Régis de Castelnau
La
séparation des pouvoirs, pour quoi faire ?
On peut supposer que règne une saine ambiance au sein des
organisations syndicales de policiers, de gendarmes et de magistrats. La
séquence qui vient de se dérouler sur fond d’emballement mondial après la mort
de Georges Floyd relayée chez nous par les manifestations autour du cas d’Adama
Traoré, est une sacrée leçon pour ces gens-là.
Le président de la république vient de tranquillement
demander à son Garde des Sceaux de bien vouloir « se pencher » (!) sur
un dossier actuellement à l’instruction, c’est-à-dire entre les mains de
magistrats du siège normalement indépendants et impartiaux. Celle-ci a
immédiatement obtempéré à l’ordre jupitérien, et a poliment demandé audience à la
famille d’Adama Traoré offrant même ses propres bureaux de la place Vendôme
pour la rencontre. Habilement Yassine Bouzrou leur avocat, n’a pas laissé
passer l’occasion d’humilier la Ministre de la justice en la rappelant aux
convenances républicaines, c’est-à-dire le respect de la séparation des
pouvoirs. Était-il possible de descendre plus bas, en se discréditant à ce
point ? Enfoncé François Hollande ferraillant avec Leonarda !
Un zèle bien mal payé
Cet ordre, donné à la Garde des Sceaux par le président de
la république et immédiatement exécuté, outre son caractère inconstitutionnel
et illégal, a également une signification très claire à la fois pour les forces
de l’ordre de notre pays, mais aussi pour la magistrature. Voilà deux corps,
qui ont fourni sans désemparer au système Macron les moyens de la mise en œuvre
brutale d’une politique dont les Français ne veulent pas. Sous la baguette de Christophe
Castaner et pour Paris de Didier Lallement, une violence policière stupéfiante
par son intensité s’est déployée pendant toutes les crises sociales. Les gilets
jaunes, les pompiers, les personnels soignants, les ouvriers, les syndicalistes
ont payé dans leur chair ces débordements policiers sans précédent depuis la
guerre d’Algérie. Les magistrats ont joué leur propre partition répressive de
deux façons : tout d’abord en prononçant près de 6000 condamnations dont 1500
peines de prison ferme ! Ensuite en refusant quasi systématiquement, et
notamment par le comportement des parquets, de
contrôler et de sanctionner les violences policières dont ils sont pourtant
les gardiens de la mesure et de la légalité. Indispensable à ce pouvoir
minoritaire et impopulaire, police et justice ne lui ont, à aucun moment
manqué. On ajoutera les excès des forces de l’ordre déployant également sans
problème un zèle répressif trop souvent arbitraire pendant le confinement,
puisque nous sommes arrivés à plus d’un million de procès-verbaux et d’amendes
contre par exemple 9000 pour la Grande-Bretagne dans la même période.
Et voilà que par leurs attitudes les gens du pouvoir
valident les accusations portées à l’encontre des gendarmes ayant procédé à
l’arrestation d’Adama Traoré qualifiés de racistes meurtriers, mais aussi
celles portées à l’encontre des magistrats du siège, par conséquent
statutairement indépendants, qui instruisent le dossier. Considérés comme
soumis à la raison d’État. Ce n’est pas dit explicitement mais excusez-nous c’est
tout comme.
Alors
amis policiers et magistrats, contents ?
Ce dévouement sans faille dont vous avez fait preuve
vis-à-vis d’Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir n’est guère payé de
retour. Il témoigne de la considération qu’il vous porte, de son mépris, de
l’ingratitude et la désinvolture habituelles pour ceux qui l’ont servi. C’était
bien la peine de perdre votre honneur, en oubliant le service du peuple au
profit de celui d’un pouvoir minoritaire. D’altérer profondément la confiance
que les couches populaires doivent avoir dans leur police et leur Justice,
institutions essentielles de la république.
C’est qu’en fait Emmanuel Macron n’en est pas son coup
d’essai et ce n’est pas la première fois qu’il s’assoit sur les principes dont
jusqu’à nouvel ordre il devrait être le garant. Il s’était passé exactement la
même chose dans l’affaire Sarah Halimi, malheureuse médecin en retraite
assassinée dans des conditions atroces par un homme sous emprise de cannabis.
Affaire dont la dimension antisémite était évidente qui avait provoqué une vive
émotion dans la communauté juive. Lors de l’instruction, les magistrats qui ont
été chargés ont saisi pas moins de sept experts psychiatres dont six ont conclu
à l’abolition du discernement du criminel c’est-à-dire l’état de démence au
moment des faits rendant celui-ci irresponsable. De furieuses polémiques ont eu
lieu, magistrats et experts étant accusés d’antisémitisme, pétitions,
manifestations, incendies sur les réseaux etc. etc. Tout cela redoublant, quand
après débats et réquisitions conformes du parquet, la chambre de l’instruction
saisie a confirmé l’ordonnance de non-lieu. Tentative classique de faire sortir
la justice de son lieu naturel le prétoire au profit de la rue.
Eh bien cette affaire, en violation du principe de
séparation des pouvoirs, Emmanuel Macron s’est ingéré deux fois dans le
processus régulier du procès pénal. Une
première fois le 16 juillet 2017 lors de la cérémonie commémorative de la
rafle du Vel’d’hiv, où il demande que la justice reconnaisse le caractère
antisémite du crime. Il
récidive depuis Jérusalem début 2020 par un appel transparent à une
cassation de l’arrêt de la cour !
Quand
Macron valide le récit de la famille Traoré
Aussi, il n’y a pas lieu d’être surpris de cette nouvelle
violation de ses obligations constitutionnelles. Une fois de plus, il reprend à
son compte un récit, pourtant largement sujet à caution. L’affaire Traoré, qui
date de 2016, se combine aujourd’hui avec l’émotion mondiale liée à la mort de
Georges Floyd, victime de violences policières aux États-Unis. Le racisme est présenté
comme le moteur et la raison de ces deux disparitions, qualification qu’il faut
regarder de plus près. Le 19 juillet 2016, Adama Traoré décède à la
gendarmerie de Persan à la suite d’une arrestation extrêmement mouvementée.
Celle-ci avait pour origine non pas un contrôle d’identité, mais la volonté
d’interpeller le frère d’Adama, Bagui au casier judiciaire garni, poursuivi cette
fois-ci pour extorsion de fonds avec violence sur personnes vulnérables (il
sera pour cela condamné à une peine de 30 mois de prison ferme). À la suite de
ce décès, une information judiciaire contradictoire est ouverte. L’affaire
suscite une grande émotion, un certain nombre d’organisations s’en emparent et
mettant en avant la sœur jumelle d’Adama Traoré énergique et talentueuse, qui
devient porteuse d’un combat contre les violences policières dans les «
quartiers ». Il n’est pas question ici de détailler toutes les péripéties
procédurales de ce dossier, mais de rappeler simplement deux évidences : tout
d’abord la fratrie de la famille Traoré est, selon l’expression, très
défavorablement connue des services judiciaires et de la gendarmerie. Ensuite,
Adama Traoré et son frère n’ont pas été interpellés parce qu’ils étaient noirs,
mais parce que délinquants d’habitude ils étaient poursuivis par la justice.
Cela n’excuserait en rien les violences policières s’il est établi qu’elles ont
été à l’origine directe du décès. Mais il appartiendra à la justice
c’est-à-dire au juge d’instruction, aux experts désignés, au tribunal
éventuellement saisi d’en décider. Enfin, normalement dans la république
française c’est comme cela que cela devrait se passer.
Sauf qu’entrée en résonance avec l’affaire Floyd aux
États-Unis, récupérée par différents courants politiques, l’affaire porte
aujourd’hui un enjeu fort, qui est celui des interventions policières dans les
banlieues défavorisées et du racisme qu’on leur reproche. Et comme souvent, la
mobilisation politique ou communautaire relaie un récit qui vise à faire
pression sur la justice pour que celle-ci reconnaisse la responsabilité des
gendarmes dans la mort d’Adama Traoré et justifie ainsi l’accusation de racisme
adressé aux forces de l’ordre. « Des gendarmes racistes ont tué Adama Traoré
parce qu’il était noir, les magistrats qui instruisent, les experts qui se
prononcent ne sont que des serviteurs du pouvoir et de la raison d’un État
raciste ».
Ce récit, qu’on le veuille ou non, est celui qui sert de
support à la stupéfiante intervention du chef de l’État en personne oubliant
une fois encore ses obligations. Probablement désireux d’une diversion face à
ses difficultés politiques, il intervient dans un processus judiciaire jusqu’à
présent régulier en demandant à sa Garde des Sceaux de commettre une illégalité
grossière en « se penchant » sur la procédure. Ce que, petit télégraphiste, elle
fait en déployant un zèle absurde par cette audience piteusement sollicitée de
la famille Traoré. Violation de la séparation des pouvoirs, partialité en
faveur des plaignants, validation de leur discours, insultes faites aux
gendarmes (meurtriers et racistes) et aux magistrats et aux experts (soumis à
la raison d’État). Difficile de faire pire.
Mais finalement, n’y aurait-il pas une morale dans tout cela
? Voir tous ces syndicalistes policiers, tous ces responsables de la
gendarmerie, tous ces magistrats une fois de plus offusqués de ce qui leur est
fait, cela provoque un drôle de sentiment.
Au regard de ces visages d’éborgnés, de ces mains amputées, de ces
vidéos glaçantes, de ces pompiers assommés, de ces infirmières gazées,
de ces syndicalistes roués de coups, de l’impunité judiciaire assurée à
la violence policière, au regard de la litanie des peines de prison
ferme...
... face à l’affront macronien aux policiers et aux magistrats,
il faut se retenir pour ne pas ressentir comme une petite joie
mauvaise.
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