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Un nouveau médecin du travail réduit au silence
Clothilde Cadu
L’Ordre des médecins a infligé un blâme au docteur
Jean Rodriguez, après la plainte d’un employeur. La faute du psychiatre ?
Avoir établi un lien entre l’état de santé mentale d’une patiente et
ses conditions de travail. Depuis quelques temps, pressions et sanctions
s’abattent sur les défenseurs de la santé au travail, mettant en péril
leur existence même.
La souffrance au travail n’existe pas. Ceux qui se risquent à dire le
contraire en seront pour leurs frais. Pour avoir établi un lien entre
l’état de santé mentale d’une salariée et ses conditions de travail, le
docteur Jean Rodriguez, psychiatre à l’hôpital de Montfavet (Vaucluse) a
été puni par l’Ordre des médecins. L’homme a écopé d’un blâme, l’une
des sanctions les plus graves, parce qu’il a fait son boulot : « éviter toute altération de la santé physique ou mentale des travailleurs du fait de leur travail ». L’affaire remonte à la fin de l’année 2011. Le praticien, qui anime
des groupes de parole sur le harcèlement au travail dans son
établissement hospitalier, reçoit une salariée d’un magasin Zôdio
(groupe Mulliez, aussi propriétaire des supermarchés Auchan). Estimant
que celle-ci souffre d’un stress post-traumatique, il rédige deux
certificats dans lesquels il fait état de harcèlement moral subi au
travail. Licenciée pour inaptitude début 2013, la salariée a attaquée Zôdio aux
prud’hommes et produit les écrits du docteur Rodriguez. L’employeur n’a
pas apprécié. Il a donc saisi l’Ordre des médecins pour faire taire cet
empêcheur de travailler en rond — une procédure rendue possible par la
modification d’un décret du code de la santé publique en 2007. « Nous contestons deux certificats médicaux établis par le docteur Jean Rodriguez »,
indiquent ainsi les avocats de la société Zôdio dans une lettre au
président du Conseil départemental de l’Ordre des médecins du Vaucluse. « Nous
souhaiterions que son auteur soit rappelé à l’ordre ou sanctionné par
votre conseil pour manquement au code de déontologie de votre profession
et que vous enjoigniez le docteur Jean Rodriguez de rédiger de nouveau
le certificat conformément au code de déontologie médicale », poursuivent les avocats pour qui il s'agit de certificats de complaisance.
L’Ordre a obtempéré, pas le docteur Rodriguez. « Je ne me suis pas contenté de reproduire les dires de la patientes, j’ai fait un diagnostic », explique le médecin mis en cause. « Le
diagnostic a été confirmé par le médecin traitant, puis par le médecin
du travail. Tout le monde est d’accord mais personne n’a le droit de le
dire ! ».
De fait, depuis quelques temps, les
défenseurs de la santé au travail sont priés de se taire. En janvier,
Dominique Huez, médecin du travail à la centrale nucléaire de Chinon,
recevait un avertissement de la part de son Ordre régional pour des
faits similaires. La société Orys, un sous-traitant d’EDF, avait saisi
le conseil des médecins, qui s’était joint à la plainte. L’entreprise
reprochait au docteur Huez d’avoir manqué de « prudence » et « circonspection » dans la rédaction d’un certificat médical faisant le lien entre la dépression d’un salarié et l’organisation de son travail.
Deux autres médecins du travail,
les docteurs Elisabeth Delpuech et Bernadette Berneron, ont également
eu affaire à leurs pairs, saisis par des employeurs. D’autres, apeurés,
intimidés, auraient renié leurs écrits pour les rendre plus
« conformes » aux attentes du patronat. « A quoi sert la législation sur la souffrance au travail si on nous interdit de la combattre ? », s’interroge Jean Rodriguez.
Dans sa décision rendue la 11 avril dernier, la Chambre disciplinaire
de l’Ordre des médecins de Paca et Corse reproche à Jean Rodriguez
d’être « personnellement engagé dans des actions menées aux côtés
d’organisations syndicales ayant pour objectif de combattre “la
souffrance psychique au travail” »… Il est vrai que de la part d'un médecin du travail, c'est une faute impardonnable que de vouloir... « combattre la souffrance au travail » !
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