vendredi 21 juin 2024

Rassemblement National : la stratégie de la cravate

Nathan Deas

Entre renoncements et offensives de charmes en direction du grand patronat, la stratégie de « dédiabolisation » du RN trouve une nouvelle application dans cette campagne éclair et s’accompagne d’un élargissement de son électorat vers le bloc bourgeois.

Entamée il y a plusieurs années, la campagne de dédiabolisation du RN avait connu une spectaculaire accélération à l’occasion de l’entrée à l’Assemblée nationale de 88 députés autour de Marine le Pen. Par visioconférence, la tête de file du parti d’extrême droite expliquait alors à ses troupes : « quand vous serez à l’Assemblée nationale, soyez respectueux, soyez polis, portez une cravate ». En somme : tenez-vous bien. À l’occasion de cette campagne express, la « stratégie de la cravate » trouve une seconde application. Depuis un peu plus d’une semaine, le chef de file du parti d’extrême droite, Jordan Bardella ne manque pas en effet une occasion de « rassurer ». Alors que la crise politique et l’instabilité sociale dont pourrait accoucher une victoire du RN inquiètent les marchés financiers, le parti d’extrême droite multiplie les gages.

Exit la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité « renvoyée à plus tard ». Exit également l’abrogation de la réforme des retraites qui n’est « plus une « priorité ». La nationalisation de l’audiovisuel et des autoroutes ne sera pas pour tout de suite non plus. En tous cas après un audit de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des finances et des « économies ». À chaque intervention les portes paroles du RN usent les mêmes ficelles. D’abord noircir le tableau des finances publiques. La situation est « catastrophique », le pays en situation de « quasi-faillite financière » répète Bardella. Ensuite faire des cadeaux aux entreprises.

Pour « remettre le déficit sur une trajectoire crédible », Jean Philippe Tanguy propose notamment de confier le service public postal à Amazon. En parallèle, le RN prévoit de réduire drastiquement les cotisations patronales. Quelques mois plus tôt, dans une tribune, Marine le Pen alertait sur la « flambée de la dette » et sa « stratégie » pour y répondre. Une façon déjà d’envoyer un signal aux secteurs du grand patronat sur la poursuite de la mue néolibérale du RN. Une façon également de préparer aux reculades sur le programme, de justifier quelques reculs tactiques et de renvoyer les électeurs vers les présidentielles de 2027 censées permettre au RN d’avoir enfin les coudées franches.

Une façon surtout enfin d’affiner sa « stratégie » pour la prise du pouvoir. Si l’électorat col bleu des petites villes continue en effet d’être une composante essentielle du vote RN, les élections européennes, dans la continuité des présidentielles de 2022, ont témoigné d’un nouvel élargissement de l’électorat du parti d’extrême droite vers des couches sociales qui lui étaient autrefois rétives (notamment les jeunes, les femmes et les retraités), mais aussi et surtout dans les catégories socio-professionnelles supérieures. Sur fond de « normalisation » progressive, d’adaptation du programme aux demandes du patronat et de votes profondément libéraux à l’assemblée (entre refus d’augmenter les salaires et de la taxation des profits) certaines franges bourgeoises, à l’instar des LR, commencent à être séduites par Le Pen.

Ainsi selon le François Hublet dans le Grand Continent : « plus de huit électeurs sur dix ayant nouvellement rejoint le RN proviendraient du camp présidentiel ou de la droite traditionnelle, seul un sur sept ayant voté pour l’un des candidats de gauche au premier tour de l’élection présidentielle de 2022. ». Une radicalisation du bloc bourgeois dont dépendra en grande mesure la composition du Parlement français le 7 juillet prochain. Le RN tentera en effet de mobiliser à la fois ses électeurs « traditionnels », mais aussi ses nouveaux soutiens, y compris une partie de l’électorat des Républicains sur fond d’alliance (partielle) avec Eric Ciotti. Quitte à susciter de nouvelles contradictions. Bardella espère que la surenchère raciste et sécuritaire de ces derniers jours suffise à masquer la disparition d’un vernis social qui n’a pas fini de s’effriter. La cravate de Bardella est bel et bien un noeud coulant glissé autour du cou des classes populaires...

... car les choses sont plus claires que jamais : si la droite est anti-sociale, l’extrême droite est extrêmement anti-sociale et les classes populaires auront encore à payer pour les riches !

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