
La mascarade, au sens
propre réunion de gens masqués et déguisés, est au sens figuré une
action hypocrite relevant d’une mise en scène trompeuse, fallacieuse. Ce
qui se prépare autour de la Conférence sociale pour l’emploi à partir
du 19 octobre et des semaines qui vont suivre est bien de cet ordre.
Alors que la question principale des mois à venir
est le projet du gouvernement d’engager, à partir des propositions du
rapport Combrexelle, une vaste réforme pour changer la nature du code du
travail et transformer la fonction de la négociation collective, cette
question n’est pas à l’ordre du jour de la conférence sociale du 19
Octobre ! Il prévoit des tables rondes sur la création du compte
personnel d’activité, sur les enjeux pour l’emploi et la formation de la
transition énergétique, et sur la Nouvelle France Industrielle / la
transformation numérique. Comme si un projet de loi sur le sujet, dans
la foulée de la remise du rapport Combrexelle
début septembre, n’était pas attendu avant Noël. Cela devient une
habitude, comme le texte en préparation pour la COP 21 qui ne mentionne
même pas … les énergies fossiles !
Pourtant, les questions
en jeu autour du droit du travail et de la négociation sont très
importantes, car le Gouvernement et le Medef entendent franchir un seuil
qualitatif dans la dérèglementation. Là encore il faut faire tomber les
masques, débusquer les manipulations de l’opinion qui cherchent à
« construire le consentement ». Pour étouffer le débat politique, la
controverse sociale, les affrontements de classes sociales antagoniques,
les pouvoirs en place saturent le débat sur le droit du travail de
constats alarmistes. Le Code du travail avec ses 3000 pages serait
devenu trop complexe, obscur et inquiétant. Il faudrait donc valoriser
la négociation collective comme un levier efficace de progrès et
d’innovation. Le mot « simplification » dissimule …. la
dérèglementation.
Le droit du travail n’a
jamais été aussi complexe que depuis que se sont multipliées les
possibilités de dérogations à la loi en faveur du patronat. L’offensive
de dérèglementation a contourné les principes sans oser s’y attaquer
frontalement, mais en les vidant progressivement de sens. Ainsi le
principe de faveur, qui prévoit que les accords d’entreprise ne peuvent
être que plus favorables aux accords de branche, eux-mêmes plus
favorables à la loi, est conscienseusement détricoté depuis 1982. La
minuscule brèche ouverte est devenue au fil des lois un gouffre béant,
notamment à partir des lois Aubry de 1998 et 2000, puis surtout de la
loi Fillon de mai 2004 à partir de laquelle ce n’est plus la dérogation
qui est exceptionnelle, et enfin par la loi de 2008. S’accumulent les
exceptions, les cas particuliers, les possibilités de dérogations à
différents niveaux. Le rapport propose d’amplifier encore la place de la
négociation, alors que c’est elle qui complexifie le droit applicable.
Le but n’est donc pas de simplifier le droit du travail. Il est de
mettre en cause la légitimité de la loi, de liquider définitivement le
principe de faveur.
Le mot « démocratie sociale »
masque le pouvoir patronal sur l’élaboration des textes applicables.
Car il faut dissimuler les responsables des reculs sociaux imposés à
celles et ceux qui travaillent. La « baisse compétitivité des
entreprises » est convoquée pour imposer des objectifs de rendements
toujours plus inaccessibles, des « efforts » sur les salaires, la durée
du travail. Cela dans un pays où la part des revenus détenus par les 1%
les plus riches est passée de 7 à12% entre 1980 et 2010. Mais qui va
prendre les mesures ? C’est là qu’entre en jeu la fameuse « démocratie
sociale ». Ce n’est pas la loi, ce n’est pas l’Etat, ce ne sont pas les
patrons : ce sont les « partenaires sociaux » qui vont décider
« démocratiquement » de faire travailler plus pour le même salaire, de
flexibiliser le travail, et d’engager toutes les régressions sociales.
Or l’entreprise n’est pas
un lieu de démocratie et de liberté, les syndicalistes réprimés, les
salariés poussé-e-s à bout par les pratiques managériales le savent
bien. Les derniers exemples de cette « démocratie sociale » à l’œuvre
montrent sa logique. Dans la fonction publique où le gouvernement
applique sa réforme malgré le fait qu’elle n’ait pas été approuvée par
les syndicats représentant la majorité des personnels, à Air France où
la négociation vise non pas à répartir les profits de cette compagnie,
mais à imposer aux pilotes de travailler plus pour le même salaire !
C’est élégamment exprimé dans le Rapport Combrexelle : « La question de
fond est posée aux organisations syndicales : considèrent-elles que, par
nature, la négociation collective est un instrument distributif
d’augmentation des salaires, de réduction du temps de travail,
d’amélioration des conditions de travail? Ou admettent-elles qu’elle
peut être aussi un instrument adapté dans un contexte de crise
économique et sociale ? ».
Négociation : de quoi parle-t-on ?
Le rapport de force obtenu par la lutte sociale permet d’imposer des
avancées sociales dans la négociation. Mais la négociation à froid, sans
rapport de force, donne aux employeurs non seulement le pouvoir de
blocage sur toute avancée sociale, mais les moyens d’imposer des reculs
sociaux en amenant les syndicats à négocier
le pistolet du licenciement sur la tempe, violence silencieuse
insupportable. Le but du Gouvernement est d’imposer une modification
fondamentale de la place de la négociation collective en faveur du
patronat.
Le rapport Combrexelle
va même jusqu’à prévoir qu’un accord collectif puisse primer sur
« l’intérêt individuel » du salarié concrétisé par son contrat de
travail. Sont donc remis en cause par ces propositions, que nous
dénonçons dans un ouvrage collectif « le Code du travail en sursis ? » à
paraitre fin octobre aux éditions Syllepse, tant les acquis collectifs
des salariés que les avantages individuels des contrats de travail.
Il faut défendre contre ces projets mortifères
l’existence de protections légales qui permettent de protéger d’une
concurrence outrancière et assurent un minimum d’égalité entre toutes et
tous. Ces protections sont des choix politiques qui concernent toute la
société, la convention collective ayant une légitimité complémentaire,
un droit des salariés pour la défense de leurs intérêts, et non une
machine au service des employeurs.
Patrick Le Moal, membre du bureau de la Fondation Copernic.
Conscience Citoyenne Responsable
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