vendredi 8 avril 2016

Nuit Debout : « Il faut une pression du mouvement populaire pour changer le rapport de force »

Barnabé Binctin et Hervé Kempf

Nuit debout se poursuit dans plusieurs villes de France. Pour Jean-Baptiste Eyraud, de Droit au logement, il exprime un sentiment de ras-le-bol généralisé.

Reporterre- C’est quoi, Nuit Debout, selon toi ?
Jean-Baptiste Eyraud - C’est un lieu où essaye de se construire une mobilisation sociale et politique hors des sentiers battus et des organisations traditionnelles. Et qui peut générer des dynamiques, et qui va peser, qui commence à peser dans le mouvement social contre la loi El Khomri. Les gens, les mouvements sociaux ont besoin de gagner quelque chose. C’est pour ça que le combat ne va pas être facile, parce qu’en face, ils savent qu’ils ne peuvent pas lâcher une victoire comme ça, parce qu’après ils mettraient plusieurs années à s’en remettre.
Avec les jeunes et les syndicats, Nuit Debout est la troisième composante du mouvement contre la loi. Il commence à se développer en région, dans les grandes villes, cela permet d’amener dans le conflit social des gens qui n’y étaient pas.

On a l’impression que Nuit debout a largement dépassé le cadre de la loi El Khomri ?
Oui, mais vers quoi ? Je ne sais pas. Les mouvements genre Podemos, qui débouchent sur une organisation politique ou électorale, ce n’est pas particulièrement intéressant. Mais c’est ma conception personnelle, je pense que c’est le mouvement social qui pousse le politique à agir. Il faut une pression des classes populaires et des mouvements sociaux pour changer le rapport de force.

Pourquoi les gens sont-ils, sur la place de la République et sur d’autres places ?
Ils sont là parce qu’ils ont envie de faire un mouvement, ils veulent changer la société. Il y a des aspirations très différentes qui vont de « On en a marre du gouvernement qui prend des mesures antisociales et qui détricote nos droits » à ceux qui veulent faire la révolution. Les gens viennent parce qu’ils en ont marre ! Et puis on s’est tapé quatre mois d’état d’urgence avec les attentats. 2015 a été une année dure, on a envie aussi de faire autre chose que de vivre 24h/24 autour de cette question du terrorisme.
Pour l’instant, le pouvoir est prudent par rapport au mouvement de la place de la République. Il parie sur un essoufflement. Mais peut-être va-t-on vers des moments forts.

Nuit debout peut-il faire une vraie convergence des luttes ou être juste une juxtaposition où chacun vient prendre la parole ?
Il y a un apprentissage, les gens qui viennent découvrent sans doute des thèmes qu’ils ne connaissaient pas, auxquels ils n’avaient pas réfléchi. L’assemblée générale permet de politiser au sens noble du terme, de développer un esprit critique sur ce qu’on vit.

C’est de l’éducation populaire ?
Oui, c’est un des aspects. Après, l’objectif à court terme c’est : on remplit la place de la république, il faut ramener du monde. Là pour l’instant on peut dire qu’on plafonne, il y a une stabilité. Il n’y a pas plus de monde chaque jour.

Que va-t-il se passer samedi ?
Il y aura des prises parole de gens qui ont fait des analyses et qui vont sans doute dynamiser un peu la réflexion. Après, ça serait bien qu’il y ait des syndicalistes.

Parce qu’ils sont absents pour l’instant.
Oui, mais aussi parce qu’il y a un courant très critique à leur égard. Ils ne sont pas forcément très appréciés.

Comme les partis politiques ?
Il y a un côté comme ça. Il y a toujours des gens qui ont reproché à la CGT d’avoir négocié en 1968 des augmentations de salaire et quelques revendications sociales contre un mouvement révolutionnaire. Ce débat est toujours là, sous-jacent. Mais je pense qu’il y a une convergence aujourd’hui et une prise de conscience, y compris dans les mouvements politiques, que « c’est bon les querelles de chapelle, il faut arrêter maintenant », sinon on est tous dans le mur. Tout le monde est conscient qu’il y a aujourd’hui un danger global. Aussi bien en terme d’accumulation des richesses et des idées, qu’en terme de climat, d’environnement.

La préoccupation du climat est-elle présente dans le mouvement ?
Pas encore, mais ça va peut-être venir. Il faut des gens qui viennent et qui en parlent, tout simplement. Il faut que les mouvements écolos se mobilisent aussi. C’est impératif ! C’est une composante importante et qui a été réprimée au nom de l’état d’urgence, faut pas l’oublier.

Ils ne sont pas assez présents ?
Oui, ils ne parlent pas. Mais il y a aussi une certaine discrétion. On n’ose pas trop arriver avec ses problèmes de boutique. C’est une certaine retenue, une certaine prudence. Nous, par exemple, on a dit peu de choses sur le logement.
La question des inégalités est aussi très importante et n’a pas beaucoup émergé.
Sur le terrain, ce qui permet de poursuivre des mobilisations, c’est les victoires qu’on engrange. Là, on ne peut pas revendiquer de changer la société. On en a envie, mais on ne peut pas dire en l’état actuel qu’il y a un mouvement susceptible de bouleverser la société française.

Donc a minima, l’objectif qu’on peut avoir, c’est la loi El-Khomri. Un indicateur d’un premier succès, ce serait le retrait de la loi El-Khomri. Pour redonner du courage, notamment aux jeunes générations. Parce qu’il y a eu des échecs, ces dernières années, avec la réforme des retraites. Les jeunes ne croyaient plus à la mobilisation. Là, ça repart.

Propos recueillis par Barnabé Binctin et Hervé Kempf

reporterre.net

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