irlandais et le Japon aux japonais ».
Or, le processus israélien de consolidation de l’État – par le biais
du déplacement des Palestiniens – est différent de celui des français,
irlandais et japonais. Cependant, la comparaison est significative en
ce qui concerne les droits des minorités. La France souffre aujourd’hui
d’une absence de protection juridique et sociale solide pour les droits
des minorités ainsi que du développement d’un mouvement politique
xénophobe (représenté en partie par le Front national) qui cherche à
subordonner les minorités.
C’est précisément ce que recherchaient les projets de loi présentés
par Yariv Levin et Ayelet Shaked, ce qui a poussé le journal israélien
Haaretz à les qualifier de « lois d’apartheid » (« Basic Law : Apartheid
in Israel », publié le 30 mars 2013).
Selon le comité de rédaction du journal, ce genre de loi est
particulièrement intolérant à l’égard des minorités. « Les Arabes
bénéficieront au mieux du statut de minorité tolérée, avec la
possibilité d’en faire une minorité indésirable ultérieurement, au motif
que sa présence altère la pureté juive de l’État ».
Est-ce là « l’État juif » que les négociateurs israéliens veulent
faire accepter aux dirigeants palestiniens ? Dans ce cas, le rapport de
la CESAO est exact, et l’ambassadeur Prosor doit des excuses au Dr
Khalaf.
« Torpillage des négociations »
La frustration engendrée par la nouvelle exigence d’Israël, son
acceptation en tant qu’État juif par les Palestiniens, a atteint le cœur
de l’appareil diplomatique américain. Dans une lettre ouverte publiée
par Politico le 8 avril, six diplomates américains majeurs (y compris
l’ancien Conseiller à la sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, et
l’ancien secrétaire de la Défense, Frank Carlucci) rejettent la demande
israélienne et demandent à John Kerry de « se montrer ferme ».
Les hommes politiques israéliens « n’ont pas le droit d’exiger des
Palestiniens qu’ils abandonnent leur histoire nationale » écrivent-ils,
« et les États-Unis ne devraient pas être parties à une telle demande...
Le fait que les Israéliens exigent que les Palestiniens reconnaissent
qu’Israël était et demeure la patrie du peuple juif a pour objectif
d’exiger des Palestiniens qu’ils affirment la légitimité du remplacement
par Israël de la population arabe de Palestine par la sienne. Ceci
encourage également les craintes de voir les citoyens arabes d’Israël
traités de manière arbitraire en permanence ».
À la fin du mois de mars, un membre de la Knesset, Zehava Galon
(Meretz), a déclaré que l’insistance de Benjamin Netanyahu pour faire
reconnaitre Israël comme État juif par les Palestiniens était « destinée
à torpiller les négociations ».
Il semble que c’est bien le cas. Alors que le « processus de paix »
stagne à nouveau, le gouvernement israélien tarde à faire preuve de
fermeté pour changer sa politique coloniale : davantage de colonies, de
barrières de sécurité, moins de droits pour les Palestiniens, et
l’amenuisement des chances de dialogue politique.
En 2003, Benjamin Netanyahu a déclaré que le mur avait été construit
pour circonscrire la Cisjordanie et éviter un « débordement
démographique » en Israël. L’effondrement du « processus de paix » et de
l’obtention d’une solution à deux États pourrait laisser seulement deux
options aux Israéliens : expulser les Palestiniens vers la Jordanie et
l’Égypte pour régler la question palestinienne, ou les intégrer en un
État unique et non-racial.
La politique d’Israël s’oriente vers la première solution, la seconde
représentant son pire cauchemar. Israël n’est pas déterminé à négocier,
sous quelque forme que ce soit. Il a gagné du terrain grâce à son
opiniâtreté. Pourquoi changer de stratégie maintenant ?
* Vijay Prashad est détenteur de la chaire Edward
Saïd à l’Université américaine de Beyrouth. Il a publié un essai dans
l’ouvrage de Githa Hariharan intitulé « From India to Palestine : Essays
in Solidarity » (New Dehli, LeftWord, 2014) revu par The Electronic
Intifada.
Photo : La police israélienne réprime des manifestants palestiniens dans la ville de Jaffa - Photo : Activestills.org/Oren Ziv
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