Plus
personne ne regrette vraiment ce que l’on nommait autrefois « la
rentrée sociale ». Plus personne ne la regrette car plus personne n’a
gardé le souvenir de ce qu’elle signifiait profondément. Après l’été des
« congés payés – autre vocable à l’usage aujourd’hui désuet – le temps
du retour aux réalités nécessairement conflictuelles du monde du travail
revenait comme un rituel Légitime.
Quand les « classes laborieuses » commencèrent de baisser leur garde
face au patronat revanchard un vocabulaire et une rhétorique plus
conformes à l’air du temps apparurent. On ne parla plus que de
« partenaires sociaux » car désormais nous devons tous admettre que
« nous sommes tous dans le même bateau ». Nous avions donc tous oublié
la rentrée sociale depuis longtemps lorsque les calendriers du
Gouvernement et du patronat coïncidèrent brutalement à la fin du mois
d’août dernier pour nous offrir une terrible rentrée.
Après avoir
promptement écartés ceux de ses ministres qui s’étaient autorisés à
douter publiquement de la pertinence de sa politique, Manuel Valls se
rendit presqu’illico à l’université d’été du Medef. Il y déclara sa
flamme sans ambages. Son « j’aime l’entreprise » est déjà passé à la
postérité. Une déclaration d’amour qui réussit même à surprendre, par la
violence apparente du sentiment qui la porta, nombre de citoyens déjà
sans illusion aucune quant à la psychologie profonde du personnage.
Manuel Valls n’a pas dit « j’aime les entreprises », ce qui aurait
laissé ouverte la porte sur la grande diversité du monde de la
production. Il n’a pas dit qu’il aimait certaines entreprises, ce qui
nous aurait permis de supposer qu’il ne les confond pas toutes dans un
grandiose blanc-seing délivré à l’encontre de leur action. Nous comptons
pourtant plus de deux millions d’entreprises en France, la plupart de
taille modeste, dans des branches aux réalités économiques et sociales
fort contrastées. Et voilà que notre Premier Ministre les embrasse
toutes au comble d’une étreinte virile que tous les grands médias surent
relayer. Il aime l’entreprise, point barre ! Même le célèbre Raymond,
en son temps « premier économiste de France », ne s’était jamais risqué à
afficher une aussi impudique conduite. C’est sans doute qu’il avait le
sens du ridicule dont son successeur est à l’évidence fièrement
dépourvu. C’est l’entreprise, entité abstraite recouvrant le sort – trop
souvent peu enviable – de millions de salariés, qui émoustille
l’amoureux transi. On cherchera vainement le mot travail dans son
discours à l’aréopage patronal rassemblé sur le campus d’HEC. Le mot
capital, en revanche, y figure plus qu’à son tour. Un discours de droite
prononcé par un homme de… droite. La messe est dite ! Toute honte bue.
Le
drame est bien celui-là : les hommes et les femmes qui sont la
substance vivante du monde du travail et sans lesquels l’on se demande
bien ce que deviendrait « l’entreprise » sont définitivement abandonnés
aux forces incontrôlées d’une économie de prédation au service de plus
en plus exclusif des propriétaires du capital. Ce sont ces derniers qui
donnent l’orientation des réformes à conduire, le pouvoir politique ne
faisant que retarder plus ou moins longtemps leur mise en œuvre. Et l’on
attend de moins en moins longtemps ! Pourquoi le Medef se priverait-il
d’en rajouter ? Avec un Président de la République et un Premier
Ministre aussi serviles, il aurait tort de se gêner. Il demande
maintenant la réduction du nombre de jours fériés, la création d’un
salaire inférieur au SMIC, l’ouverture généralisée des commerces le soir
et le dimanche. « On n’a pas encore tout essayé. En France, on a essayé
ce qui a échoué partout mais pas ce qui marche ailleurs. » Un million
d’emplois est à la clé, vous dit-on. On ne va tout de même pas passer à
côté de cette promesse mirobolante. Le nombre d’emplois promis est
devenu depuis longtemps un fétiche tout comme la Croissance qui lui sert
de prétexte. Cette fois c’est carrément l’escalade : un million ! Ils
faut frapper les esprits qui cependant sont occupés ailleurs. Le citoyen
avisé n’a-t-il pas compris depuis longtemps qu’il ne faut pas confondre
emploi et travail, que l’on parle d’autant plus fort du premier que
l’on veut ignorer les réalités dégradées du second. L’emploi n’est
qu’une enveloppe cachant tant de mépris pour la « ressource humaine ».
Il faut faire grimper le nombre d’emplois coûte que coûte. Peu importe
ce que contiennent ces emplois. La politique du chiffre a pris toute la
place. Ainsi, c’est au service de cette politique honteuse que l’on
durcit le contrôle des chômeurs inscrits à « pôle emploi » dont la
« mission répressive » remplace progressivement toute les autres. Oui,
il est bien là le grand abandon de la Gauche de gouvernement : ne plus
voir en chaque salarié qu’un dossier dans un fichier à exploiter, un nom
sur une liste de radiés potentiels, un candidat permanent à la fraude
ou à la fainéantise. L’abandon tutoie ici l’indécence. Il est probable
que nous ne soyons pas au bout de nos peines ! D’autres idéaux de la
gauche vont assurément valser dans les temps qui viennent.
Pour
obtenir la confiance de l’Assemblée nationale le 16 septembre dernier,
le Premier Ministre a fait quelques vagues promesses, notamment que l’on
ne toucherait pas aux 35 heures. La confiance obtenue est cependant de
pacotille, les « frondeurs » à la petite fronde sont en fait plus
nombreux que le vote de circonstances ne le laisse voir.
La classe
politique supérieure est désormais si étrangères aux réalités profondes
de la société civile qu’il est devenu presque impossible d’espérer une
réconciliation à brève échéance. L’entêtement de la première ira à son
comble, alimentant le drame de la seconde. La Reconstruction pourra
alors commencer. Décidément, l’Histoire n’est pas finie !
Les Zindignés - No 18 – Octobre 2014
Le Grand Soir
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