Jean Stern
Chargé de la déontologie des contenus, le nouveau conseil de
surveillance du réseau social compte parmi ses vingt membres l’ancienne
directrice générale du ministère de la justice israélien.
Sous les
ordres de la ministre Ayelet Shaked, figure de l’extrême droite, Emi
Palmor avait mis en place une cyberunité chargée de contrôler et
censurer les posts de Palestiniens.
Le conseil de surveillance de Facebook est l’un de ces machins dont
raffolent les mastodontes du numérique pour faire parler d’autre chose
que de leurs profits mirifiques. Facebook a ainsi annoncé la mise en
place, le 6 mai 2020, d’une instance supposée lutter contre des « discours haineux, néfastes et trompeurs ». Le conseil aura pour mandat de « prendre des décisions définitives »
sur la suppression de tel ou tel contenu sur les pages Facebook et les
comptes Instagram, une filiale du groupe fondé par Mark Zuckerberg.
Indépendant de Facebook, mais financé à 100 % par un fonds mis en
place par la multinationale et doté de 130 millions de dollars (115
millions d’euros), ce conseil pourra être saisi par un internaute qui
souhaiterait voir un contenu disparaître, comme par un autre dont le
post aurait été supprimé par les modérateurs de Facebook, et qui en
ferait en quelque sorte appel. Cette instance sera également susceptible
de faire des « recommandations » sur la suppression de tel ou tel type
de publication.
Un casting international prestigieux
Composé à terme de 40 membres, il en compte déjà 20 qui « représentent divers horizons et points de vue professionnels, culturels, politiques et religieux ». Casting de prestige : la Yéménite Tawakkol Karman [1],
prix Nobel de la paix en 2011 avec les Libériennes Ellen Johnson
Sirleaf et Leymah Gbowee ; une ancienne première ministre du Danemark,
Helle Thorning-Schmidt, célèbre pour avoir inspiré le personnage de
Birgitte Nyborg dans la série télévisée Borgen ; Alan Rusbridger, qui a été directeur de la rédaction du prestigieux quotidien britannique The Guardian ;
une avocate des droits humains aux États-Unis ; une dirigeante de
l’Open Society en Afrique de l’Ouest ; un rédacteur en chef indonésien ;
des universitaires du monde entier… Et puis une Israélienne, Emi
Palmor, présentée comme « ancienne directrice générale du ministère israélien de la justice » où elle a créé, précise Facebook, « l’unité gouvernementale de coordination antiraciste chargée de permettre l’accès à la justice par les outils numériques » et de « promouvoir la diversité dans le secteur public ».
Bigre ! Dit comme cela, rien qui ne dénote parmi cet aréopage de
spécialistes des droits humains et de la culture numérique. Actuellement
maîtresse de conférence adjointe au Centre interdisciplinaire de
Herzliya — un bastion de la droite universitaire en Israël —, Emi
Palmor, une avocate de 53 ans, a dirigé les services du ministère de la
justice de 2014 à 2019, et a effectivement travaillé à un texte visant à
faciliter, via des aides juridiques gratuites, l’accès à la justice des
Israéliens d’origine éthiopienne victimes de nombreuses discriminations
dans ce pays gangrené par le racisme. Cette réalisation louable ne doit
cependant pas en masquer une autre, menée de main de maîtresse par Emi
Palmor, de surveillance et de censure électronique des Palestiniens sur
les réseaux sociaux, parmi lesquels en premier lieu… Facebook, le plus
utilisé en Israël et dans les territoires palestiniens occupés.
Sa ministre de tutelle était Ayelet Shaked, membre du parti d’extrême
droite Le Foyer juif dirigé par Naftali Bennett, lui-même ministre de
l’éducation dans le même gouvernement Nétanayhou. Autrice de nombreuses
diatribes contre les « Arabes », la ministre de la justice, outre son
combat permanent contre « l’ennemi » palestinien, avait dans sa ligne de
mire les ONG de défense des droits humains, considérées comme des
repaires de gauchistes propalestiniens. Elle fera adopter une loi sur
leur financement pour tenter de les étrangler [2].
De sévères restrictions à la liberté d'opinion
Sous la houlette d’une ministre qu’un journaliste de Tel-Aviv qualifie de « voix la plus extrémiste d’une extrême droite israélienne qui n’en manque pourtant pas »,
Emi Palmor se chargeait donc de traquer les Palestiniens sur les
réseaux sociaux. Cette haut fonctionnaire dévouée à un gouvernement de
guerre et d’occupation avait créé en 2016 une « cyber unit » « pour supprimer, restreindre ou suspendre l’accès à certains contenus, pages ou utilisateurs ».
Adalah, organisation palestinienne de défense des droits de l’homme basée à Haïfa, explique que cette cyberpatrouille « a
délibérément ciblé et entraîné le retrait de dizaines de milliers de
contenus palestiniens, et imposé de sévères restrictions à la liberté
d’expression et d’opinion, en particulier en ce qui concerne la
Palestine ». La cyberunité lancée par Emi Palmor et rattachée au
bureau du procureur général Avichai Mandelblit dispose de nombreux
algorithmes pour détecter des contenus dits « extrémistes », et demande
directement leur suppression aux réseaux sociaux sans que ses démarches
soient rendues publiques. En toute opacité, donc. Rien à voir avec la « transparence » promise par le nouveau conseil de surveillance de Facebook…
Selon des chiffres du procureur diffusés par Adalah, en 2017,
deuxième année de fonctionnement de la cyberunité d’Emi Palmor, le
nombre de suppressions de contenus a augmenté de 500 %. En 2018, 14 283
retraits ont été constatés.
Un message raciste toutes les minutes
Mais dans le même temps, des recherches sur l’incitation à la haine
contre les Palestiniens ont révélé qu’il y avait en ligne des messages
en hébreu dirigés contre les Palestiniens toutes les 66 secondes en
moyenne (oui, un par minute, 24 h/24 !) en 2018. Ce dont ne s’est pas
soucié la cyber-unité, malgré le caractère raciste manifeste de beaucoup
de ces messages. Il s’agit bien pour elle de faire taire les
Palestiniens et d’étouffer des contenus critiquant la politique
israélienne.
Plusieurs groupes palestiniens ont dénoncé le rôle d’Emi Palmor « dans
le musellement de la liberté d’expression et la censure des défenseurs
des droits humains, en particulier des voix palestiniennes, arabes et
musulmanes » sur Facebook. La Palestine Digital Rights Coalition, le
Conseil des organisations palestiniennes de défense des droits humains
et le réseau des organisations non gouvernementales palestiniennes
exhortent Facebook à « considérer les graves conséquences que le
choix d’Emi Palmor pourrait avoir en particulier sur les défenseurs
palestiniens des droits humains et sur la liberté d’expression en ligne
pour défendre les droits des Palestiniens ».
Sel de cette histoire, quand Emi Palmor est limogée en 2019 par Amir
Ohana, un député du Likoud proche de Nétanyahou qui succède à Ayelet
Shaked au ministère de la justice, Yair, le fils du premier ministre,
partage sur Facebook un contenu qui accuse Palmor d’être une « gauchiste ».
Insulte suprême, on le sait, en Israël. Il y a quelques années, elle
avait été la conseillère d’une députée du Meretz, un petit parti de
« gauche » sioniste, avant de tourner casaque et de travailler avec une
ministre d’extrême droite…
Il va avoir du boulot, le conseil de surveillance de Facebook, pour
rétablir la liberté de publication sur le réseau en Palestine occupée et
faire reculer la haine en ligne contre les Palestiniens si répandue en
Israël.
Mais il n’est pas sûr que « l’experte » Palmor soit la plus
qualifiée pour le faire [3].
[1] La nomination de cette dernière, accusée d’être une proche des Frères musulmans, a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses critiques.
[2] Pour en savoir plus sur Ayelet Shaked, Sylvain Cypel, L’État d’Israël contre les juifs, La Découverte, 2020.
[3] Contactée par mail, Emi Palmor n’’a pas répondu à Orient XXI.
Ancien de Libération et de La Tribune, Jean Stern est collaborateur de La Chronique d’Amnesty International. Il a publié en 2012 Les Patrons de la presse nationale, tous mauvais, à La Fabrique, et en 2017 Mirage gay à Tel Aviv aux éditions Libertalia.
Source : Orientxxi
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