mercredi 26 juin 2024

Pride des banlieues : « Le RN au pouvoir, c’est notre mort »

Pauline Migevant

Samedi 22 juin, 15 000 personnes ont marché lors de la Pride des banlieues à La Courneuve. Face à la menace que représente l’extrême droite, les participant.es ont exprimé leurs profondes inquiétudes mais aussi leur détermination à lutter ensemble quoiqu’il advienne. 

Comme un peloton d’exécution. Trois personnes en cagoule ont les mains liées dans le dos, attachées à un poteau de bois surmonté d’un panneau avec l’acronyme du Rassemblement national (RN). Autour de leur cou, des écriteaux : musulmane, immigré.e, LGBTI. Face à eux, les participant.es à la Pride des banlieues 15 000 selon les organisateurs, sont allongés par terre pour un « die-in », une action visant à « imiter la mort ». S’ensuit une minute de silence.

Pour appeler les participant.es à s’allonger sur le sol, une personne annonce dans le mégaphone : « La Pride des Banlieues dit non au Rassemblement national. Mais au-delà de dire non, on veut rappeler que le RN au pouvoir, c’est notre mort. La mort de toutes et tous. Notre mort et rien d’autre. » L’action « coup de poing » a été pensée en réaction à l’actualité politique « pour montrer ce que vivent les minorités sous un gouvernement fasciste », explique Gill, porte-parole du mouvement. Mais le choix de placer comme principale revendication de cette Pride la lutte contre l’extrême droite et l’instrumentalisation des vécus LGBT a été fait dès le début de l’année.

Le communiqué, publié en mars 2024, dénonçait « la loi asile et immigration de Darmanin » promulguée en janvier dernier qui a « agi comme un catalyseur exacerbant les difficultés déjà criantes pour les migrant.es ». Ainsi que le « racisme institutionnel et les violences policières persistantes. (…) Cela prépare sournoisement le terrain à l’extrême droite institutionnelle qui tente de détourner nos luttes pour servir des intérêts contraires à nos aspirations ». Depuis, Emmanuel Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale après les élections européennes au cours desquelles le Rassemblement national a obtenu plus de 30 % des voix. Une décision qui pourrait mener l’extrême droite au pouvoir dans moins d’un mois.

Soutien critique

D’où le soutien apporté par la Pride des banlieues le 13 juin, au Nouveau Front populaire, la nouvelle alliance des partis de gauche. Un « soutien critique » comme l’explique Yanis Khames, l’un des porte-parole : « On n’oublie pas que les forces du Nouveau Front populaire ont déjà été au pouvoir et nous ont déjà trahis dans nos aspirations émancipatrices. C’est bien sous Hollande que la brutalité policière a conduit à la mort d’Adama Traoré» « Mais, ajoute-t-il, on sait faire la différence entre les forces démocrates et les forces issues du nazisme et de la collaboration qui nous désignent comme des cibles à abattre, » affirme-t-il, en rappelant notamment les mots de Jean-Marie Le Pen sur « l’anomalie biologique et sociale » que constitueraient les personnes LGBT.

Si l’action coup de poing a conclu la marche, les manifestant.es s’étaient réuni.es près du RER la Courneuve Aubervilliers dès 13 h 30, où démarrait la marche. Tout au long du cortège, les manifestant.es ont exprimé des inquiétudes profondes. En tête de la marche, dans le cortège de personnes racisées des membres de l’Ardhis, une association de soutien aux personnes LGBT en exil« On s’aime ici, on reste ici », scandent-ils et elles.

Edith, femme camerounaise de 48 ans, y est bénévole. Elle ne décolère pas« On a fui notre pays parce qu’on est rejetés, ici aussi on est rejetés, les droits de l’homme, c’est pas pour nous. Mais être lesbienne, c’est pas une malédiction. » Récemment, sa demande d’asile et son recours auprès de la CNDA ont été rejetés. Si Edith « a peur » d’un possible gouvernement d’extrême droite, elle le répète : « Le rejet est déjà là ». À l’université, où elle suit une formation pour être médiatrice en santé « le professeur parle aux élèves français, quand je pose une question, il ne me répond pas alors que je parle français ».

Vincent, 25 ans, est lui alerté par la vitesse à laquelle certains droits pourraient disparaître : « on a bien vu en Italie. Les femmes lesbiennes qui n’avaient pas porté leur enfant se sont fait très vite retirer leurs droits parentaux ». « On veut montrer qu’on est là, qu’on est dans la place, qu’on existe », explique Laureen, 22 ans. Elle affirme : « Tant qu’il faudra faire preuve de courage pour montrer qu’on existe, alors on devra continuer de marcher. » Elle est venue avec Maryse, 22 ans, elle aussi. La marche est pour elle un moyen de « sortir de l’ombre dans laquelle la société nous force à être ». Lorsqu’elle a appris, dimanche 9 juin, la dissolution de l’assemblée, Maryse a « beaucoup pleuré. On a regardé les pays où on pourrait partir, au Canada par exemple ».

Mais aujourd’hui, avec le nouveau front populaire, elle « a de l’espoir parce que c’est tout ce qui me reste ». Celle qui souhaiterait entamer une thèse en sociologie à la rentrée craint pour sa discipline « taxée d’islamogauchiste ». Malgré tout, Maryse affirme : « quoiqu’il arrive, il ne faut pas qu’on abandonne, faut pas qu’on quitte le pays car c’est notre pays, et il faut pas qu’on dise qu’on est hétéros, car on ne l’est pas. Et si la Pride est interdite un jour, il faudra continuer à se réunir et à transgresser les règles. »

La solidarité, une priorité

Une nécessité de résister, affirmée dans les discours clôturant la marche au parc de la Liberté. « Notre existence contredit les imaginaires fantasmés de Le Pen, Bardella et Zemmour. Leur rhétorique est un tissu de mensonges dont nous sommes les premières victimes », entame Shahrazed, une autre porte-parole de la pride. Elle dénonce également les propos de Macron qui a qualifié « d’ubuesque » la proposition du NFP de « changer de sexe en mairie ». « Ce genre de rhétorique est incendiaire et ne fait qu’alimenter la haine et la violence que nous subissons au quotidien. »

Une solidarité à laquelle a aussi appelé Morgane Gicquel, présidente de l’association Espace Santé Trans revenant sur les conséquences des propositions de loi transphobes discutées depuis le début de l’année et visant les mineurs trans. « À tous ces réfractaires qui découvrent par surprise nos existences, nous leur disons : les personnes trans et les enfants trans ont existé, existent et existeront. Vous ne nous effacerez pas avec des lois ». Elle poursuit : « Demain, dans une assemblée à droite, les propositions de lois de la honte portées par les LR ou les RN qui visent à interdire les transitions des mineurs peuvent passer. » Elle l’affirme : le danger est mortel« Si ces lois passent, le risque concret, c’est qu’on soit beaucoup moins nombreuses ici l’année prochaine ».

Laurent,volontaire à Aides, association de lutte contre le Sida, reprend : « L’actualité nous glace le sang ». Il rappelle que « le RN est un parti transphobe et sérophobe et opposé aux droits des persones les plus exposées au VIH ».Comme en 1990 lorsque Jean Marie Le Pen considérait que le sida signifiait « socialisme immigration drogue affairism ».

À la fin de la prise de parole, le collectif Urgence Palestine tient à rappeler « No pride in genocide » (« il ne peut pas y avoir de fierté dans un génocide »). « L’homonationalisme et le pinkwashing ne sont pas seulement les stratégies de l’extrême droite francaise, ils sont des armes qu’Israël utilise contre la Palestine pour la criminaliser, l’isoler, et chercher à la détruire. (…) Nous refusons d’être instrumentalisés par un état colonial criminel et génocidaire et nous refusons de l’être par les discours et actions réactionnaires qui se multiplient. »

Les manifestants applaudissent, scandent des slogans en soutien aux personnes trans, pour la Palestine. Parmi la foule, une personne « afro queer féministe et fière » brandit une pancarte. Dessus, les mots de Maya Angelou, poétesse et militante afro-américaine : « Tu peux me tirer dessus avec tes mots, tu peux me saigner avec tes regards, tu peux me tuer ave ta haine. Mais comme l’air, je m’élèverai, et je me lèverai et je lutterai. »

politis.fr

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