Samedi, le jour de la marche contre la loi El Khomri, j’ai beaucoup
déambulé dans les rangs des manifestants. Puis la nuit, après mon
passage au congrès des lycéens, mes pas m’ont conduit aux alentours de
la place de la République.
Je n’ai pas l’intention de faire à présent un
commentaire politique. En fin d’après-midi, on m’annonçait qu’une jeune
fille avait été sérieusement blessée à l’œil. Je forme le vœu que ce ne
soit pas grave. Mais j’ai déjà assez vécu pour savoir comment tombent
un Malik Oussekine ou un Rémi Fraisse. Avant qu’il ne soit trop tard, je
veux nous mettre tous en alerte ! Je voudrais parler ici pour montrer
un ennemi du doigt.
Cet ennemi, c’est la violence. Ne laissons pas la culture de la
violence gangrener la sphère de l’action populaire. D’un côté, les
violents isolent et minorent les mouvements sociaux en même temps qu’ils
en violent le message. De l’autre, la violence discrédite le policier
qui la pratique quand il oublie la responsabilité qu’enjoint le port de
l’uniforme et des couleurs républicaines.
Mes camarades, la violence ne nous mène nulle part. Elle fait fuir le
grand nombre sans lequel aucune action victorieuse n’est possible. Elle
donne à voir un rapport humain qui est le décalque de la violence
sociale et individuelle que nous combattons. Elle organise une
hiérarchie inacceptable entre ceux qui agissent, car elle donne le
pouvoir aux muscles davantage qu’aux cerveaux. Vouloir blesser ou
meurtrir un fonctionnaire de police qui se tient en rang et obéit à ses
chefs qui eux-mêmes obéissent à leur ministre est une bataille d’autant
plus cruelle et inepte qu’elle est sans objet. La décision ne dépend pas
de lui.
La violence porte une illusion mortelle pour notre mouvement : celle
de faire croire que nous pouvons vaincre autrement que par notre nombre
et notre détermination pacifique. Elle porte la tentation d’une spirale
mortelle : croire que davantage de violences donnera davantage de
résultats ! Enfin, je m’appuie sur mon expérience de toute une vie
engagée dans la lutte sur plusieurs continents : au bout du compte, dans
la violence nous perdons toujours, irrémédiablement. Et les meilleurs
des nôtres, les plus dévoués, tombent les premiers. Ils nous manquent
ensuite sans cesse.
Mesdames, messieurs les policiers, et pour certains d’entre vous :
chers camarades. Il y a quelques mois le peuple vous serrait les mains,
vous remerciait et vous présentait des condoléances après les attentats
contre Charlie Hebdo ou ceux de la nuit du 13 novembre. Cette osmose du
peuple et de ses forces de police était un atout essentiel de la
cohésion de notre pays contre nos agresseurs. Ce capital de confiance et
de respect ne doit pas être dispersé au fil des lacrymos et des charges
contre un mouvement social populaire. Bien du mal est déjà fait, vous
devez le savoir. Jeunes effectifs, n’oubliez pas le conseil de votre
ancien, le syndicaliste policier Bernard Delplace qui, dans des
circonstances pourtant plus rudes, s’était adressé à vos prédécesseurs: «
qui frappe un homme à terre se déshonore ». Rajoutez-y les tirs tendus
et les bombages aux lacrymos à bout portant et vous savez ce que ne
doivent pas être vos gestes professionnels. S’il le faut, fraternisez
avec vos concitoyens qui se battent aussi pour vous plutôt que
d’accomplir des ordres injustes ou dangereux.
À tous : ne tombons pas dans le face à face de la violence
qu’organisent les décisions de Valls et de Hollande. Jusqu’en juin, vote
final de l’Assemblée sur la loi El Khomri, un long chemin de
conscientisation et de mobilisation se présente. On voit bien qui
souhaite que les affrontements violents épuisent et divisent le
mouvement social et déresponsabilisent les fonctionnaires de police.
Jean-Luc Mélenchon
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