Le rapport Gallois
et le choix de la compétitivité fait par François Hollande en 2014,
inaugurent une nouvelle offensive du capital. Comment expliquer que la
gauche au pouvoir soit à l’origine de cette offensive ? Parce qu’il y a
une conversion politique assumée au libéralisme dans les rangs de la
social-démocratie – je ne sais d’ailleurs pas s’il faut continuer de
l’appeler ainsi. La différence entre un train qui déraille et le
gouvernement, c’est que le train qui
déraille s’arrête tout seul, alors qu’eux ne s’arrêteront pas. Ils ont
fait un choix politique à la Tony Blair ou à la Schröder, et ne
reviendront pas dessus.
L’autre élément explicatif,
c’est qu’il y a des offensives libérales qui, paradoxalement, peuvent
passer plus facilement sous la gauche que sous la droite. La complicité
dont la gauche bénéficie de la part de la direction du mouvement
syndical lui permet de passer des mesures impopulaires, sans créer
autant de trouble dans le mouvement ouvrier que l’aurait fait la droite.
Peut-être l’ont-ils compris. D’où la distribution des rôles entre flics
gentils et flics méchants, c’est-à-dire entre le gouvernement et le
Medef : pendant que l’un coupe les oignons, l’autre pleure.
Ce tournant est
synthétisé dans le rapport Gallois, qui préconise un “choc de
compétitivité”. Celle-ci, déjà familière de Sarkozy, est appliquée dans
le menu détail par François Hollande dans toutes ses réformes. C’est à
l’exigence de compétitivité que répondent le pacte de responsabilité, la
loi Macron, l’accord national interprofessionnel (ANI) ou encore le rapport Combrexelle.
Selon une idée
largement diffusée dans la société, il faudrait baisser le “coût du
travail” pour gagner en compétitivité. Notre retard sur l’Allemagne
s’expliquerait ainsi par un “coût du travail” trop élevé en France. Le
grand public est persuadé que l’Allemagne supplante la place économique
de la France parce qu’elle est plus compétitive grâce à un coût du
travail qui est moindre. C’est l’idée qui est admise par 90 % des gens.
Or il n’en est rien.
Dans le principal secteur
exportateur, celui de l’industrie manufacturière, les coûts horaires en
France et en Allemagne sont semblables : 33,16 euros outre-Rhin et
33,37 euros dans l’Hexagone. Dans le secteur automobile, le salaire
allemand est même supérieur d’environ 30 % au salaire français. Pourtant
la productivité horaire est plus forte en France qu’en Allemagne en
2014.
Il faut donc contrecarrer
le discours ambiant sur ce comparatif qui arrange tout le monde : si
les exportations allemandes surpassent les françaises, c’est en raison
de facteurs “hors coûts”, comme l’image de marque, le design, et l’idée
qualitative que renvoie le produit fabriqué, qui a un coût. La part du
PIB consacrée à la recherche-développement explique aussi cela : elle
est plus importante en Allemagne qu’en France.
Pourtant
en France les patrons licencient en se justifiant par le fait que le
travail coûte trop cher, alors que le capital aussi a un coût. Il y a
d’abord un coût du capital sur le travail : on n’a jamais autant allégé
le coût du travail qu’en ce moment. La part des salaires dans la valeur
ajoutée a baissé de dix points ces trente dernières années, ce qui est
énorme. Les exonérations de cotisations sociales – appelées “charges”
dans la novlangue libérale – sont aussi une façon de s’attaquer à notre
salaire.
Dans le même temps,
la rémunération des actionnaires n’a jamais été aussi importante, que
ce soit en proportion de la masse salariale ou en fonction de la valeur
ajoutée. La CGT mène une campagne à ce sujet. Elle montre qu’il y a
trente ans, les dividendes représentaient 10 jours de travail, contre 45
jours en 2012. Qu’elles qu’aient été les grandes promesses de Sarkozy
lors du discours de Toulouse ou de Hollande lors du discours du Bourget
contre la finance, l’emprise de la rémunération actionnariale sur
l’économie, et donc de la part la plus parasitaire du capitalisme, ne
cesse de s’accentuer.
Pourtant jamais un seul
des économistes qui nous font transpirer tous les jours à la télévision
ne nous explique que toute la société paye un coût du capital délirant.
C’est de l’escroquerie verbale. On a tous la sensation d‘avoir fait une
connerie : on nous explique qu’on dépense trop d’argent et on n’en
rapporte pas assez. Et on finit par le croire !
Dans la bataille idéologique entre le capital et le monde du travail, les fonctionnaires prennent des coups, et servent une nouvelle foi de boucs émissaires
pour essayer de masquer la rapacité des actionnaires. Emmanuel Macron a
récemment déclaré que leur statut n’était plus justifiable… Emmanuel
Macron est le chantre de l’air du temps libéral. Il a beaucoup de
défauts, mais il a aussi certainement une qualité : celle de sentir les
choses. Il sait à quel point tout a été préparé politiquement pour que
son rôle de “plus libéral que moi tu meurs” fonctionne. Sa fonction est
de faire toutes les provocations de droite possibles, de pousser le
curseur toujours plus loin. Il l’a fait sur le statut de fonctionnaire,
il l’a fait sur les 35 heures, il le fera sur le droit de grève un jour,
ou sur les congés payés. C’est tellement prévisible.
Le gouvernement
a besoin de lui pour aller toujours plus loin et voir comment on
répond. On a besoin dans ce contexte d’entendre des choses radicalement
différentes : répartir les richesses, réduire le temps de travail,
défendre le service public, renationaliser des secteurs clés, etc. Mais
pour y parvenir il nous faut réussir à mettre de côté les ambitions des
uns et des autres, qui pensent qu’ils ont forcément rendez-vous avec
l’Histoire. Ce n’est pas ce dont on a besoin : on a besoin de redonner
confiance aux sphères militantes. Le monde a changé, nous devons
réinventer un projet révolutionnaire. Je ne pense pas qu’un seul courant
politique peut prétendre avoir eu raison sur tous les autres jusqu’à
présent. Certains le pensent dans toutes les familles politiques, mais
pas moi.
Quand les moments sont difficiles ce réflexe identitaire permet
de tenir bon, mais il faut assumer le doute. Dans les périodes de
reflux, la solution de facilité consiste soit à se réfugier ailleurs, au
chaud, soit à plonger dans le sectarisme. Ne tombons pas dans ces deux
pièges.
Conscience Citoyenne Responsable
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