Benedikt Arden
Parmi
tous ceux qui défilent le 1er mai, combien savent vraiment ce pour quoi
ils manifestent ? Outre le fait que ce jour commémore le combat
ouvrier, saviez-vous que celui-ci tire ses origines d’un des principaux
combats syndicaux du 19e siècle, soit celui de la limitation de la
journée de travail à 8h ?
Au-delà
de la simple tradition, et contrairement à notre « Fête du travail »[1]
le premier lundi de septembre, ce jour n’en est pas un de fête, mais de
combat. Doublé d’un jour de souvenir, afin que l’on se souvienne du
massacre de Haymarket Square dans les premiers jours de mai 1886 à
Chicago. Cette belle journée de Beltaine, celle qui précède les beaux
jours d’été, est malgré tout pour ceux qui l’honorent un symbole
d’espoir, car la cause ouvrière, quoique plus avancée aujourd’hui
qu’elle ne l’était à l’époque, est toujours un combat d’avant-garde et
une nécessité pour tous ceux qui croient encore en l’avenir. Enfin,
retournons un petit peu dans le passé afin de se remémorer les
évènements qui ont fait de cette date ce qu’elle est aujourd’hui.
L’histoire
de la journée internationale du travail commence chez les travailleurs
australiens qui ont eu l’idée de faire une grève de masse le 21 avril
1856 comme moyen de pression afin d’obtenir une baisse raisonnable de la
journée de travail, soit à 8h. La journée typique pour un prolétaire en
usine (tout pays industriel confondu) était à l’époque d’au moins 10 à
12 h par jour. Cette grève, contre toute attente, eut un succès
retentissant, ce qui fit que l’expérience se devait d’être reproduite
ailleurs.
Les seconds à emboîter le pas furent les Américains un
peu moins de 30 ans plus tard. En octobre 1884, la fédération américaine
du travail, l’American Federation of Labour ou AFL,
organisait sa 4e convention à Chicago, où fut adoptée une mention sur la
nécessité de l’implantation des 8h. En tant que syndicat raisonnable,
ils donnèrent donc un délai de 2 ans aux employeurs pour prévoir le coup
en plus de s’engager à ne pas demander de hausse de salaire d’ici là.
Par contre, si les employeurs après ce délai n’acceptaient pas cette
réforme, la fédération s’engagerait à mener des grèves de grandes
ampleurs jusqu’à l’obtention de son objectif. Dès lors, les dés étaient
jetés !
Comme de bien entendu, le patronat, fidèle à son habitude,
se fit très discret sur sa volonté de mettre en place ce changement
dans les délais prescrits. Les syndicats décidèrent donc de mettre en
place leur unique moyen de pression à partir du 1er mai. Évidemment, ce
choix n’était pas dû au hasard, car c’était le début de l’année fiscale.
Mais en plus de cela, le 1er mai était aussi le Moving Day (ou jour du déménagement), où les baux devaient être renouvelés. Autrement dit, une journée potentielle d’enfer pour les puissants.
L’appel
à la grève général fut largement suivi dans le pays, et environ 350 000
personnes répondirent « Présent ! » à ce grand jour. Malgré ce succès,
la situation n’évolua gère par la suite. À Chicago, principal bastion de
la cause, une grande marche fut organisée au 3ème jour de mai avec près
de 4 000 ouvriers afin de donner leur appui aux grévistes de la société
McCormick qui faisaient face à des patrons particulièrement cyniques,
notamment par leur usage immodéré des briseurs de grève (scabs).
Ce jour fut particulièrement funeste, car il dégénéra en un conflit
direct avec les policiers, ce qui fit 3 morts chez les grévistes. Au
lendemain de ce drame et sous l’impulsion de l’indignation populaire,
une manifestation de près de 15 000 personnes fut organisée au Haymarket Square.
Comme celui de la veille, l’événement devait entrer en conflit direct
avec les policiers. C’est alors qu’une bombe explosa du côté des
policiers, faisant un mort. Une bagarre terrible se produisit,
provoquant plusieurs blessés et morts des deux côtés. Il est à noter que
l’origine de « l’attentat » à la bombe était en provenance d’un
contingent anarchiste parmi les manifestants et que ceux-ci, à l’instar
de leurs camarades européens, étaient particulièrement infiltrés par les
services secrets. L’usage d’agents provocateurs[2] est toujours un bon
moyen à employer quand on veut éliminer le soutien populaire d’une
potentielle insurrection et c’est effectivement ce qui se produisit pour
cette grève générale et causa la condamnation à mort de sept
syndicalistes et l’emprisonnement de plusieurs autres. Le jour de
pendaison des sept détenus fut plus tard appelé Black Friday.
Un
peu plus tard, de l’autre côté de l’océan atlantique, en 1889, une
nouvelle « Internationale ouvrière » était mis en place et décréta comme
l’un de ses objectifs principaux la fixation de la journée de travail à
8h. Mais, plus encore, l’International avait comme objectif fonctionnel
de base la mise en place d’une journée de grande manifestation
internationale à date fixe, de manière que, dans tous les pays et dans
toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs
mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit
heures la journée de travail [3]. C’est la proposition de Raymond
Lavigne, militant syndicaliste et membre du parti ouvrier français de
Jules Guesde, qui fixa le principe. Comme une grande manifestation était
déjà prévue par l’AFL aux États-Unis en cette date du premier mai 1890,
l’exemple fut suivi par l’International et perdurera encore
jusqu’aujourd’hui.
Le Congrès de l’International de Zurich dans sa séance du 11 août 1893 décréta que
la manifestation du 1er mai pour la journée de huit heures devait en
même temps affirmer en chaque pays l’énergique volonté de la classe
ouvrière de mettre fin par la révolution sociale aux différences de
classe, et ainsi de manifester par la seule voie qui conduit à la paix
dans l’intérieur de chaque nation et à la paix internationale. Ce
principe est encore aujourd’hui, ici même au Québec, criant d’actualité,
car non seulement la cause ouvrière, autochtone et étudiante est de
plus en plus dans une voie sans issue face au pouvoir, mais le peuple
dans son ensemble crie sa volonté de changer ce système corrompu et
vieillissant.
Ce qui importe fondamentalement en ce jour de combat
pour nous autres indépendantistes québécois, c’est que le 1er mai est
aussi une grande occasion de manifester pour le principe de
l’autodétermination des peuples via la lutte pour la justice sociale
qu’impose cette journée. Comme nous sommes attachés à la paix mondiale
et que celle-ci n’a de possibilité d’exister que si nous mettons
définitivement fin à l’impérialisme, et que celui-ci est intrinsèquement
causé par l’exploitation vorace des travailleurs du monde entier, nous
nous devons d’appuyer ce combat de classe. Nous qui réclamons
l’indépendance de notre pays et qui voulons que cesse l’exploitation
indigne que subit notre peuple depuis 1763, nous nous devons de rappeler
que tous les peuples du monde ont ce même droit.
Notre devoir est donc,
comme avant-garde de l’indépendance, de se battre pour la justice ici
comme ailleurs, afin que cesse l’exploitation et l’impérialisme, pour
que tous les peuples sur Terre puissent enfin être maîtres chez eux !
Notes
[1] Au Canada et aux États-Unis, la fête du travail est un jour férié du mois de septembre.
[2]
En 1893, le gouverneur progressiste de l’Illinois amnistie les
syndicalistes encore détenus, en raison de la fragilité de l’enquête et
du processus judiciaire
[3] Congrès international ouvrier socialiste convoqué à Paris du 14 au 21 juillet 1889
Source : http://www.rebellium.info/2013/05/lhistoire-du-1er-mai.html
Le Grand Soir
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