mardi 22 février 2011

Haïti : Pourquoi vos dons n’ont pas fait la différence ?

Rachida Bouganzir

Le 12 janvier 2010, un séisme de magnitude 7 a provoqué la mort de 240.000 personnes et a laissé des millions de sans-abris en Haïti. Un an après, la reconstruction est loin d’être terminée et l'épidémie de choléra constitue un malheur supplémentaire. Pourquoi l'aide internationale ne porte-t-elle pas ses fruits ?

L’année dernière, vous avez été nombreux à lire notre interview sur le rôle des ONG en Haïti. Nous sommes retournés voir Jean Lavalasse, photographe et documentariste haïtien. Il nous dresse un bilan décevant de l’aide internationale. L’île est toujours sous les ruines un an après le séisme. L’épidémie de choléra continue à faire des ravages. Les récentes élections tombent à point pour certains…et le coup final : le retour malvenu au pays de Bébé Doc.

Quelle est la situation un an après le séisme (12/01/2010) ?

On peut en fait dresser deux bilans : négatif et positif. Le premier bilan est extrêmement positif car il a permis à la population haïtienne et au monde entier de comprendre combien l’impérialisme est méchant. Les Haïtiens ont gagné en maturité politique et ont appris la nécessité de s’en sortir par eux-mêmes.

Le deuxième bilan est tout à fait négatif : l’espoir suscité par l’aide et les dons est perdu.

L’aide internationale n’est pas arrivée ?

Les aides devaient soi-disant arriver en Haïti. Au moment où nous parlons, rien n’a été fait. Pourtant, en février 2010, soit un mois après le séisme, toutes les télévisions du monde avaient dressé une liste des besoins sur place. Cette aide devait secourir en priorité les personnes qui s’étaient retrouvées à la rue. Jusqu’à aujourd’hui, tous les déplacés sont encore là.

Le seul effort réellement consenti est l’annulation de la dette d’Haïti envers la France. Mais il ne faut pas oublier que la France a également une dette envers Haïti : la dette d’indépendance[1]. Il s’agit d’une compensation (l’équivalent de 17 milliards d’euros) qu’Haïti a dû verser à la France entre 1825 et 1954 pour la libération de ses esclaves !

En 2004, le président Jean-Bertrand Aristide a demandé à la France de reverser à Haïti le montant de cette dette odieuse. Le ministre français des Affaires étrangères, Dominique De Villepin, a alors envoyé une mission dirigée par Régis Debray, connu pour son implication dans l’assassinat du Che. L’objectif de cette mission était de faire tomber Aristide.

Vous dites que l’aide internationale n’a pas pointé le bout de son nez mais de nombreux médecins cubains et vénézuéliens étaient présents…

Tout à fait, ils ont fait un travail remarquable. Beaucoup de médecins US amputaient des bras et des jambes. Ils sont responsables d’un nombre important d’handicapés. Par contre, les médecins cubains, vénézuéliens et chinois ont été très efficaces.

Les médias occidentaux n’ont pas beaucoup relayé cette information mais le peuple haïtien en parle tous les jours ! L’action des médecins est très appréciée. Ils vivent dans la boue si nécessaire, travaillent en symbiose et avec les moyens du bord… Et malgré leur emploi du temps très chargé, Fidel Castro et Hugo Chavez commentent tous les mois l’évolution de la situation dans la région.

Un article est paru récemment sur le travail de Chavez sur l’île. Un journaliste local l’a titré : « Une Nouvelle Haïti est possible ! »[2]

De quelle manière les Cubains se discernent-ils des autres médecins internationaux ?

Les Cubains ne sont pas des étrangers. Ils sont là depuis longtemps. C’est Aristide qui a posé les jalons de ce partenariat. Les médecins et agronomes cubains travaillaient avec les paysans haïtiens bien avant le séisme.

Les Cubains se sont toujours montrés pédagogues, à l’inverse des humanitaires occidentaux. Ils expliquent les choses aux Haïtiens en tant que partenaires et non pas de manière paternaliste.

Quelle est la situation des Haïtiens déplacés ?

La situation des déplacés est extrêmement compliquée. Certains ont volontairement rejoint leur famille à la campagne. D’autres ont été forcés par le gouvernement sous prétexte qu’il voulait nettoyer les décombres. En réalité, les autorités en ont profité pour faire main basse sur des terrains de la capitale.

Ensuite, de nombreux Haïtiens sont revenus à Port-au-Prince croyant que la reconstruction avait bien avancé. Ce n’était en fait que des rumeurs propagées par le gouvernement lui-même. Tous ces déplacements ont fait gagner beaucoup d’argent aux ONG, dans la mesure où les aides ne transitent pas par le gouvernement.
Sans compter que ces déplacements alimentent également la propagation du choléra !

Les médecins sont-ils parvenus à limiter l’épidémie qui s’est déclarée suite au désastre du tremblement de terre ?

Dans certains endroits, ils ont colmaté les brèches, dans d’autres, ils sont parvenus à stopper l’épidémie. Mais le choléra a atteint la région du Sud du pays, ce qui veut dire qu’il s’est propagé à 200 voire 300 km de Port-au-Prince.

Le rôle des ONG a été souvent remis en cause, entre autres, par Peter Hallward (auteur du livre : Damming the Flood : Haïti, Aristide, and the Politics of Containment)[3] qui les surnomme lesOAG (organisations d’un autre gouvernement). Qu’en pensez-vous ?

(rires) Je suis d’accord et je vais même plus loin. George Soros, riche homme d’affaires britannique connu pour manipuler les ONG, avait mis la main sur Mme Pierre Louis (ministre sous le gouvernement de Préval). Mme Pierre Louis est responsable de la Fondation FOCAL (Fondation canadienne pour les Amériques) et c’est à travers FOCAL que les Américains, Canadiens et Français financent l’élite corrompue.

Les ONG se sont infiltrées dans tous les secteurs en Haïti et ce, depuis des années. Elles ont détruit la vivacité des Haïtiens et les ont poussés à la mendicité. En dessous du gouvernement central, c’est le gouvernement des ONG qui dirige.
Le problème clef, c’est que les ONG ont toujours voulu diriger Haïti et ce, par tous les moyens.
Les ONG sont là pour inverser la vapeur dans n’importe quelle situation. Le pouvoir d’Aristide a basculé à cause, entre autres, des ONG. Elles sont devenues des moteurs de contre-révolution.

En effet, il y a aujourd’hui plus d’ONG présentes en Haïti qu’en Inde !

Encore plus grave, tous les dirigeants politiques haïtiens sont devenus des consultants d’ONG ! Dans un article, le journaliste haïtien Pipo Saint-Louis, écrit : « Les partis politiques mangent et boivent dans les mains des impérialistes par les ONG »[4].

C’est pourquoi les dirigeants politiques n’osent pas élever la voix contre ce qui se passe. Certains sont obligés de se plier car ils ne peuvent faire vivre leurs partis sans le financement des impérialistes à travers les ONG.

Les États-Unis avaient soutenu un projet de reconstruction. Quel en est le résultat aujourd’hui?

En mars 2010, les États-Unis et la grande bourgeoise haïtienne se sont réunis pour discuter de la reconstruction d’Haïti. Cette réunion était présidée par Bush sr et Bill Clinton. On y a mis sur pied la CIRH (Commission Intérimaire de Reconstruction d’Haïti)[5] et décidé que des élections devaient être organisées rapidement et par tous les moyens. Les élections étaient le but final pour que « le blanc » soit sur place pour maintenir une continuité, avec ou sans Préval.

Aucune reconstruction n’a dès lors été réellement envisagée avant la mise en place « d’une démocratie » en Haïti. Le plan existe mais rien n’a été reconstruit ! Cependant, les firmes françaises, américaines et canadiennes ont déjà conclu des contrats avec des firmes de la bourgeoisie haïtienne.

En fait, le gouvernement de René Préval a arrêté d’exister à partir du 12 janvier 2010. C’est la communauté internationale qui décide depuis. D’ailleurs, Préval a remis les clefs de l’aéroport international aux Étatsuniens juste après le séisme !

Le gouvernement en place va mettre en œuvre les diktats de l’IFAC[6] : les Impérialismes Français, Américains et Canadiens.

À l’arrivée de Bill Clinton en Haïti (dans le cadre de la CIRH), les Haïtiens ont compris que les impérialistes menaient la danse. Lorsque Clinton s’est joint à Bush sr, les Haïtiens ont bien vu que les démocrates comme les conservateurs défendaient toujours leurs intérêts avant tout. Démocrates, conservateurs : c’est du pareil au même !

Tout est donc en place, non pas pour la reconstruction d’Haïti, mais pour la reconstruction des impérialistes en accord avec la bourgeoisie haïtienne !

Des élections ont eu lieu le 28 novembre dernier. Était-il opportun d’organiser un scrutin dans le chaos de la reconstruction ? La participation a en effet été très faible, et les fraudes très importantes…

Xavier Lambrechts, journaliste de TV5, a posé la question suivante à Préval : « Pensez-vous que les élections auront lieu malgré les situations de choléra et de gens déplacés ? » Il a répondu : « Moi je ne sais rien. Je ne suis pas un spécialiste des élections. C’est Ban Ki-moon (Secrétaire général des Nations-Unies) qui a dit qu’elles auront lieu donc je mettrai tout en œuvre pour ces élections ».

Une fois de plus, Préval remettait le sort des Haïtiens entre les mains des occupants.

Il faut savoir que les élections ont été monnayées, arrangées et dictées par les impérialistes. Tous les partis politiques participants ont reçu de l’argent des occupants. Dans leur programme, la question de la MINUSTAH apparaît au point 3 alors que le peuple haïtien réclame le départ de la MINUSTAH et de Préval avant tout.

Peut-on réellement attendre de ce scrutin une amélioration de la situation de l’île et un renforcement du pouvoir politique ?

L’OEA (l’Organisation des Etats Américains) va bientôt donner les résultats des élections du 28 novembre 2010.

Préval a été poussé à annoncer l’identité de son dauphin. Il s’agit de Jude Célestin. Selon les puissances étrangères présentes, il suffisait que Jude Célestin soit élu pour que soit mise en place la reconstruction d’Haïti. Jude Célestin était l’homme providentiel de l’impérialisme US. Il semblait au départ que Célestin était en course avec le chanteur populaire, Michel Martelly. Mais Célestin a été récemment écarté. Certains affirment qu’il a été désapprouvé par le peuple. Mais en réalité, c'est l'entièreté du processus électoral qui a été rejeté par les Haïtiens !

Michel Martelly, n’ayant pas posé de programme, est difficilement envisageable comme président de la République. Il espère gagner son électorat en mettant en avant son milieu d’origine modeste.

Mirlande Manigat (du parti libéral) est prête à prendre la relève au cas où Jude Célestin échoue. Derrière elle, il y a l’élite intellectuelle, financée par la France. Pour la petite anecdote : récemment, Frédéric Mitterrand est allé à Haïti pour décorer un de ces intellectuels, Lyonel Trouillot. Ce dernier a travaillé aux côtés de Régis Debray pour destituer Aristide…

Les trois candidats sont donc des pantins de l’impérialisme. Les Haïtiens n’attendent rien de ce scrutin. Ils sont d’ailleurs contre les élections.

Par ailleurs, il est prévu que Préval reste jusqu’au 14 mai 2011 s’il n’y a pas de résultats d’ici là. On aurait proposé que le président parte le 7 février (comme annoncé antérieurement) et qu’un gouvernement provisoire soit mis en place. Cette proposition a bien évidemment été rejetée par la communauté internationale car l’élection de quelqu’un qui mettra en place le plan des impérialistes est une priorité.

Existe-t-il une culture politique et démocratique au sein de la population haïtienne ? Les Haïtiens croient-ils encore en la démocratie ?

Les Haïtiens croient fermement qu’il est possible de s’en sortir malgré les 25 ans passés. On y croit sans l’aide internationale car celle-ci dicte ses lois. Plusieurs mouvements clandestins travaillent au sein de la population pour élever le niveau de conscience des gens. Si cette conscience n’existait pas, Haïti aurait déjà son étoile sur le drapeau américain !

Mais malheureusement, il y a aussi des petits groupes qui sapent ce travail. Il s’agit de groupes dont les dirigeants reçoivent de l’argent et des mots d’ordre de l’extérieur. Par exemple, le Front Révolutionnaire Armé pour le Progrès d’Haïti (FRAPH) se présentait comme un mouvement nationaliste mais c’était en fait une création de l’impérialisme US. Son responsable, Toto Constant, était un agent de la CIA.

À côté de cela, certains mouvements luttent pour l’indépendance du peuple haïtien et font un travail de conscientisation. La ligue anti-impérialiste notamment, un mouvement clandestin de résistance qui fait du bon travail mais qui n’est pas connu de tous. Un exemple du travail qu'il faut faire pour éveiller les conscience : les Haïtiens ont longtemps pensé que c’étaient les Népalais qui avaient apporté le choléra en Haïti. Dans les manifestations, les slogans étaient dirigés contre les Népalais. Grâce à un travail de conscientisation idéologique et politique, les Haïtiens ont compris que c’était la MINUSTAH qui était responsable de l’éclatement de la maladie et du grand nombre de morts par manque de soins. Les slogans sont alors passés de : « Àbas les Népalais ! » à « ÀA bas la MINUSTAH ! ».

Les Haïtiens forment une population analphabète mais qui n’est pas bête !

Nous avons un message sage à transmettre à nos amis les Tunisiens :

« Faites attention aux rôles sous-marins des impérialistes français et américains et aux ONG déjà sur place. Souvenez-vous de la révolte des Sandinistes… »

Avec notre histoire, nous savons maintenant comment les gens prennent le pouvoir et où sont les opportunistes

L’ex dictateur JC (Bébé Doc) Duvalier est de retour en Haïti après 25 ans d’exil en France. Quelles ont été les circonstances de son retour ? Est-il le bienvenu ? S’il ne l’est pas, alors comment expliquer la relative passivité du peuple haïtien à l’égard de ce retour ?

En Haïti, il y a eu 2 séismes : le séisme naturel et celui du retour de Duvalier !

La communauté internationale et le gouvernement actuel ont provoqué le retour de JC Duvalier pour occulter le problème des élections.

En effet, JC Duvalier, ayant dilapidé une partie de la fortune volée au peuple haïtien, devait se rendre en Haïti pour récupérer 6 millions d’euros dormants dans une banque suisse. La condition sine qua non de la banque pour que Duvalier ait accès à cette somme était de se montrer en Haïti. D’une pierre deux coups : JC Duvalier récupérait cet argent et formait un nuage de fumée pour détourner l’attention des élections frauduleuses.

Il a été arrêté depuis par le gouvernement haïtien, de concert bien évidemment avec la France et les États-Unis. Cette condamnation est aussi un nuage de fumée. Depuis les Tontons Macoutes ont réapparu… et on a commencé à comparer Aristide à Duvalier. Ils ne sont pas comparables !

Aristide a commis beaucoup d’erreurs mais on est loin de la dictature de la famille Duvalier qui a régné en maître pendant 29 ans avec les Tontons Macoutes, milice paramilitaire extrêmement violente sous les ordres de Papa Doc.

Duvalier n’est évidemment pas le bienvenu ! On prétend que les Haïtiens ne sont pas offusqués par ce retour. C’est faux ! De nombreuses organisations qui militent en Haïti disent : « D’abord Préval, Célestin et les occupants et ensuite, on s’occupera de Duvalier ».

Les jeunes qui ont applaudi Duvalier à l’aéroport ont 25 ans. Ils ne savent pas qui est Duvalier. La faute est à la gauche haïtienne qui aurait dû éduquer sur les pages noires de l’histoire d’Haïti. Il faut continuer à informer et à élever le niveau de conscience du peuple haïtien. Pour se souvenir de ces pages noires, il aurait fallu, par exemple, conserver la prison Fort Dimanche qui a servi de prison politique sous la dictature de François Duvalier.

Lorsque Duvalier est parti, on a dit que c’était fini. Ce n’était pas fini !

La France a permis à Duvalier de rentrer pour nous humilier jusqu’au bout. C’est quelque chose que nous ne pardonnerons jamais à l’impérialisme.

Auriez-vous un message à transmettre aux Haïtiens pour les encourager dans leur combat contre l’ingérence des puissances étrangères ?

Un proverbe haïtien dit : « Celui qui vous donne à manger contrôle votre cerveau ».

Aujourd’hui nous sommes à un carrefour. Haïti s’en sortira par tous les moyens et retrouvera sa souveraineté. Pour cela, nous devons créer un mouvement capable d’élever le niveau de conscience de la population et capable de prendre le pouvoir. Sans cette prise de pouvoir, il n’y a pas de changements possibles. Nous n’avons pas besoin d’aide extérieure. Des forces en Haïti, il y en a ! C’est à nous de travailler pour former un front, déterminer cette force et prendre le pouvoir. Ainsi seulement, Haïti sera libéré.

Certains diront que ce n’est pas pour demain. Moi je dis : « Cela se fait au quotidien. Donc c’est pour aujourd’hui ! »

(envoyer par mail 17 février 2011)


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