Si vous croyez
que les pays européens sont des pays démocratiques parce que les
élections y sont libres, la presse indépendante, et qu’on ne jette pas
les opposants en prison, lisez d’urgence « L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie
» le petit livre – accablant, effrayant – d’un journaliste essayiste,
Hervé Kempf, qui, faits et chiffres à l’appui, nous démontre que ces
pays ne sont que des « théâtres de marionnettes dont nombre de fils sont tirés en dehors de la vue du public ».
Ni démocratiques ni dictatoriaux,
les pays européens et, ceux qui, hors d’Europe, fonctionnent selon leur
modèle, sont en réalité des pays qui glissent vers un régime
oligarchique, c’est-à-dire « un système d’organisation politique dans
lequel un petit nombre de personnes concentrent et se partagent les
pouvoirs économique, politique et médiatique et discutent entre eux des
décisions à prendre pour la collectivité ».
Se rencontrant régulièrement dans quelques clubs très sélectifs – la Trilatérale, le groupe Bilderberg,
le Forum économique mondial, le Siècle – les oligarques appartiennent à
la catégorie la plus fortunée de la population, qui elle-même se divise
en « riches » (en France, 10% des citoyens, + de 7500 euros par mois
pour un couple avec deux enfants ), « très riches » (1%, + de 17 600
euros par mois et par couple), enfin « hyper-riches » (0,1%, avec 142
500 euros mensuels par couple). C’est dans les deux dernières catégories
(très riches, hyper-riches) que se recrutent les décideurs politiques
–ministres, conseillers, députés, sénateurs, PDG des grandes entreprises
publiques– qui naviguent entre les secteurs public et privé. Sortis des
grandes écoles, ils commencent généralement leur carrière dans
l’appareil d’État, la poursuivent à la direction d’une banque ou d’une
grande entreprise, puis reprennent une fonction politique. Le
va-et-vient est permanent et permet aux principaux centres de pouvoir
d’agir de façon complémentaire : tel PDG, devenu ministre, mènera une
politique qui favorisera le secteur d’où il vient, tel autre celui où il
envisage de siéger. Ces oligarques n’ont qu’un objectif :
l’accroissement de leur pouvoir, de leur visibilité et de leur fortune.
« Toutes les descriptions
des milieux financiers, écrit Hervé Kempf, décrivent une obsession :
gagner, gagner toujours plus, pour dépasser les rivaux dans la course au
prestige matériel. » Se moquant de l’intérêt général, ils n’ont qu’un
souci : des revenus toujours plus élevés, dans une société où «l’argent
est le principal signifiant de la réussite sociale». N’hésitant pas à
augmenter eux-mêmes leur salaire lorsqu’ils entrent en fonction, ils
subissent dès le début les assauts des lobbyistes qui s’efforcent
d’orienter leurs choix politiques. Les 15 000 lobbyistes établis à
Bruxelles et qui «représentent 2600 groupes privés» influencent
considérablement la législation. Souvent, ils rédigent eux-mêmes
résolutions et projets de loi. Toutes n’ont qu’un but : servir les
intérêts des dirigeants. C’est pourquoi, dans tous les pays européens,
les décideurs privatisent les entreprises détenues par l’État, démantèlent le service public
–fermeture d’hôpitaux, de bureaux de poste, de commissariats–, vendent
ou louent des biens nationaux (on peut s’offrir le toit de l’Arc de
triomphe pour y célébrer un mariage, organiser bals et festins),
réduisent les budgets sociaux (enseignement, santé, justice…), bloquent
les salaires, diminuent le montant des allocations familiales et
baissent indirectement les pensions de retraite.
Obtenus autrefois
à la suite de longues luttes ouvrières, tous les acquis sociaux sont
progressivement bradés et de plus en plus de citoyens, faute de moyens,
renoncent par exemple à consulter un médecin ou un avocat. Seuls les
riches ont les moyens de se soigner et d’offrir à leurs enfants la
possibilité de fréquenter l’université. La reproduction des castes
dirigeantes est ainsi assurée, et d’autant plus paisiblement qu’à dose
homéopathique, quelques jeunes des classes « défavorisées » sont admis à
l’ENA ou à Sciences-po. Ce qui, en donnant aux autres de faux espoirs,
évite qu’ils ne s’insurgent et confère au pouvoir un air de démocratie.
Beaucoup de citoyens
ne sont pas dupes, et si leur passivité est stupéfiante, elle
s’explique aisément. Car tout est fait pour les rendre amorphes :
lorsqu’on passe en moyenne 4 heures par jour devant une télévision qui
endort tout esprit critique, lorsqu’on absorbe, entre deux émissions
stupides, message publicitaire sur message publicitaire, lorsque
l’attention ne s’éveille qu’à la diffusion d’un match, lorsqu’on est
dépourvu, car l’école n’en donne pas, de tout outillage intellectuel
pour décrypter valablement ce qu’on voit et entend, le cerveau est dans
un état tel, qu’abruti ou hypnotisé on n’a plus les moyens de réagir.
D’où ce désintérêt quasi général pour la « politique », la résignation (« tous pourris !
»), le repli sur soi et l’attente du prochain loto. Par crainte, malgré
tout, qu’un jour le peuple ne se réveille, «l’oligarchie, estime Hervé
Kempf, prépare un régime d’exception. Une bonne moitié du programme
présidentiel de Jean-Marie Le Pen est depuis passée au Journal officiel».
Le reste de ce programme s’y inscrira bientôt si, mal-logés,
mal-soignés, mal-payés ou sans travail, les damnés de la Terre n’ont
plus la force de se lever.
D’après un article de Maurice TARIK MASCHINO
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