Alice Rothchild
Un débat central au sein de la communauté juive aux États-Unis
implique le sionisme et sa relation avec le judaïsme.
Dans une
anthologie récente, « Reprendre le judaïsme au sionisme : histoires d’une transformation personnelle »,
40 rabbins, érudits et militants réfléchissent sur leur parcours
intellectuel et émotionnel particulier débuté avec un amour
inconditionnel d’Israël. Comme les autres participants, j’ai pris
conscience que l’idéologie du nationalisme juif et la politique du
gouvernement israélien avaient corrompu ma conception du judaïsme et ses
valeurs religieuses et culturelles centrales.
J’ai grandi dans une famille, après l’Holocauste nazi, qui
considérait la création d’un État juif moderne comme un miracle à
célébrer. Nous avons idéalisé les kibboutz, économiser sous par sous
pour planter des arbres dans la terre aride et aimé l’idéal romantique
des pionniers israéliens qui faisaient fleurir le désert.
Dans le même temps, comme beaucoup de juifs, j’étais fière de ma
politique progressiste. J’ai soutenu les droits civils, les droits des
femmes, les syndicats ; c’était mon expression vécue d’une religion qui
prônait la guérison du monde et œuvrait pour la justice. En tant
qu’immigrante de la deuxième génération, c’était aussi comme cela que je
voyais mon rôle en Amérique, une terre où mes grands-parents, fuyant
les pogroms de l’Europe de l’Est, avaient trouvé un foyer, même si ce
n’était que les pauvres ghettos de Brooklyn, au début des années 1900.
Ma transformation a débuté alors que je me plongeais dans les
questions complexes du colonialisme, de l’impérialisme, du racisme et du
génocide. Je me suis rendu compte que mon éducation sur la création des
États-Unis avait, de façon commode, tenu à l’écart la destruction des
peuples autochtones, la primauté de l’esclavage, le racisme omniprésent
et le rôle du colonialisme européen. De la même façon, beaucoup, dans
mon école hébraïque et mon éducation juive qui s’en est suivi, n’a pas
été dit sur le financement de l’État d’Israël.
J’ai eu une prise de conscience, instruite par les historiens
israéliens et palestiniens qui avaient accès aux archives nouvellement
ouvertes de l’État qui racontaient l’histoire du nettoyage ethnique de
la Palestine. Alors que je commençais à voyager et à travailler dans la
région, mes liens avec les Israéliens juifs progressistes et les
Palestiniens sont devenus une telle force que je ne pouvais plus revenir
en arrière. Rester debout à un check-point israélien en Cisjordanie
avec des centaines de femmes et enfants, pour la plupart palestiniens,
attendant après un soldat israélien de 20 ans, solidement armé ; passer
au crible des puzzles, de la vaisselle brisée, des Légo et des
sous-vêtements dans les décombres d’un quartier bombardé à Gaza ;
écouter des femmes qui avaient saisi leurs enfants et fuyaient les
bombes israéliennes en 2014, butant sur des corps sanglants et brisés –
ce sont toutes des expériences qui ne peuvent pas être « invisibles ».
Ceci m’a conduit à douter du sionisme, l’idéologie du nationalisme
juif où la création et la défense d’un État juif sont la seule réponse
viable à l’antisémitisme. J’ai appris que c’était une idée moderne, née
de la haine des juifs européens. L’idéologie s’est modelée sur le
colonialisme de peuplement européen : construire un État dans une région
indomptée du monde et apporter la modernité aux autochtones restants.
Le sionisme est aussi le test décisif pour être un bon juif aux
États-Unis. J’ai commencé à comprendre que le sionisme implique
intrinsèquement de nuire aux Palestiniens qui vivaient en Palestine
historique quand a débuté l’immigration juive, au début des années 1900.
En 1948, avec l’expulsion de 750 000 Palestiniens et la destruction de
plus de 450 de leurs villages, le peuple palestinien a été finalement
obligé de supporter le prix de l’Holocauste nazi. Cette Nakba
(catastrophe) se poursuit encore aujourd’hui avec la façon raciste et
militariste du gouvernement israélien d’aborder le projet téméraire de
partager un pays revendiqué par deux peuples.
Comme de nombreux juifs, je ne peux pas soutenir une idéologie qui se
fonde sur un privilège juif et la persécution d’un autre peuple. Cela a
été catastrophique pour les Palestiniens, et profondément corrompu pour
les juifs. Je dis cela par amour, pas par haine de moi-même. La
sécurité pour les juifs ne viendra pas en se repliant sur eux mêmes, en
construisant des murs plus grands et des drones plus invasifs. La
sécurité viendra de la formation de coalitions avec les autres
communautés, du développement de sociétés inclusives fondées sur
l’égalité, la démocratie, et de la lutte contre le militarisme extrême
et l’intolérance croissante qui étreint une grande partie du monde.
Le judaïsme s’est développé alors que les juifs de la diaspora
apportaient une réponse spirituelle à la dispersion et à l’exil ; une
philosophie multiculturelle, multinationale, basée sur des croyances et
des valeurs, et non sur une puissance militaire. Le développement très
récent du sionisme politique étaye la nécessité d’un État militarisé où
la victimisation historique des juifs justifie un privilège juif
structurel et tout niveau de violence au nom de l’ « auto-défense ».
Cela est incompatible avec une religion qui se fonde sur l’amour de
l’étranger et la recherche de la justice, et avec une culture qui
soutient les droits de l’homme et le droit international.
Après des siècles d’impuissance, la manière dont nous gérons, en tant
que communauté, nos nouvelles positions de pouvoir et de privilège, est
essentielle à la survie d’une tradition juive éthique, ainsi qu’à une
juste résolution à une lutte de plus d’un siècle en Palestine historique
et qui est menée en notre nom.
Alice Rotchild est écrivaine, cinéaste et gynécologue-obstétricienne
en retraite à Seattle. Elle est l’auteure de trois livres, dont le plus
récent est « Condition Critical : Life and Death in Israel/Palestine » et elle a contribué à un certain nombre d’anthologies, notamment « Reclaiming Judaism from Zionism: Stories of Personal Transformation. »
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source : The Seattle Times
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