Le Partageux
Ramdane Touhami est un chef d’entreprise qui crée des vêtements de
luxe. Quarante-cinq ans, du pognon plein les poches, habite un beau
quartier de Paris.
Mais il s’est encore fait contrôler par la police au
bas de chez lui. Assez agacé il écrit ce texte. Refusé par Libération et
Le Monde.
Je suis suspect
Encore ce matin, j’ai été contrôlé par la police. Pourtant, quand je
me réveille, je suis moi. Mais dès que je descends dans la rue, je
deviens suspect. À la radio ou à la télé aussi, il n’y a pas un jour où
je ne suis pas suspect. En hélant un taxi, je suis suspect. Quand je
prends un avion (ce que je fais trois fois par semaine), je suis
suspect. Quand je rentre dans un magasin, un agent de sécurité me suit
dans les rayons : je suis suspect. Je m’appelle Ramdane Touhami.
Clichés
Le jour de mon mariage dans le Gers, le maire a fait référence à
cette suspicion dans son discours et il a ramené mon histoire à celle
d’un homme qui « a traversé la Méditerranée », alors que je suis né à soixante kilomètres de cette mairie et que ma femme, elle, est née à Beyrouth.
Pourtant, j’ai plutôt réussi dans la vie. Certes, j’ai commencé sans
abri, mais j’ai travaillé dur et maintenant, j’habite dans un
arrondissement huppé de Paris : mes voisins sont les Pinault, les
Rothschild et les Schlumberger…
Mon petit sam’suffit
Mon appartement donne sur les jardins de Matignon et il m’arrive de
croiser le premier ministre dans la rue. J’ai trois enfants dans les
collèges et lycées les plus prestigieux de la capitale.
D’ailleurs, leurs ancêtres (du côté de leur mère) sont le
mousquetaire Porthos, le baron d’Holbach (connu pour avoir financé
Diderot) et leur arrière arrière-grand-père était dans la même classe
que Musset, Haussmann ou Ferdinand de Lesseps ! Et pourtant, j’ai peur
pour leur avenir parce qu’ils portent mon nom et seront, eux aussi, un
jour, suspects !
Côté blé, j’engrange
J’ai une société qui marche bien, installée sur quatre continents.
J’ai des centaines d’employés qui font, à travers mes produits, la
promotion du luxe à la française.
D’ailleurs, j’ai souvent cru que ma réussite économique allait gommer
ce regard, quand je marche dans la rue et que je croise le regard d’un
policier, mais non ! Je suis perpétuellement ramené à ma condition « de
suspect » !
Assistés, voleurs, malhonnêtes, islamistes
Peu importe nos trajets, nos parcours, nos destins, nous sommes
toujours vus comme des assistés, des voleurs, des malhonnêtes, des
islamistes… La liste est non-exhaustive. Et c’est sûrement pour cela,
que la police nous contrôle.
Plutôt que les coups de sa police, l’État devrait envoyer des preuves
d’amour à sa jeunesse. Elle devrait envoyer de l’espoir et permettre un
horizon de réussite, de douceur, de rêve…
Au lieu de mobiliser la force, l’État devrait mobiliser des moyens
massifs vers cette jeunesse française. Il devrait permettre aux jeunes
entrepreneurs d’accomplir leurs projets pleinement. Il devrait aussi
permettre aux jeunes diplômés de ne pas être discriminés.
Le plafond de verre
Ma réussite, par exemple, a commencé lorsque je suis allé à
l’étranger. Au Japon, j’ai été délesté de ce poids de la suspicion.
Ainsi, j’ai pu développer mes idées et mes projets… Nombre de mes amis
(Fatima, Mourad ou Mamadou) sont aussi partis à l’étranger et ont
développé des projets, très souvent avec succès…
Certains ont même abandonné leur passeport français pour devenir
américains, australiens ou anglais. Veulent-ils nous dire, par ce choix,
que le seul espoir possible est ailleurs ? Je veux croire que non.
Des noms de suspects
Je suis de ceux qui sont restés en France, comme tous ces médecins ou
ces infirmières qui, pendant la crise sanitaire du Covid-19, avaient
des noms de famille comme le mien : des noms de suspects.
Cher pays, arrêtez alors de nous traiter en grande majorité comme des suspects, parce que nous sommes la solution.
Source : Ramdane Touhami. Intertitres : Partageux.
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