lundi 3 juin 2024

7 jours de carence pour les arrêts maladies ? Macron prépare une offensive contre la Sécurité Sociale

Joël Malo

Le gouvernement en parle depuis plusieurs semaines, la Cour des Comptes l’envisage sérieusement, le patronat se frotte les mains. Baisse des indemnités, augmentation des jours de carence, être malade est un luxe qui ne sera plus permis aux travailleurs.

Graves menaces contre la Sécurité Sociale et les droits des travailleurs ! La Cour des Comptes vient de publier son rapport annuel, Sécurité Sociale 2024, dans lequel elle préconise des mesures d’austérité sur les arrêts maladies. Comme d’habitude, ces attaques sont justifiées par le fameux « trou de la Sécu », un déficit que le gouvernement avait prévu à 7,1 milliards d’euros pour cette année, tandis que la Cour des Comptes l’estime à 10,8 milliards d’euros. Une broutille à côté des plus de 150 milliards d’euros d’argent public transférés chaque année en aide pour le patronat.

Être malade, un luxe que les travailleurs ne pourront plus se permettre

Mais c’est bien en agitant ce déficit, et sous prétexte de « sauver » la Sécurité Sociale, que les experts en austérité de la Cour des Comptes proposent des pistes pour faire payer les travailleuses et les travailleurs, en attaquant lourdement les indemnités journalières d’arrêt maladie.

À l’heure actuelle, un salarié du privé en arrêt maladie est soumis à trois jours de carence (donc de perte de salaire). Au-delà, la sécurité sociale lui paye 50% de son salaire journalier de base (au revoir les primes !), dans une limite de 52,2€ brut/jour. Dans le public, Darmanin et Macron ont imposé un jour de carence en 2017. Alors que dans le privé, certaines entreprises continuent de payer une partie du salaire pendant les jours de carence, dans le public ce jour de carence n’est pas compensable.

La Cour de Comptes propose d’alourdir l’addition. Elle propose ainsi de ne plus couvrir les arrêts de travail de moins de 8 jours ! Les experts espèrent ainsi voler 470 millions d’euros aux travailleurs. Variante plus brutale, à 945 millions d’euros d’économie, le délai de carence pourrait être porté de 3 à 7 jours (y compris pour les personnes qui sont arrêtées pour plus de 8 jours). Une telle mesure nous ferait reculer à avant… 1928, lorsque qu’une indemnité était prévue à partir du sixième jour de maladie ou de blessure !

Problème, étant donné que de nombreuses entreprises couvrent les jours de carence de leurs salariés, elles devraient prendre en charge ces nouveaux jours de carence. Et ce n’est évidemment pas ce que souhaite la Cour des Comptes. Le MEDEF remet donc en avant une de ses revendications historiques : des jours de carence « d’ordre public ». Un jour de carence qu’il serait interdit de compenser que ce soit par la Sécurité Sociale ou par le patronat et qui représenterait donc une perte sèche de salaire pour les travailleurs. Sauf qu’une telle mesure aurait un effet en retour… sur les recettes de la Sécurité Sociale qui sont notamment fournies par les cotisations patronales ! Lorsque les patrons payent moins de salaire, sont incités à verser des primes ou reçoivent des exonérations en tout genre : le « trou de la Sécu » se creuse par manque à gagner. La Cour des Comptes n’hésite donc pas à mettre également sur la table l’idée de baisser tout bonnement les indemnités journalières !

Énième attaque, le temps maximal d’indemnisation pourrait être réduit. Alors qu’il est actuellement de 360 jours sur trois ans, il pourrait être réduit à 360 jours sur deux ans. Après quoi, un salarié en arrêt devra se tourner vers le RSA, d’éventuelles pensions d’invalidité ou d’incapacité en cas de maladie professionnelle, vers l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH), qui assure un revenu maximum de 1016 €. En bref, la promesse d’une précarité accrue pour les personnes en longue maladie ou trop cassées par le travail pour pouvoir travailler encore. Et l’ouverture d’un énorme marché pour les mutuelles privées, qui pourront profiter d’une moindre protection des travailleurs pour vendre leurs services à prix d’or.

De la même manière qu’un jour de carence (non-compensable) a été introduit dans la fonction publique au nom de « l’égalité » entre le privé et le public, ces attaques anti-sociales contre le régime général seront bien entendu rapidement répercutées dans le public.

Des mesures à l’étude depuis plusieurs mois par le gouvernement

Le gouvernement n’a pas attendu les préconisations de la Cour des Comptes pour évoquer de telles rallonges des jours de carence. En avril, la Tribune évoquait déjà le projet du gouvernement d’organiser une « négociation » entre le patronat et les syndicats à ce sujet. Le rapport de la Cour des Comptes ne vient donc que donner une « légitimité » pour appuyer les attaques à venir du gouvernement.

Dès la publication du rapport, tous les médias patronaux ont repris à tue-tête leur propagande contre les arrêts de travail « de confort » pour reprendre l’expression de Bruno Le Maire. Les riches qui nous exploitent, qui nous gouvernent, ou qui présentent les émissions trouvent que les travailleurs pensent que les travailleurs « fraudent » et perdent du salaire en se mettant en arrêt maladie de gaieté de cœur. Sauf que le rapport de la Cour des Comptes précise que si les dépenses en indemnités journalières sont en augmentation (12 milliards en 2022 contre 7,7 milliards en 2017), ce n’est pas à cause d’une prétendue fraude mais pour des raisons structurelles : l’augmentation de la population active, et donc du nombre de travailleurs qui peuvent être malades, le vieillissement de la population active (que la réforme des retraites va empirer), l’augmentation des salaires sous le coup de l’inflation, et donc des indemnités, ainsi que les conséquences durables de la crise sanitaire.

Stop à la dictature patronale !

Il faut rappeler ces évidences, car le programme politique des partis des riches ne tiennent que sur ces mensonges concernant la fraude aux arrêts maladies. Qu’aurait encore à vendre un Jordan Bardella s’il ne pouvait remettre tous les problèmes que nous causent les capitalistes sur le dos des « étrangers qui fraudent » ? Et comment les macronistes pourraient-ils faire avaler aux travailleurs qu’ils doivent renoncer à leurs droits s’ils ne passaient la journée à jouer les travailleurs méritants contre les « fainéants qui fraudent » ?

Au contraire, il est évident que les arrêts maladies sont sous-déclarés. Nombre de travailleurs vont au boulot dans des conditions de santé qui les mettent eux et leurs collègues en danger, parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de perdre leurs jours de carence. Les futures attaques du gouvernement vont exacerber cette tendance. De plus de nombreux accidents et de maladie qui devraient être reconnus comme accidents du travail sont déclarés en simple maladie, pour éviter la responsabilité patronale. C’est ce que rappelle ainsi la sociologue Véronique Daubas-Letourneux : « On sait que les cancers d’origine professionnelle sont très rarement reconnus comme tels. Et la Sécu en est consciente, puisque chaque année sa branche accidents du travail reverse beaucoup d’argent [2 milliards d’euros en 2019 – ndlr] à sa branche maladie pour compenser les sous-déclarations ».

Ce que le rapport de la Cour des Comptes, dirigée par le socialiste tendance Macron Pierre Moscovici, se garde en revanche bien de souligner, c’est l’impact des cadences qui augmentent, du même travail qui doit être réalisé avec moins d’effectif, du harcèlement des chefs et du management qui vise à briser les salariés physiquement et psychologiquement. Pas un mot non plus des réformes successives de Sarkozy, Hollande et Macron qui ont dégradé les conditions de travail. La suppression des Comités d’Hygiène, Santé et de Sécurité au Travail (CHSSCT) par les ordonnances Macron de 2017 ayant notamment réduit les capacités de prévention et de contrôle des risques au travail. L’attaque contre les arrêts de travail vient donc terminer le travail de la dégradation continue des conditions de travail, et est une suite logique de la réforme des retraites et de la chasse aux syndicalistes qui a cours actuellement dans les entreprises.

Il faut pouvoir d’un côté user les travailleurs jusqu’à la corde au travail et les jeter comme des kleenex quand ils ne sont plus en état de travailler, sans que cela coûte quoique ce soit au patronat.

Révolution Permanente

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