Denis Sieffert
Christophe Castaner s’est employé à minimiser la responsabilité de
l’institution policière.
Sacrifions quelques brebis galeuses, mais pas
touche à l’institution ! On comprend l’embarras du gouvernement pour
cette institution si particulière dans les rouages de l’État.
Le discours de Christophe Castaner, lundi, est une assez bonne
illustration de la façon dont on gouverne de nos jours. Une navigation à
vue, au gré des scandales et des mobilisations citoyennes. Il ne se
serait évidemment rien passé si une femme n’avait pas filmé l’agonie de
George Floyd à Minneapolis, et si le Comité Adama Traoré n’avait pas
rassemblé des dizaines de milliers de personnes le 2 juin à Paris. Il
est vrai que le sujet est sensible. Il s’agit de la police, ce bras armé
de l’État dont l’une des missions, la principale peut-être, est le «
contrôle social ». On veille généralement en haut lieu à ne pas
contrarier ces fonctionnaires et leurs syndicats, dont certains
infiltrés par l’extrême droite. On en a grand besoin pour faire passer «
coûte que coûte » les politiques les plus impopulaires. C’est donc
visiblement à contrecœur que le ministre de l’Intérieur, envoyé au front
par son Président, a annoncé des décisions dont il faut se féliciter,
et pris quelques grandes résolutions qui ressemblent un peu à des
promesses de Gascon. Comme cette proclamation de « tolérance zéro contre le racisme dans les forces de l’ordre »,
qui sonne comme un aveu de ce qu’on a laissé faire jusqu’à présent.
Côté décision, la plus remarquable est sordidement « technique ». Un
policier ne pourra plus faire pression sur la nuque d’une personne en
cours d’interpellation. Le dernier souffle de George Floyd est parvenu
jusqu’à la place Beauvau. Mais il pourra toujours pratiquer le «
plaquage ventral », comme l’a fait son collègue du Val-d’Oise, en 2016,
en pesant de tout son poids sur Adama Traoré, au risque de lui ôter la
vie.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la décision
du ministre n’est pas spontanée. Christophe Castaner a révélé, lundi,
qu’après la mort, par le même procédé d’étranglement, du livreur Cédric
Chouviat, en janvier, il avait chargé une mission de lui remettre un
rapport. Après « plusieurs mois de travail », les conclusions
sont désormais entre les mains du ministre, qui va pouvoir ainsi
retrouver sa capacité d’indignation. On a aussi appris tout récemment
que le président de la République avait demandé à la garde des Sceaux,
Nicole Belloubet, de se pencher sur l’examen du dossier Traoré. La
phrase fameuse de Cocteau va à ce gouvernement comme un gant : « Ces événements nous dépassent, feignons de les avoir organisés. »
Le ministre a également annoncé une réforme de l’IGPN, la « police des
polices », dont les enquêtes sont le plus souvent marquées par l’opacité
ou se perdent dans les limbes de l’oubli. Ce même jour, le Défenseur
des droits avait d’ailleurs révélé que, pendant les six années de son
mandat, aucune de ses trente-six demandes de poursuites disciplinaires à
l’encontre de policiers n’avait été suivie d’effet. En janvier,
Emmanuel Macron niait encore publiquement la réalité des violences
policières. L’impunité était la règle. Faut-il croire à un changement ?
Christophe Castaner s’est employé à minimiser la responsabilité de
l’institution policière. Sacrifions quelques brebis galeuses, mais pas
touche à l’institution ! On comprend l’embarras du gouvernement.
Qu’est-ce que cette institution si particulière dans les rouages de
l’État, sinon des hiérarchies nommées en Conseil des ministres, comme ce
préfet Didier Lallement dont les déclarations font froid dans le dos ?
Qu’est-ce, sinon des consignes de répression venues d’en haut, et
l’intendance suivra ? L’institution, c’est aussi une histoire sombre
marquée par la honte de la répression coloniale. Depuis les débuts de la
Ve République, certains noms de ministres de l’Intérieur
sentent le soufre, depuis Roger Frey, le Caldoche ministre de De Gaulle,
patron de Maurice Papon au moment du massacre des Algériens de Paris,
le 17 octobre 1961, et de la répression du métro Charonne. Les
Marcellin, Poniatowski, Pasqua, Sarkozy, Valls ont toujours revendiqué
de couvrir leur police en toutes circonstances. À la préfecture, il y
eut plus de Papon que de Grimaud, l’homme qui parlait avec les
manifestants de 1968.
La violence contre les gilets jaunes, les mains
arrachées, les faces éborgnées, les stratégies d’encagement qui piègent
les manifestants, les charges folles et haineuses contre une fête comme
celle qui précipita le jeune Steve Maïa Caniço dans la Loire, en juin
2019, tout cela fait beaucoup trop pour quelques brebis galeuses. Mais
en vérité, la question de l’institution policière n’a pas de sens.
L’action de la police est trop étroitement liée à la politique du
gouvernement. Le scandale des contrôles au faciès est la conséquence
inavouable mais bien réelle des discriminations sociales et d’une
politique de la ville désastreuse. C’est la traduction sur le terrain,
j’oserais dire la traduction policière, d’une politique qui ne se décide
pas dans les commissariats. C’est le fameux « monopole de la violence légitime »
de Max Weber. La formule, répétée à l’envi, pose plus de problème
qu’elle en résout. La violence peut-elle être légitime quand la
politique ne l’est pas ? La police fait à peu près ce qu’on lui demande
de faire. Certes, on ne lui demande pas d’être raciste – d’ailleurs la
majorité des policiers, probablement, ne le sont pas – mais on la met,
si j’ose dire, en situation de l’être. Puis on ne veut rien savoir.
Ce
qu’on appelle la raison d’État.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire