dimanche 11 août 2024

L'Express et la haine de classe

Antoine Manessis

Les délires que provoque la situation politique au Venezuela pourraient faire l'objet d'un livre, voire plusieurs livres.

La droite porte une attention particulière et une haine incommensurable à la révolution bolivarienne, c'est-à-dire au processus que connait le pays latino-américain depuis que Hugo Chavez a été élu président de la République en 1998.

L'hebdomadaire L'Express est un des porte-voix du capital français et des droites françaises. Le propriétaire du journal est Alain Weill, un homme d'affaire milliardaire (fortune estimée par Challenge à  275 millions d'euros). 

Logiquement, par nature de classe, L'Express n'aime pas la gauche. C'est son droit. Comme Michel Audiard le faisait dire à Jean Gabin dans le film Le Président: "Il existe des patrons de gauche, je tiens à vous l'apprendre ! Il existe aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre !" Et Alain Weill n'en n'est pas un. Ce qui fait que son directeur de la rédaction, Erice Chol a publié le 6 août un article violemment hostile au président vénézuélien Nicolas Maduro et à... Jean-Luc Mélenchon. Avouez que vous eussiez été déçu si Mélenchon n'était pas dans le coup.

C'est que Mélenchon est multinational : Palestinien (tendance Hamas), Marocain (il y est né, ce qui est suspect), Russe (tendance Poutine), Brésilien (tendance Lula), Corse et Basque (tendance indépendantiste) et sans doute un peu Français (tendance Gaulois réfractaire).

Mais revenons aux propos de Chol :

"Le militaire (Chavez) sera finalement élu président en 1998, déclenchant l’ère chaviste, dernière étape avant la chute du pays. C’est l’époque où tout ce qui reste de communistes et d’anti-impérialistes dans le monde, du continent sud-américain à la Corée du Nord en passant par la Chine et l’Iran, rend grâce au nouveau Lider maximo des Caraïbes."

Alors cher Chol, vous nous en apprenez de belles ! Chavez est un dictateur élu mais surtout réélu et qui fut victime d'un coup d'Etat organisé par le Medef vénézuélien et la CIA. C'est donc son peuple qui a voulu cette "ère chaviste". Il faut dire que "la chute du pays" dont vous parlez a consisté à ce que le sort des pauvres, des prolétaires, comme disent "tout ce qui reste de communistes", des misérables, comme disait le nord-coréen Victor Hugo, vivent mieux. Plus de santé, plus d'école, plus de culture, plus d'indépendance, plus de dignité. Donc plus de liberté.

Autre détail : être "anti-impérialiste" semble, sous votre plume, un grave défaut. Pourtant Macron, votre maître après Weill, a dénoncé "l'impérialisme russe". Peut-être qu'il y a impérialisme et impérialisme...

Autre détail : l'Iran n'est pas communiste. Le régime de Mollahs, vous devriez lui en être gré, a massacré beaucoup, beaucoup des centaines, des milliers de communistes ? Alors ne confondez par les relatons d'Etat à Etat, qui ne sont animés que par les intérêts de ceux qui les dirigent, et l'idéologie qui les animent. Ca vous éviterait de passer pour un con.

Enfin minuscule détail : "Lider Maximo" est une invention des médias comme le vôtre, jamais personne n'a appelé Fidel Castro pas plus que Chavez du titre de Lider Maximo. Un minimum de culture ne fait pas de mal, même si nous pensons qu'à ce sujet vous partagez la même opinion que Baldur von Schirach.

Mais vous ne vous arrêtez pas là. "Mélenchon et ses sbires ne parlent pas. De la démocratie bafouée, de la récente élection présidentielle volée par le clan Maduro, de la répression policière, pas un mot." Vous avez la mémoire courte cher Chol. Vous nous avez déjà fait le coup avec le voyou Juan Guaido que vous aviez déjà déclaré président du Venezuela. Macron l'avait même reçu à l'Elysée. Maduro avait déjà "volé" l'élection...Et puis votre affaire a fait pschitt. Et voilà que ça recommence. Pourtant Maduro réélu avec 52% des voix ça fait pas score soviétique, à peine macroniste. Laissons la Colombie, le Brésil et le Mexique vérifier de façon impartiale des résultats comme ces pays l'ont proposé. 

Mais en fait ce ne sont pas les éventuelles tricheries qui vous gênent, ni la supposée dictature : elle ne vous gêne pas en Egypte, en Arabie Saoudite et partout où les dictateurs servent le capital, les riches. Ce qui vous gêne ce sont les gauches. Des gauches pourtant timides, en rien révolutionnaires, en rien communistes, non juste des types qui essayent de servir leur pays et leur peuple. Pas toujours parfait le résultat, discutable, contestable même. Mais tenter de faire passer la droite vénézuélienne qui le jumeau de Javier Milei, pour des démocrates qui vont mener une grand politique sociale, vous repasserez.

Vous nous dites aussi : "Prenez la Corée du Sud, dont le revenu par habitant égalait celui du Venezuela en 1989. Depuis, la jeune démocratie asiatique, pariant sur les règles du capitalisme, s’est transformée en un modèle incontestable de réussite". À notre connaissance la Corée du Sud comme modèle démocratique, c'est gonflé ! Une dictature militaire sanglante et violente jusqu'à peu. Et depuis que les choses se sont un peu arrangées, demandez aux ouvrières et aux ouvriers de Samsung si leur vie est "une incontestable réussite". Demandez ce qu'il advient au "Pays de matin calme" du syndicaliste qui ose s'opposer au patron ? En 1980 encore la police de votre modèle assassinait des milliers d'ouvriers et d'étudiants. C'est seulement en 1997 qu'on peut parler l'alternance démocratique.

Quant à l'économie, peut-être que l'aide massive étasunienne fait plus et mieux que le véritable blocus des mêmes Etats-Unis auquel est soumis le Venezuela et Cuba aussi, d'ailleurs.

Et voici votre conclusion : "On vit mieux au pays du Matin calme que dans la dictature née des grands soirs révolutionnaires. Mais peut-être Jean-Luc Mélenchon préfère-t-il le mirage de la Corée du Nord ?Là, on atteint quand même au sommet de la stupidité haineuse dont la classe possédante est capable. Savez-vous cher Chol qu'on vit mieux à Paris qu'à Kinshasa qui pourtant n'est pas "une dictature née des grands soirs révolutionnaires" mais de vôtre merveilleux capitalisme qui plonge les peuples du monde dans une horreur sans fin. 

Que Mélenchon veuille instaurer un régime comme celui de Corée du Nord, pensez-vous vos lecteurs, même vieux, bourgeois et riches assez idiots pour croire des ânerie pareilles ? Rien que cette conclusion, la vôtre, délégitime toute votre prose pathétique.

Cela étant il y aurait beaucoup de choses à dire et critiquer au Venezuela. Peut-être que l'une de ces choses serait que la rupture avec le capitalisme n'est pas suffisante...mais cela est une autre histoire et ce n'est pas avec vous que nous pourrions y réfléchir avec un peu d'intelligence et d'honnêteté. Vous êtes dépourvus de l'une comme de l'autre.

Antoine Manessis 

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