mercredi 28 octobre 2015

Tordre le cou aux idées reçues sur le coût du travail

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Le rapport Gallois et le choix de la compétitivité fait par François Hollande en 2014, inaugurent une nouvelle offensive du capital. Comment expliquer que la gauche au pouvoir soit à l’origine de cette offensive ? Parce qu’il y a une conversion politique assumée au libéralisme dans les rangs de la social-démocratie – je ne sais d’ailleurs pas s’il faut continuer de l’appeler ainsi. La différence entre un train qui déraille et le gouvernement, c’est que le train qui déraille s’arrête tout seul, alors qu’eux ne s’arrêteront pas. Ils ont fait un choix politique à la Tony Blair ou à la Schröder, et ne reviendront pas dessus.
 
L’autre élément explicatif, c’est qu’il y a des offensives libérales qui, paradoxalement, peuvent passer plus facilement sous la gauche que sous la droite. La complicité dont la gauche bénéficie de la part de la direction du mouvement syndical lui permet de passer des mesures impopulaires, sans créer autant de trouble dans le mouvement ouvrier que l’aurait fait la droite. Peut-être l’ont-ils compris. D’où la distribution des rôles entre flics gentils et flics méchants, c’est-à-dire entre le gouvernement et le Medef : pendant que l’un coupe les oignons, l’autre pleure.
Ce tournant est synthétisé dans le rapport Gallois, qui préconise un “choc de compétitivité”. Celle-ci, déjà familière de Sarkozy, est appliquée dans le menu détail par François Hollande dans toutes ses réformes. C’est à l’exigence de compétitivité que répondent le pacte de responsabilité, la loi Macron, l’accord national interprofessionnel (ANI) ou encore le rapport Combrexelle.
Selon une idée largement diffusée dans la société, il faudrait baisser le “coût du travail” pour gagner en compétitivité. Notre retard sur l’Allemagne s’expliquerait ainsi par un “coût du travail” trop élevé en France. Le grand public est persuadé que l’Allemagne supplante la place économique de la France parce qu’elle est plus compétitive grâce à un coût du travail qui est moindre. C’est l’idée qui est admise par 90 % des gens. Or il n’en est rien.
Dans le principal secteur exportateur, celui de l’industrie manufacturière, les coûts horaires en France et en Allemagne sont semblables : 33,16 euros outre-Rhin et 33,37 euros dans l’Hexagone. Dans le secteur automobile, le salaire allemand est même supérieur d’environ 30 % au salaire français. Pourtant la productivité horaire est plus forte en France qu’en Allemagne en 2014.
Il faut donc contrecarrer le discours ambiant sur ce comparatif qui arrange tout le monde : si les exportations allemandes surpassent les françaises, c’est en raison de facteurs “hors coûts”, comme l’image de marque, le design, et l’idée qualitative que renvoie le produit fabriqué, qui a un coût. La part du PIB consacrée à la recherche-développement explique aussi cela : elle est plus importante en Allemagne qu’en France.
Pourtant en France les patrons licencient en se justifiant par le fait que le travail coûte trop cher,  alors que le capital aussi a un coût. Il y a d’abord un coût du capital sur le travail : on n’a jamais autant allégé le coût du travail qu’en ce moment. La part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé de dix points ces trente dernières années, ce qui est énorme. Les exonérations de cotisations sociales – appelées “charges” dans la novlangue libérale – sont aussi une façon de s’attaquer à notre salaire.
Dans le même temps, la rémunération des actionnaires n’a jamais été aussi importante, que ce soit en proportion de la masse salariale ou en fonction de la valeur ajoutée. La CGT mène une campagne à ce sujet. Elle montre qu’il y a trente ans, les dividendes représentaient 10 jours de travail, contre 45 jours en 2012. Qu’elles qu’aient été les grandes promesses de Sarkozy lors du discours de Toulouse ou de Hollande lors du discours du Bourget contre la finance, l’emprise de la rémunération actionnariale sur l’économie, et donc de la part la plus parasitaire du capitalisme, ne cesse de s’accentuer.
Pourtant jamais un seul des économistes qui nous font transpirer tous les jours à la télévision ne nous explique que toute la société paye un coût du capital délirant. C’est de l’escroquerie verbale. On a tous la sensation d‘avoir fait une connerie : on nous explique qu’on dépense trop d’argent et on n’en rapporte pas assez. Et on finit par le croire !
Dans la bataille idéologique entre le capital et le monde du travail, les fonctionnaires prennent des coups, et servent une nouvelle foi de boucs émissaires pour essayer de masquer la rapacité des actionnaires. Emmanuel Macron a récemment déclaré que leur statut n’était plus justifiable… Emmanuel Macron est le chantre de l’air du temps libéral. Il a beaucoup de défauts, mais il a aussi certainement une qualité : celle de sentir les choses. Il sait à quel point tout a été préparé politiquement pour que son rôle de “plus libéral que moi tu meurs” fonctionne. Sa fonction est de faire toutes les provocations de droite possibles, de pousser le curseur toujours plus loin. Il l’a fait sur le statut de fonctionnaire, il l’a fait sur les 35 heures, il le fera sur le droit de grève un jour, ou sur les congés payés. C’est tellement prévisible.
Le gouvernement a besoin de lui pour aller toujours plus loin et voir comment on répond. On a besoin dans ce contexte d’entendre des choses radicalement différentes : répartir les richesses, réduire le temps de travail, défendre le service public, renationaliser des secteurs clés, etc. Mais pour y parvenir il nous faut réussir à mettre de côté les ambitions des uns et des autres, qui pensent qu’ils ont forcément rendez-vous avec l’Histoire. Ce n’est pas ce dont on a besoin : on a besoin de redonner confiance aux sphères militantes. Le monde a changé, nous devons réinventer un projet révolutionnaire. Je ne pense pas qu’un seul courant politique peut prétendre avoir eu raison sur tous les autres jusqu’à présent. Certains le pensent dans toutes les familles politiques, mais pas moi.

Quand les moments sont difficiles ce réflexe identitaire permet de tenir bon, mais il faut assumer le doute. Dans les périodes de reflux, la solution de facilité consiste soit à se réfugier ailleurs, au chaud, soit à plonger dans le sectarisme. Ne tombons pas dans ces deux pièges.

D’après une interview d’Olivier Besancenot

Conscience Citoyenne Responsable

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