L’histoire du tir d' Hébron est un cas classique du syndrome du
simple soldat. Ce sont principalement les dirigeants ashkenazes qui
donnent les ordres, cependant seuls ceux qui sont au bas de l’échelle
doivent payer le prix.
Quelle différence y a t-il entre le soldat israélien qui tire sur Abd
al-Fatah Sharif un palestinien de 22 ans la semaine dernière à
Hébron, après une attaque au couteau, et les soldats d’unités d’élite
qui tirent et tuent des suspects palestiniens ? La différence est que
les soldats d’élite opèrent en coulisse, là où il n’y a personne pour
filmer avec une caméra.
Depuis le tir d' Hébron, on a beaucoup glosé sur
le tireur d' Hébron ses sympathies d’extrême droite, le fait qu’il soit
un supporter du Beitar Jérusalem (une équipe de foot associée à la
droite israélienne, et son appartenance à La Familia, un groupe de
supporters d’extrême droite du Beitar).
Cela provient d’une tentative de distinguer entre le « bon soldat »
et le « mauvais soldat » , du discours sur le « code éthique » de
l’armée israélienne de défense, et de la « pureté des armes ». Appelons
un chat un chat : il y a des soldats ashkenazes qui vont dans les
« bonnes » unités, où les assassinats extrajudiciaires sont un titre
d’honneur.
Et puis il y a des soldats mizrahim [1]
qui réalisent l’essentiel du travail non qualifié du contrôle
militaire d’Israël sur les territoires occupés. Dans ce cas le soldat
d' Hébron a exécuté un palestinien désarmé qui ne constituait plus une
menace pour personne.
Prenons quelqu’un comme Meir Har-Zion pour exemple. Lui et ses amis
d’une unité d’élite de parachutistes ont assassiné cinq Bédouins pour
venger le meurtre de la sœur de Har-Zion. Ils n’ont jamais été jugés ;
Har-Zion est aujourd’hui considéré comme un héros national. Ou prenons
des kibbutzniks comme Ehud Barak ou le ministre de la Défense Moshe
Ya’alon, les deux sont responsables de l’assassinat ciblé de Khalil Al
Wazir (connu sous le nom d’Abu Jihad) dans sa maison de Tunis en 1988.
Non seulement ils n’ont pas été condamnés, mais l’assassinat, avec
d’autres opérations n’a fait que renforcer leur image d’officiers
vénérés de IDF. Même la famille du tireur d' Hébron a rappelé cela dans
une lettre ouverte à Ya’alon la semaine dernière : « N’oubliez pas que
vous avez été dans la même situation que notre fils quand vous vous
êtes trouvés dans la chambre de Abu Jihad et vous êtes assuré qu’il
était mort ».
Nous entendons souvent une critique légitime de la gauche ashkenaze
qui n’a jamais osé se regarder dans le miroir et parler des privilèges
ashkenazes ou des injustices contre le public mizrahi. Oui la gauche en
Israël a pris ses distances, sans parler de sa répugnance à l’égard des
Mizrahim. Mais le cas d' Hébron démontre aussi de la manière la plus
tragique que les Mizrahim sont aussi ceux qui payent le prix des
politiques de la droite, qui n’est pas moins ashkenaze ou élitiste que
la gauche. Le ministre de l’Éducation Naftali Bennett qui a servi dans
l’unité d’élite des forces spéciales « sayeret matkal » a déclaré qu’
« un terroriste qui met en danger les vies de nos soldats doit être
neutralisé ». Yaïr Lapid a déclaré que « quiconque sort un couteau ou
un tournevis devrait être abattu » et ajouté que le tireur recevrait
une protection juridique ; et il y a un an et demi l’ancien ministre de
la sécurité publique d’Israël Yitzhak Aharonovich déclarait « un
terroriste qui s’attaque à des civils doit être tué ».
Il est vrai qu’il y a souvent un écart entre les ordres officiels de
l’armée et ce qui se produit sur le terrain. Dans ce cas bien sûr
l’écart n’est ni raisonnable ni acceptable. La vidéo montre que le
soldat a agi en violation directe des réglementations sur la
possibilité d’ouvrir le feu.
Cependant des politiciens du plus haut niveau appellent les soldats à
violer ces réglementations, en abdiquant en même temps toute
responsabilité. L’histoire d’Hébron est un cas classique du syndrome du
simple soldat, - tout le monde donne l’ordre, principalement les
Ashkenazes, mais seuls ceux qui sont en bas de l’échelle paient le
prix. Il n’est donc pas surprenant que la municipalité de Beit Shemesh
ait organisé une manifestation de soutien au soldat – la périphérie
exige un traitement égal de l’Establishment israélien.
Le tireur d' Hébron est la preuve que le combat mizrahi demeurera
bloqué tant que nous refuserons de parler du conflit
israélo-palestinien. D’un côté l’establishment a besoin de ses
travailleurs noirs – pas seulement les mizrahi mais tous les juifs
n’appartenant pas à l’élite ashkenaze- qui seront engagés dans les plus
basses unités pour maintenir l’occupation et même perpétrer des crimes
comme celui d' Hébron. La droite ashkenaze fera tout ce qu’elle peut
pour s’assurer que cela se produise. Pendant ce temps, les mizrahim n’ont
pas d’autre choix que de s’engager dans l’armée pour prouver qu’ils
sont des citoyens méritants, ils restent souvent dans l’armée après leur
service obligatoire comme sous officiers et officiers ou rejoignent la
police ou autres services liés à la sécurité. Il ne s’agit de rien
d’autre que la reproduction des relations de pouvoir ashkenze-mizrahi :
depuis la scolarité en passant par l’armée jusqu’au marché du travail,
les Mizrahim jouent le rôle du travailleur de base, alors que les
ashkenazes sont rémunérés de diverses façons par le système.
L’avocate Kochavi Shemesh, une des leaders des Panthères Noires en
Israël l’exprimait ainsi : « Il n’y aura jamais d’égalité ou une chance
pour les Mizrahim aussi longtemps qu’il y a une occupation et une lutte
nationale. D’un autre côté, la lutte nationale ne s’achèvera pas aussi
longtemps que les Mizrahim seront au bas de l’échelle et peuvent être
utilisés comme une carte anti-arabe. »
Ces paroles étaient et demeurent
exactes et pertinentes quant à notre juste lutte.
Traduction de l’anglais de Michèle Sibony pour l’UJFP
[1] Mizrahim :
littéralement juifs orientaux, de fait position politique des juifs
israéliens se revendiquant comme juifs-arabes et luttant contre
l’hégémonie culturelle et politique ashkenaze. Voir notamment l’article
de Joelle Marelli "Traduire, trahir et diviser. Jalons pour penser les
juifs arabes et le conflit dans la cité", dans sa deuxième partie (NDLT)
Union Juive française pour la paix
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