Jacques-Marie Bourget
Les
mots en guerre, je veux dire les mots que les médias utilisent pour
parler de la guerre, perdent leur sens au premier coup de canon. La
poudre met le feu aux dictionnaires et ce qui voulait dire noir signifie
blanc.
En
ces heures les journalistes ont deux champs d’exercice pour leur
sémantique, celui d’Ukraine où Poutine est « Hitler » et Svoboda
« Gandhi », celui d’Israël où la politesse due à « un pays ami » a
réussi à faire passer la langue militaire pour la vérité à répéter.
Un
exercice pratique, pris au hasard, mais qui est un échantillon de cet
infini. Dimanche soir, le 20 juillet à 22 heures, face à la chaine I
Télé, j’apprends que des combattants, forcément du « Hamas », ont
« enlevé » un soldat de Benjamin Netanyahou. Sur le plateau ils sont
trois estampillés journalistes, et qui se renvoient cette information
comme une boule de billard électrique. Si, pour l’un, le militaire a été
« enlevé », pour un autre il a été « kidnappé ». En passant je signale
que, par essence, ce mot qui contient « kid », ne peut être utilisé que
lors de l’enlèvement d’un enfant. Le mieux est à venir, une jeune
consœur évoque un « otage ». Ca y est ! Nous sommes dans un schéma
connu, celui du soldat Shalit, capturé les armes à la main mais
néanmoins « otage » pour la France. Pour une journaliste d’I Télé, un
soldat qui fait la guerre et se fait prendre, n’est donc pas un
« prisonnier ». Mais un « otage » victime d’un « rapt », d’un
« enlèvement » comme jadis le malheureux baron Empain. Voyez que les
rails de la SNCF ne sont pas seuls à être dévoyés : les mots déraillent
aussi. Téléspectateurs et auditeurs vigilants, il y a longtemps que vous
savez que l’armée Israélienne n’existe pas. Dans les hauts parleurs
n’existe que « Tsahal », ce qui veut dire « Armée de Défense ». Un petit
nom gentil qui fait que le missile est moins cruel quand il tombe.
« Tsahal » ça fait nom de fleur, ou nom de gâteau, en tout cas un nom
qui ne fait aucun mal.
Vous me direz que rien n’oblige un citoyen à
regarder les infos à la télé. C’est vrai et Internet lui est
préférable. Mais lundi à 13 sur France 2, me voilà face à un autre
confrère posté en Israël. Il ne risque qu’un coup de soleil mais porte
quand même un gilet pare balles floqué d’un logo « Press ». Dans son cas,
il est préférable que son occupation professionnelle soit indiquée tant
ses propos inspirent le doute sur le métier. Ce reporter nous dit
« Tsahal a encore du travail, beaucoup de travail pour boucher des
dizaines de tunnels ». Car il le sait, lui avec son calicot « Press »
collé sur la poitrine, le travail que « Tsahal » « doit » accomplir. Il
en connait la raison et l’utilité. Et il la justifie sans ciller.
Pour
reprendre les chapitres précédents de cette tragédie récurrente, vous
savez qu’en Cisjordanie il n’existe rien qui partage la Palestine
d’Israël, rien sauf un mur (déclaré illégal par l’ONU). Une honte en
béton que nos pudiques confrères en panne de mots baptisent « mur de
séparation ». Détail qui change tout et fait penser à votre voisin de
campagne qui a clôt pour que son chien ne s’échappe pas. Aussi, si les
Palestiniens existent, la Palestine n’existe pas. Les bouches
médiatiques ne parlent que de « Territoires ». Ignorant même la
déclaration Balfour, elles pensent que la Palestine n’est qu’une
invention d’Arafat. Et quand, pour se calmer les nerfs, un soldat
israélien pénètre à Gaza (acte inutile en Cisjordanie occupée où il est
partout chez lui), il ne pratique pas un raid ou une invasion mais une
« incursion », ce qui est beaucoup plus courtois. Par ailleurs, on se
demande comment les bombes, obus et missiles peuvent provoquer autant de
morts à Gaza puisqu’il s’agit de « frappes », mieux de « frappes
ciblées ». La « frappe », c’est comme Messi tirant au but, nous sommes
au Brésil et le Mondial continue. Il n’y a pas de mal à « frapper »,
comme une gifle donnée à l’enfant. Quand il y a des morts -ça arrive- il
ne faut pas en faire un plat, c’est un « dégât collatéral », on ne fait
pas d’omelette sans casser l’œuf palestinien.. Et pensez-donc, si la
« frappe » est « chirurgicale », elle ne peut faire que du bien, le
bistouri ne détruit-il pas le cancer ?
Pour être honnête,
« Tsahal » n’est pas seule à avoir travaillé cette forme de langue
blindée. Depuis que les guerres n’existent plus et qu’elles sont
remplacées par des « opérations de défense », des « guerres
humanitaires », ou « d’ingérence », la langue s’est mise au pas. Comme
« Tsahal », les légionnaires de Serval, au Mali, ne font que le bien
autour d’eux à coups de « frappes » et « d’incursion ». Seule bavure,
parfois dans la bouche du ministre de la Guerre Le Drian, on parle de
« nettoyage » et de gens « abattus ». Il ne faut pas lui en tenir
rigueur de ces mots culotte de peau, cet homme est un produit de la
SFIO, elle même nourrie des vraies valeurs, celles de la chasse aux
fellaghas.
Il est utile de remarquer que la traque des mots, dès
qu’on parle du « conflit israélo-palestinien » (surtout pas de la
colonisation), est un travail constant des censeurs. Ainsi, depuis Gaza,
pour avoir décrit ce qu’ils voyaient, c’est-à-dire la mort massive,
deux confrères américains ont été mutés. L’un de ces crétins, incapables
d’apprendre le bon lexique de guerre, est une journaliste de CNN, vite
déplacée à Moscou, l’autre un grand reporter de NBC rappelé à Chicago.
L’important est de savoir qu’en choisissant les bons mots pour la dire,
la guerre est beaucoup plus acceptable.
Et voir : https://www.youtube.com/watch?v=PzOgJNL7nYE
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire