Le
ministre de l’Économie fêtera bientôt sa première année à Bercy. Jamais
élu, auteur d’une loi ultralibérale passée à coups de 49-3, l’ancien
banquier a aussi multiplié les petites phrases chocs, dans une
décontraction totale qui ne cache pourtant pas sa volonté de détruire la
gauche.
« Moi,
j’ai lu Marx et Hegel. » Un an après sa nomination au gouvernement en
août dernier, et alors que sa loi phare vient d’être adoptée, Emmanuel
Macron doit toujours faire de gros efforts pour apparaître comme
socialiste. Sauf que ses grandes paroles, par exemple lorsqu’il cite
Jaurès pour défendre l’idée que « l’entreprise est le lieu de
l’émancipation », ne suffisent pas. Le ministre a beau multiplier les
déclarations pour faire oublier son passé de banquier d’affaires et se
débarrasser de son image de technocrate, rien n’y fait ! En visite chez
Acome, il vante le « modèle extraordinairement intéressant » de cette
Scop, mais ne peut s’empêcher de le présenter comme la preuve que
l’entreprise ne serait « pas un lieu de conflits ». On est assez loin de
Marx et Hegel !
Celui qui était surnommé « le cerveau droit de Hollande »
Celui qui, à en croire Marianne
(octobre 2014),
promettait au banquier David de Rothschild d’être sa « protection »
quand la gauche serait au pouvoir, et qui veut que les jeunes « aient
envie de devenir milliardaires », révèle aussi son mépris de classe,
lorsqu’il affirme que les employées de l’abattoir Gad « sont pour
beaucoup illettrées ». Alors forcément, quand il joue à être de gauche
et s’exclame que « tous les banquiers d’affaires sont des menteurs », le
propos est si simpliste et caricatural que l’ancien étudiant de HEC
frôle le ridicule. Il est étrangement beaucoup plus crédible quand il
explique être « décomplexé par rapport à l’argent ».
Schizophrène ? Celui qui était surnommé « le cerveau droit
de Hollande » lorsqu’il était secrétaire général adjoint de l’Élysée
peut bien affirmer « je suis socialiste et je l’assume », ses
préconisations le ramènent invariablement dans l’autre camp. Pêle-mêle :
plus de concurrence, des mesures pour « inciter encore davantage à la
reprise du travail » – selon la vieille idée que les chômeurs ne
voudraient pas travailler — et bien sûr la généralisation du travail
dominical, mesure emblématique de sa loi.
Pour l’ancien rapporteur de la commission dirigée par
Jacques Attali (dont il était considéré comme la « doublure »), « le
fait que la France soit l’un des pays qui protège le plus ses
travailleurs est l’une des explications de son taux de chômage ». Il
faudrait alors réduire « les incertitudes liées au CDI » en facilitant
et raccourcissant les procédures de licenciement, et « redonner de la
place au contrat ».
La doxa libérale vaut aussi pour la réduction des dépenses
publiques, sauf lorsqu’il s’agit d’aider les entreprises. « N’attendez
pas que l’État fasse pour vous, mais comptez sur lui », conseille
l’instigateur du crédit d’impôt compétitivité emploi et du pacte de
responsabilité, qui considère que cela n’aurait « aucun sens » de
demander aux entreprises de créer un nombre déterminé d’emplois en
contrepartie de ces cadeaux.
Et ce n’est pas que sur les questions économiques
qu’Emmanuel Macron défend des positions fort éloignées de l’idéal
socialiste. Quelques jours après le premier emploi du 49-3 à l’Assemblée
nationale, le ministre défendait ce passage en force en arguant qu’on
ne pouvait pas accepter d’être « stoppé par le déni de réalité, les
corporatismes, ou des jeux d’appareil politiciens ». Ses critiques
répétées des corps intermédiaires ont comme un parfum de bonapartisme,
qu’il critiquait pourtant chez Sarkozy. Le lecteur autoproclamé de Marx
est allé bien plus loin début juillet en affirmant dans l’ hebdomadaire
le 1 que « dans la politique française, il y a un absent et cet absent
est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple
français n’a pas voulu la mort ». Pour lui, la mort du roi a laissé un
vide qui n’a été comblé qu’à deux périodes : « les moments napoléonien
et gaulliste ». Resurgit ainsi chez lui, avec par exemple cette
nostalgie de l’homme providentiel – qu’il ne semble donc pas voir, au
passage, chez François Hollande –, un vieux fond conservateur. Au point
qu’il s’attire les faveurs de l’Action française, groupuscule
monarchiste, qui s’est déclarée « heureuse que sa voix se joigne aux
leurs ».
Comme quoi, si Emmanuel Macron dit avoir appris de Michel
Rocard sa capacité à lutter contre la « gauche conservatrice », il
semble poser beaucoup moins de problèmes à la droite la plus
réactionnaire.
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