jeudi 18 juillet 2024

En Occident, le soutien à l’État génocidaire devient un handicap

Ramzy Baroud

Les crises politiques en Grande-Bretagne et en France ont fait couler beaucoup d’encre, la première se traduisant par la défaite cuisante du parti conservateur et la seconde par la neutralisation de l’extrême droite par une coalition majoritairement de gauche. Mais ce ne sont pas les seuls résultats importants des élections générales des 4 et 7 juillet dans deux des pays les plus influents d’Europe.

Un autre résultat important, voire sans précédent, a été la place centrale de la cause palestinienne dans les discours politiques à Londres et à Paris, discours qui, en vérité, reflètent les changements plus importants qui s’opèrent dans l’ensemble du continent et du corps politique européens.

Cela fait longtemps qu’on nous rabâche que la défense des droits des Palestiniens est une cause politique perdue en Europe, où Israël jouit d’un statut spécial en raison du rôle historique de l’Occident dans la création, le maintien et la défense de l’État d’occupation.

Cette relation privilégiée repose sur davantage que de simples traditions politiques. Dans des pays comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, le lobby pro-israélien constitue un des plus puissants groupes d’influence.

L’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) illustre la puissance du lobby pro-israélien. Il y a, à chaque cycle d’élections américaines, mille manifestations du pouvoir politique disproportionné exercé par l’AIPAC.

Le dernier exemple en date est la défaite, en juin, du représentant progressiste Jamaal Bowman, un démocrate de New York qui a été écarté en faveur d’un candidat pro-israélien. L’AIPAC aurait dépensé la somme astronomique de 15 millions de dollars pour faire remplacer Bowman. Le soutien du lobby, cependant, garantit de moins en moins le succès ou l’échec politique. En effet, les Américains ordinaires sont de plus en plus conscients de la lutte des Palestiniens pour la liberté, les contre-attaques de certains progressistes ont été couronnées de succès et la démographie politique du parti démocrate a changé.

La guerre israélienne d’« extermination » à Gaza, les termes utilisés par le procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan, a fait de la libération des Palestiniens une cause mondiale.

La désinformation des médias et l’argent des lobbies ne peuvent en aucun cas aider Israël à redorer son blason. De nombreux Israéliens l’ont également compris.

L’horrible guerre, la fermeté du peuple palestinien et les efforts de solidarité mondiale ont servi de catalyseurs à de nombreux gouvernements dans le monde pour adopter des positions plus fermes en faveur de la Palestine. En outre, la montée en puissance de la cause palestinienne a récemment permis à des pays comme l’Espagne, l’Irlande, la Norvège et la Slovénie de défier la position américaine, qui s’oppose à la reconnaissance de la Palestine en dehors de ce que l’on appelle le « processus de paix ».

Le discours politique associé aux récentes décisions est aussi important que les reconnaissances elles-mêmes. Le Premier ministre socialiste espagnol Pedro Sanchez a lié la décision de Madrid à la «justice historique pour les aspirations légitimes du peuple palestinien»La vice-première ministre espagnole, Yolanda Diaz, est allée plus loin, le 23 mai, quand elle a déclaré que Madrid «continuera à faire pression… pour défendre les droits de l’homme et mettre fin au génocide du peuple palestinien». Mme Diaz a conclu sa déclaration en déclarant : «Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre».

Si une telle attitude était limitée à un seul pays, cet État aurait été considéré comme l’exception «radicale». Mais l’Espagne n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Avant même que les résultats officiels des élections françaises ne soient proclamés, la présidente du Bloc parlementaire de la France Insoumise, Mathilde Panot, a déclaré le 7 juillet que le bloc reconnaîtrait l’État de Palestine dans un délai de deux semaines.

Ce qui est particulièrement intéressant dans la déclaration de Mathilde Panot, c’est qu’elle ne considère pas la reconnaissance de la Palestine comme un geste symbolique, mais comme «l’un des moyens dont nous disposons pour faire pression [sur Israël]».

Pour la gauche française, soutenir la cause palestinienne n’était pas un handicap lors d’une élection très disputée. C’est même l’un des secrets de son succès. La tentative acharnée des partis de droite et d’extrême droite de salir la gauche en dénonçant sa position sur la guerre de Gaza a échoué lamentablement.

Un scénario similaire s’est répété en Grande-Bretagne. Le soutien inconditionnel des conservateurs à Israël s’est avéré vain, voire contre-productif. Certains membres pro-israéliens du parti travailliste victorieux ont même été battus par des candidats indépendants ou ont vu leur «solide» majorité considérablement réduite en raison de leurs positions sur la guerre de Gaza.

Ainsi, Adnan Hussain, un indépendant qui a battu la travailliste Kate Hollern à Blackburn, avait écrit à ses électeurs potentiels : «Je promets de faire connaître vos préoccupations concernant l’injustice infligée à la population de Gaza, dans les endroits où nos soi-disant représentants ont échoué à le faire».

La guerre génocidaire a joué un rôle important dans une évolution qui devrait s’accentuer dans les années à venir du fait que les électeurs européens en ont clairement assez du soutien aveugle que leurs gouvernements accordent à Israël. Ils utilisent leurs institutions démocratiques pour mettre en place des gouvernements susceptibles de mettre fin à l’occupation israélienne de la Palestine.

Des gouvernements responsables, tels que l’Espagne, la Norvège et l’Irlande, répondent déjà aux souhaits de leur population. Il faut que les autres, y-compris les États-Unis, suivent leur exemple. 

Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle.
Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out ». Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française)
Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.

Source : Middle-East Monitor

Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet 

Chronique de Palestine

Aucun commentaire: