Danielle Bleitrach
Des manifestations ont été durement réprimées lundi par le pouvoir iranien , qui craint la contagion égyptienne. Il y a eu un mort. Pourtant pour le moment tout laisse à penser qu’il n’y aura pas de contagion en Iran pour au moins trois raisons, l’armée fait bloc autour du pouvoir, les classes prolétariennes ne sont pas dans le mouvement qui reste urbain et aisé, et enfin surtout la peur de l’invasion, qu’elle soit israélienne ou nord-américaine, créé un reflexe patriotique. Une personne a été tuée et il y a eu des blessés des deux côtés.
Les événements
Hier lundi, rassemblés en petits groupes, mobilisés sans doute par internet, les contestataires iraniens ont adopté une stratégie urbaine pour se faufiler et contourner l’important déploiement de police et de miliciens du régime. Selon des sources provenant d’Iran par les journalistes occidentaux, ils étaient plusieurs milliers à pied ou en voiture, en train de se déplacer de la place Imam Hossein à la place Azadi (Liberté), dans l’ouest de la capitale. Des jeunes, masqués, essayant d’éviter d’être reconnus par les forces policières qui en Iran ne font pas dans la dentelle, criaient . «Mort au dictateur !» ou encore «Libérez les prisonniers politiques !», enregistrés par les portables ces scènes ont été transmises aux journeaux occidentaux. Des témoignages affirment également que les slogans étaient inspirés de ce qui vient de se passer dans le monde arabe comme «Moubarak ! Ben Ali ! Nobaté Seyed Ali !» («Moubarak ! Ben Ali ! Au tour de Seyed Ali» – en référence à Ali Khamenei, le guide suprême).
Le mouvement reste urbain, il a concerné des villes de province – Ispahan, Tabriz, Kermanchah – mais avec une moindre importance qu’à Téhéran. La réponse a été musclée, et les forces de l’ordre ont chargé, envoyé des gaz lacrymogènes pendant que les manifestants brulaient des bennes à ordure.
Officiellement, la manifestation, avait été lancée à l’initiative des deux principaux leaders de l’opposition, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, et elle avait pour objectif de «soutenir la lutte des peuples égyptien et tunisien» contre la «dictature», en prétendant appuyer les discours anti-Moubarak du pouvoir iranien. Mais le pouvoir ne s’est pas trompé sur les buts réels de la manifestation et a voulu étouffer la révolte dans l’oeuf.
Lundi, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi ont même été empêchés de sortir de chez eux par des agents en civil. Craignant une contagion venant d’Égypte, les autorités avaient fait couper leurs lignes téléphoniques.
L’onde de choc ? Brève tentative d’analyse
Les mouvement qui avaient secoué l’Iran en 2009 ont repris . Si on peut considérer que ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie et en Égypte est l’onde de choc de ce qui s’est passé en Iran en 2009, le mouvement de départ a tenté de renaître en Iran et ce malgré une terrible répression, de nombreux étudiants ont été expulsés de l’Université étroitement surveillée, les prisons sont pleines de manifestants dont certains ont été condamnés à de lourdes peines de prison, voire à la pendaison. Donc la renaissance dans de telles conditions d’un mouvement aussi durement réprimé il y a peu témoigne de la détermination de ceux qui se rassemblent, en gros ici comme ailleurs la jeunesse.
Une tradition iranienne veut que tout mouvement populaire parte du Bazar, c’est-à-dire les couches urbaines relativement aisées, est-ce que l’Université dans un pays où la jeunesse a été massivement scolarisée et où en particulier il y a autant de femmes que d’hommes comme étudiants, peut prendre le relais du Bazar ?
Le principal obstacle à une révolte de l’Iran, et qui favorise cette répression, est le fait que les couches populaires restent dans l’expectative parce que joue le reflexe patriotique. Le président iranien qui a lui-même une dimension messianique assez exaltée, et qui est, quoiqu’en pensent certains alter-mondialistes, un fasciste mystique, exaspère le patriotisme et la religiosité des masses en jouant sur le fait bien réel que l’Iran est assiégé par les occidentaux, les Étasuniens, Israël et l’Europe. Les sanctions ont été insuffisantes pour faire plier l’Iran mais elles ont créé l’unité du peuple, malgré le fait que le régime des mollahs est aussi pilleur, corrompu et surtout dictatorial que ceux de la Tunisie et de l’Égypte.
Mais ces pays ne se sentaient pas assiégés. L’occident mesure mal ce qu’est un peuple en particulier comme le peuple iranien, issu d’une vieille civilisation, et qui depuis le siècle dernier doit lutter contre l’impérialisme. Combien ce peuple a souvent pour unique richesse le patriotisme, et le fait que sans ce peuple aucune révolution « démocratique » n’aura lieu.
Ce qui s’est passé en Irak, en Afghanistan, et que l’Iran contemple aux premières loges est la démonstration que toute intervention de l’Occident non seulement n’améliore pas la situation des peuples, mais la dégrade encore, et aucun peuple (comme le disait Robespierre) n’aime les missionnaires (se prétendent-ils de la démocratie) casqués et bottés. Si les peuples en font le constat, peut-être Obama est-il parvenu à l’idée qu’ils n’ont plus les moyens de l’invasion.
Il est évident que les révoltes populaires n’ont pu se déployer en Égypte et en Tunisie que parce qu’il y a eu soutien de l’occident, des États-Unis en particulier qui continuent à jouer, non sans quelque succès, une solution à la Turque, une alliance de l’armée avec la bourgeoisie islamiste. Un nouveau modèle politique porté par les réussites commerciales et financières des hommes d’affaire turcs qui sont en train de reconstituer l’empire Ottaman autour de la méditerranée alors même que l’Iran est économiquement affaibli par les sanctions. De surcroît, si on excepte le cas de Barhein, la plupart de ces révoltes populaires ont bien marqué qu’elles ne voulaient ni des Mollahs, ni d’Al qaida, et donc les espoirs de s’imposer comme leaders révolutionnaires aux masses musulmanes de la part de l’Iran sont battues en brèche.
Ce qui confirme aux yeux des Iraniens qu’il y a une tentative de recomposition du Moyen Orient à laquelle les nord- américains ne sont pas étranger, mais qui n’a paradoxalement de chance de réussir que si les pays concernés sont pris dans une dynamique de classe qui divise l’armée elle-même. Et à partir de ce moment, toutes les tentatives impérialistes pour manipuler la révolte des masses se heurte à leur exigence, et tous les « complots », toutes les formes d’alliances de couloir, risquent de voler en éclat pour aboutir à ce qu’on appelle une Révolution.
La question est donc bien ce que veut le peuple iranien. Et ce sont surtout des jeunes étudiants, qui sont en Iran mobilisés et exigent liberté et démocratie, à partir non seulement des réseaux internet mais de la chaîne BBC, britannique en persan qui est très écoutée par la jeunesse estudiantine. Elle a été brouillée cette semaine.
Si ce qui s’est passé hier prouve qu’une partie de la jeunesse iranienne est prête à affronter la répression, ici comme en Algérie l’extension du mouvement dépend donc moins de la capacité du régime à organiser la répression, à empêcher toute manifestation, mais de la capacité d’extension aux couches populaires. En Iran de surcroît il y a le fait essentiel que le pays se sent sous la menace occidentale.
Le rôle décisif de l’armée doit être analysé à la fois comme celui d’un appareil contrôlant plus ou moins le pays, mais aussi par rapport aux masses populaires et à leur volonté ou non de participer à un tel mouvement.
Danielle Bleitrach -16/2/2011-
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