dimanche 7 juillet 2024

Législatives : quels scénarios à l’issue du second tour dimanche ?

Antoine Weil et Alexis Taïeb

Si le scénario d’une majorité absolue du Rassemblement National semble s’éloigner et qu’émerge l’idée d’une « grande coalition » du centre-gauche à la droite, de nombreux facteurs restent indéterminés à deux jours du scrutin.

Après le premier tour des élections législatives, alors que le Rassemblement National a obtenu une victoire historique avec 33,15% des suffrages exprimées, arrivant en première position dans 297 circonscriptions, la question du « front républicain » a été au cœur des débats ces derniers jours. Celui-ci s’est remis en place par en haut, avec 220 désistements répertoriés, dont 131 de la part de candidats du Nouveau Front Populaire et 82 du camp Macron. De quoi remettre en cause la perspective d’une majorité absolue pour le RN, tout en ouvrant la voie à un scénario de gouvernement de « grande coalition », sans qu’il soit possible de prévoir avec certitude le résultat de dimanche. Retour sur les hypothèses pour le 7 juillet.

L’abstention et le front républicain : les grandes inconnues du scrutin

La première inconnue est la traduction du « Front Républicain » dans les urnes. Si en moins de deux jours, les appareils se sont mis d’accords pour opérer le « grand désistement », la question de l’efficacité du report de voix en faveur des candidats opposés au Rassemblement National reste entière. C’est ce que résume le directeur de recherches à Sciences Po Luc Rouban pour Public Sénat : « Les électeurs de gauche qui n’ont pas apprécié l’alliance avec LFI pourraient s’abstenir lorsqu’ils auront à voter pour un insoumis ; chez certains LR, le ni-ni risque de l’emporter dans un duel LFI-RN, et les macronistes pourrait refuser de soutenir une gauche qui ne manquera pas de mettre en difficulté le président de la République ». Toute la question est de savoir si le front républicain, qui s’est fortement effrité ces dernières années, sera revitalisé ou non, et à quel point.

Sur le papier, l’institut de sondage IFOP parie cependant sur une réussite de l’opération de sauvetage du front républicain. Dans le cas d’un second tour opposant un candidat écologiste ou socialiste face au RN, 77% des électeurs du centre qui décideraient de voter, hors abstention donc, choisiraient l’opposant du RN et seulement 23% opteraient pour le parti d’extrême droite. Dans le cas d’une candidature France Insoumise, ce serait plutôt 66% pour et 34% en faveur du RN. Dans les coordonnées inverses, opposant un candidat Ensemble à un candidat du RN, les électeurs de gauche seraient encore plus efficaces pour faire barrage. Ainsi, 84% de l’électorat du NFP voterait pour Ensemble et seulement 16% pour le RN. Cependant, l’institut de sondage ne prédit pas le taux d’abstention à venir.

Cette donnée est pourtant cruciale pour envisager les différents scénarios possibles, comme le relève Erwan Lestrohan, directeur conseil au sein de l’institut de sondage Odoxa : « si de nombreuses inconnues persistent encore, celle de la participation constitue sans doute l’angle mort de la plupart des sondages, peu d’instituts se risquant à donner un chiffre. Pourtant, la mobilisation des électeurs sera sans aucun doute un facteur crucial sur les résultats finaux. » Dans son propre sondage, l’institut Odoxa a justement mesuré cette donnée et table sur une faible abstention parmi les électeurs concernés par le barrage républicain. Dans son rapport, il note ainsi que : « 64% des électeurs NFP et 49% des électeurs Renaissance assurent que ces désistements les incitent « plus encore » à voter pour un adversaire politique et contre le RN  ». À l’inverse, il note également que le barrage incite les sympathisants du RN à se mobiliser encore plus largement en sa faveur.

Une autre donnée est ainsi à prendre en compte, celle des 30% d’abstentionnistes qui pourraient être une réserve de voix, pour le RN comme pour le barrage républicain. À cet égard, Luc Rouban note que leur sociologie « correspond notamment à celle des électeurs du RN : généralement des personnes défavorisées avec un faible niveau d’étude ». Une hypothèse que Guillaume Tabard avance également pour le Figaro : « Il n’est pas impossible que ce nouveau front de Macron à Mélenchon mobilise en retour les abstentionnistes de sensibilité lepéniste », note l’éditorialiste. Ainsi, si les sondages dessinent un scénario dans lequel le barrage républicain est efficace, il ne faut pas écarter l’hypothèse d’un affaissement de la participation des électeurs ciblés par ce même barrage, tout comme le fait que des abstentionnistes du premier tour participent au second scrutin.

Le RN proche de la majorité absolue : un scénario à ne pas écarter

Les variables à prendre en compte sont donc nombreuses. La seule certitude cependant est que le Rassemblement National se dirige vers un renforcement historique de son poids parlementaire, et devrait très probablement constituer la première force au sein de l’institution. Dans le scénario où le RN obtiendrait a minima une majorité relative, l’usage voudrait que le chef de l’Etat propose au représentant du parti arrivé en tête de former un gouvernement. L’attitude que devrait adopter Emmanuel Macron, seul capable de nommer le Premier ministre, est néanmoins incertaine. Si rien ne l’y oblige, des rumeurs sorties dans la presse avancent que si le RN obtient au moins 260 sièges, voire même 240 sièges, Macron proposerait à Bardella de former un gouvernement avec une majorité relative. Sa survie ne serait pas assurée pour autant, puisqu’elle serait dépendante d’alliances avec d’autres forces politiques et d’éventuelles motions de censure.

Relativisant les propos de Bardella sur la nécessité d’une majorité absolue pour gouverner, Marine Le Pen a fait savoir qu’il faudrait au moins 270 sièges pour que la coalition du RN et d’Eric Ciotti accepte le poste de premier ministre. Pour autant, devant le risque d’apparaître comme démissionnaire face à la possibilité d’occuper le pouvoir, il est également possible que le parti lepéniste choisisse d’accepter de former un gouvernement avec une majorité relative forte, en cherchant des alliés à droite ou en s’exposant à une motion de censure. C’est ce qu’explique Anne-Charlène Bezzina, maîtresse de conférences en droit public, pour Public Sénat : « On peut imaginer que même avec 220 à 240 sièges, le RN présente quelqu’un à la tête du gouvernement, quitte à attendre une censure [...] L’idée que le système empêche le groupe majoritaire de gouverner pourrait encore imprimer dans l’opinion ».

Les Républicains sont parfaitement conscients de la possibilité de tentatives de débauchages dans un tel scénario. Julien Aubert, l’ancien député LR, proche des positions de Ciotti depuis plusieurs années, a par exemple clairement ouvert la porte à une alliance avec le RN expliquant que : « la droite devrait assumer » en cas de victoire de Bardella, à condition d’obtenir des gages supplémentaires sur le terrain économique. Dans la même veine, le tête de liste aux européennes François-Xavier Bellamy est au cœur des rumeurs de débauchage, qu’il nuance timidement, exprimant ces doutes sur une « promesse de l’union des droites au moment où Marine Le Pen affirme que le RN n’est pas de droite ». Reste à voir si des secteurs significatifs de l’appareil pourraient faire ce pas, alors qu’une grande partie d’entre eux pourrait devoir leur réélection au « front républicain », à l’image de Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes proche de la ligne d’Eric Ciotti jusqu’à peu, et que d’autres personnalités comme Jean-François Coppé appellent à l’inverse à se rapprocher de Darmanin et Philippe pour reconstruire la droite. Quoi qu’il en soit, l’alliance ou non avec les LR sera déterminante pour l’accession de Bardella à Matignon.

L’idée d’un gouvernement de grande coalition de Tondelier à Bertrand

Face au danger de crise politique majeure en cas d’impossibilité à former un gouvernement pour le RN, les défenseurs du régime ont agité ces derniers jours l’idée d’une coalition hétéroclite allant du centre-gauche PS-EELV à Horizons, voire du PCF aux LR. Une perspective défendue en premier lieu par le duo Macron-Attal, qui évoquent depuis le début de la semaine la possibilité d’une « Assemblée plurielle » qui donnerait lieu à un gouvernement de coalition dans la continuité du « front républicain ».

L’idée séduit ces derniers jours des personnalités de la gauche, à l’image du député PCF Sébastien Jumel, du député PS Philippe Brun ou de François Hollande. De son côté, Marine Tondelier est loin de fermer la porte à une telle éventualité, de même que le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand. Une perspective qui pose cependant la question du programme sur lequel pourrait s’accorder une coalition aussi baroque, qui devrait obtenir le soutien d’un arc allant potentiellement de LFI à LR.

Ce vendredi matin sur France Info, Xavier Bertrand a évoqué pêle-mêle des axes tels que : autorité, sécurité, défense de la « démocratie parlementaire », changement de « manière de gouverner » avec davantage de consensus, notamment autour d’un thème central, le pouvoir d’achat « par le travail ». Dans le même sens, dans l’émission L’Événement sur France 2 jeudi soir, le Premier ministre Gabriel Attal expliquait être prêt à négocier les contours de l’assurance-chômage, dont le décret d’application a été suspendu au lendemain des résultats du premier tour, tout en refusant clairement de toucher à la réforme des retraites.

Vers une période d’instabilité prolongée ?

En l’absence de majorité relative à gauche ou à l’extrême-droite qui débouche sur un accord permettant de former un gouvernement viable, on pourrait faire face à une situation d’ingouvernabilité, ou des gouvernements se formeraient à la demande d’Emmanuel Macron, avant d’être renversés. Comme le note France Info : « On peut avoir une situation de blocage où on essaierait un gouvernement qui serait rapidement renversé avec une motion de censure » votée par 289 députés, explique à franceinfo Fleur Jourdan, avocate en droit public. « Cette situation pourrait se répéter a minima jusqu’à juillet 2025, car une nouvelle dissolution ne peut pas intervenir dans l’année qui suit la précédente, selon l’article 12 de la Constitution. » [1]

Face à ce scénario, l’idée d’un « gouvernement technique », formé « d’experts » et autres technocrates situés en dehors des partis, a été formulée ces derniers jours comme hypothèse, par exemple par le constitutionnaliste Benjamin Morel. « L’idée c’est que les partis ne participent pas au gouvernement parce qu’ils ne veulent pas être responsables de la politique menée. Ça permet de gagner 1 an jusqu’à une prochaine dissolution, avec des partis qui acceptent de rendre le parti gouvernable en ne votant pas de motion de censure » a-t-il expliqué sur LCI. Un tel scénario par exemple avait vu le jour en Belgique pendant la crise du Covid tandis que l’Italie a connu quatre gouvernements de ce type depuis la Seconde Guerre mondiale, le dernier en date étant celui de l’ancien président de la BCE, Mario Draghi, de février 2021 à octobre 2023.

Cette perspective, dans une situation aussi instable que celle que nous connaissons, avec la pression austéritaire et la guerre en Ukraine, paraît difficile à tenir, la politique risquant de reprendre rapidement ses droits sur la prétendue « technique » qui, en tout état de cause, serait au service de la continuité des plans des classes dominantes. Un autre scénario impliquerait la démission d’Emmanuel Macron. Si le président de la République a écarté cette hypothèse, le degré de crise qui s’annonce implique de la prendre au sérieux. Cependant, comme le note Vincent Martigny, professeur de sciences politiques à Polytechnique, dans un entretien pour le Nouvel Obs« cette hypothèse ne résoudrait pas forcément la crise. En admettant qu’un nouveau président soit élu, il devra faire avec l’Assemblée sortie des urnes le 7 juillet, et il ne disposera pas plus d’une majorité absolue qu’Emmanuel Macron »

La situation serait d’autant plus complexe que la question de savoir si un président nouvellement élu pourrait dissoudre à son tour l’Assemblée nationale, moins d’un an après une précédente dissolution, fait débat.

[1A propos des aspects « techniques » de ce scénario, Les Echos synthétisent : « La nouvelle Assemblée nationale se réunira a priori en session extraordinaire le 18 juillet, soit le deuxième jeudi après le scrutin, conformément à la Constitution. Lors de cette séance, les parlementaires pourraient tenter de renverser le nouveau gouvernement - s’il est nommé à ce moment-là - par une motion de censure offensive (article 49-2), qui doit être demandée par 1/10 des députés, et votée par 290 voix. Si le gouvernement est renversé, Emmanuel Macron devra alors proposer un nouveau Premier ministre à la chambre basse du Parlement. « Un seul gouvernement est tombé sous la Ve République, celui du Général de Gaulle en 1962 », note le spécialiste.

Néanmoins, cette situation ne peut se répéter à l’infini : chaque député peut signer une seule motion de censure en session extraordinaire, contre trois en session ordinaire (d’octobre à juin). « Normalement, une session extraordinaire est destinée à nommer les organes internes de la chambre (groupes, bureau, président et vice président…). Mais dans le cas présent, elle semble trop courte pour faire voter une loi. Il y aurait alors la possibilité d’une demande de session extraordinaire début septembre », détaille Christophe Golfier. Et à la rentrée du mois d’octobre, en session ordinaire, le gouvernement devra s’attaquer à la loi de finance. S’il utilise le 49-3, comme Elisabeth Borne à maintes reprises l’année passée, les parlementaires pourront alors multiplier les motions de censure en réaction. Cette période législative pourrait devenir un véritable exercice d’équilibriste si aucune majorité absolue ne se dégage. »

Révolution Permanente

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