Sir Anthony Brenton
Le loup : Dangereux quand on le provoque sans raison.
Proverbe russe : « Si vous avez peur du loup, n’allez pas dans les bois. »
L’Occident
a commis une bévue en s’aventurant dans la forêt ukrainienne. Il a
ainsi irrité le loup russe, pour finalement se rendre compte qu’il n’est
pas en mesure de l’affronter.
La question qui se pose désormais : comment se tirer ce mauvais pas ?
La politique de l’Occident repose sur
deux postulats erronés. Le premier est que nous devons nous opposer à
une Russie revancharde. Plus concrètement : hier la Russie s’est emparée
de la Crimée ;
aujourd’hui, de l’Ukraine orientale ; demain – qui sait – de l’Estonie,
de la Pologne ? Ce genre de considération se reflète exactement dans le
cauchemar, pour les Russes, d’une expansion prédatrice de l’OTAN ; hier
la Pologne et l’Estonie, aujourd’hui la Géorgie et demain – qui sait –
certaines parties de la Russie proprement dite ? Les suspicions
mutuelles de 1914 reviennent troubler les esprits.
En fait, avant ce que les Russes ont
considéré (dans une certaine mesure à juste titre) comme une offensive
en vue de contrôler Kiev en février dernier, rien ne donnait à penser
que la Russie puisse être revancharde. Ceux qui font allusion à la
Géorgie se trompent : ce sont les Géorgiens qui ont déclaré la guerre
en 2008. Toutefois, l’Ukraine représente un dossier particulièrement
sensible pour la Russie : les deux pays sont en effet unis par des liens
sociaux, culturels et historiques profonds. Kiev est connue comme la
« mère des villes russes ». Même en Ukraine, les Russes veulent de
l’influence plutôt que des territoires à proprement parler.
L’idée de « résister à Poutine comme
nous avons résisté à Hitler » est digne d’une politique de cour de
récréation. Poutine, que j’ai largement eu le temps d’observer en tant
qu’ambassadeur britannique à Moscou,
n’est pas un fanatique mû par l’idéologie. Ce serait plutôt un
Talleyrand, calculateur et pragmatique, qui s’attache à redonner à son
pays la place qui lui revient dans le monde. Certes, l’annexion
de la Crimée était illégale et déstabilisatrice. En fait, c’était
surtout une réaction de panique face à des circonstances
exceptionnelles, et non une tentative de reconstruction de l’URSS. Bien
entendu, nous avons tout à fait raison de rassurer ceux qui se sentent
le plus menacés, comme l’OTAN l’a fait en décidant de créer son « fer de
lance ». Nous avons raison de condamner la destruction du MH17, au
sujet duquel un rapport a confirmé hier qu’il avait presque certainement
été abattu. Cependant, l’idée qu’une démonstration de force est
nécessaire pour convaincre la Russie que l’OTAN ne plaisante pas est
ridicule. Si les Russes ne prenaient pas la garantie de sécurité de
l’OTAN au sérieux, pourquoi s’inquiéteraient-ils autant de voir
l’Ukraine l’intégrer ?
Le second postulat erroné est que des sanctions économiques peuvent arrêter la Russie. Nous avons pris six fois des sanctions
à l’encontre de la Russie depuis la Seconde Guerre Mondiale ; elles
n’ont jamais eu d’effet et n’en auront pas davantage cette fois. Au
sommet de l’OTAN qui s’est tenu le week-end dernier à Newport, il y
avait quelque chose de désespéré dans les affirmations selon lesquelles
les sanctions
avaient contraint la Russie à accepter le cessez-le-feu actuel. En
réalité, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Ukraine ont résisté à
l’idée d’un cessez-le-feu qui laissait la Russie maîtresse de l’Ukraine
orientale. L’Ukraine n’a accepté le cessez-le-feu que parce qu’elle a
soudain commencé à perdre la guerre.
Les sanctions sont un pis-aller en
l’absence d’une alternative efficace. Elles ont probablement causé
quelques dommages économiques, mais leur seul effet politique a été de
rallier les Russes derrière leur président, et de renforcer la
conviction de Poutine que c’est une lutte qu’il ne peut pas se permettre
de perdre, quel qu’en soit le coût. Même l’opposition russe ne soutient
pas ces sanctions.
Les deux dernières semaines ont montré
que les Russes sont prêts à aller jusqu’au bout pour atteindre leurs
objectifs politiques en Ukraine. Rares sont ceux qui pensent pouvoir en
faire autant pour les arrêter. En conséquence, tout ce que nous pouvons
faire, c’est prolonger l’agonie et infliger encore plus de misère à
l’Ukraine. Heureusement, le fossé entre la rhétorique flamboyante du
sommet de Newport et la modération de ses décisions réelles constituait
une reconnaissance implicite de cet état de fait. Malgré les demandes de
la Pologne, le fer de lance ne sera pas tourné vers les frontières de
la Russie. Les forces armées de l’Ukraine recevront également de l’aide
de l’OTAN, mais aucun armement sérieux (car elles restent vouées à la défaite).
Pendant ce temps, le sommet n’a fait
aucune référence au point le plus sensible pour la Russie : l’entrée de
l’Ukraine dans l’OTAN. Quant aux membres de l’OTAN, ils ont plutôt
démenti leurs craintes exprimées en public d’une Russie revancharde par
leur réticence à dépenser plus pour la défense.
Lorsqu’il m’a été donné de participer à des sommets tels que celui-ci,
un engagement, tel que celui du communiqué de l’OTAN, « visant à »
augmenter les dépenses revenait à décider de ne rien faire.
D’ailleurs, comme l’ont noté de nombreux
commentateurs, les objectifs de la Russie – à savoir, la neutralité de
l’Ukraine et des gardes-fous constitutionnels pour la population à l’Est
– sont irréalisables. [Après tout], nous traitons avec la Chine, l’Iran
ou la Corée du Nord. Ne nous en déplaise, le moment est venu de traiter
avec Poutine. Dans une certaine mesure, cela ne devrait pas être trop
difficile : en effet, l’Ukraine n’est en aucun cas en mesure d’intégrer
l’OTAN dans un avenir proche. Négocier un niveau acceptable d’autonomie
pour l’Ukraine orientale s’annonce toutefois beaucoup plus difficile.
Les Russes en sont maîtres et ils ne lâcheront pas le morceau tant que
leurs exigences n’auront pas été satisfaites.
De son côté, le président de l’Ukraine,
M. Porochenko, est confronté à une droite nationaliste que la moindre
concession met en rage. Dans ce cas précis, des sanctions pourraient
avoir leur utilité si elles sont assorties d’une offre de les lever pour
faciliter un accord.
Toute l’affaire soulève des questions
dérangeantes quant à la compétence des décideurs occidentaux vis-à-vis
de la Russie. La seule porte de sortie de cette confusion est visible
depuis des mois. Mais ne jetons la pierre à personne.
Les enjeux restent
importants. Une Ukraine démocratique et prospère, tournée vers
l’Occident (mais pas alliée de celui-ci) a toutes les chances de
constituer un exemple important pour ses voisins russes. D’autre part,
le rétablissement des liens économiques de l’Occident avec la Russie est
également crucial pour tirer ce pays, même lentement et de manière
désordonnée, vers la normalité européenne.
L’auteur a été ambassadeur britannique en Russie de 2004 à 2008.
Cet article est paru initialement dans le Daily Telegraph.
Traduit par Gilles Chertier pour Réseau International
Source : russiainsider.com
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