mardi 8 mars 2011

« Au secours d’un peuple frère »

Sébastien Fontenelle

Maintenant que l’Égypte s’est libérée de son tyran : son armée devrait, dit BHL dans Le Point, se porter au secours d’un « peuple » voisin, fait d’Arabes aussi, et « qui a déjà payé » le terrible tribut de milliers de morts civil(e)s.

Car en effet : « L’armée égyptienne (...) est la plus puissante du Moyen-Orient arabe ».

Elle est, même, « suréquipée grâce au flot d’aide venue, depuis des décennies, de feu [1] l’Union soviétique puis des États-Unis » (où l’on n’aima de fait rien tant que d’armer Hosni Moubarak - sans que jamais, qu’on sache, BHL ne s’émeuve qu’on supporte, chez Yankee, un si rugueux personnage [2]).

Donc : il suffirait que cette armée suréquipée de bon matos made in Texas « montre les dents », juge BHL, pour que « la soldatesque » des « tueurs » de gens du « peuple » d’à côté « se débande », et cesse enfin de confectionner du pâté d’Arabes.

Dès lors, BHL se montre catégorique (non moins qu’à son accoutumée) : « Ce geste de solidarité active, cette image d’une armée arabe volant, sous la pression de son peuple, au secours d’un peuple frère, et poussant donc un peu plus loin le bon vent de la liberté, constituerait, au passage, une avancée significative de la conscience du monde, car ce serait la première fois que le fameux “droit d’ingérence” démocratique serait exercé par un peuple non européen et achèverait d’habiter, donc, l’universalisme qui est, naturellement, et par destination, le sien ».

Très sincèrement, je suis pas du tout sûr que BHL n’ait pas, sur ce coup-là, un peu raison : moi aussi, j’en ai carrément ras le bol de la régulière tuerie de milliers de Palestinien(ne)s.

Moi non plus : je supporte plus qu’on laisse perdurer sans fin le « cauchemar » où les Palestinien(ne)s sont régulièrement « obligés », comme dit très justement BHL, de vivre « terrés dans les caves car ils savent que », non loin, des « chiens de guerre » ont « le droit, si besoin », de les massacrer.

Pour autant, je suis quand même un peu étonné, parce que, jusqu’à présent, BHL n’était pas du tout partisan que l’Égypte libère ses voisins de Palestine : j’ai plutôt la souvenance qu’il préconisait que nous indexions notre soutien aux Égyptiens émancipés « sur le respect, par eux, d’un certain nombre d’engagements », dont « l’engagement à ne pas remettre en question le traité » de paix « avec Israël », et je trouve un peu surprenant qu’il ait si rapidement revu son avis, mais bon, c’est plutôt bien, ça montre qu’il est pas figé dans ses...

Attends...

Aaattends !

Suis-je sot : j’avais pas bien lu !

C’est pas du tout les Palestiniens, qu’elle doit secourir, l’armée égyptienne : c’est « la Libye » !

Pour les Palestinien(ne)s, pardon : le gars lance pas du tout la mobilisation régionale.

C’est pas contre les raffinés combattants qui ont fait « 1.400 morts à Gaza il y a deux ans », qu’il veut ingérer du Cairote, BHL : c’est contre Kadhafi.

Un peu comme si, vue des promontoires d’où BHL dispense au monde ses leçons de vie (et de mort) : la peau d’un Arabe n’était pas de même valeur, suivant qu’elle est faite par des brutes libyennes, ou par les troupes du fin mélomane qui dans son « tout en longueur » salon joue du piano « en virtuose », durant que ses tanks broient des Palestinien(ne)s.

Notes

[1] J’aurais perso plutôt mis « feue ». Mais chacun fait comme il veut.

[2] Plus généralement : BHL n’a strictement jamais rien dit, jusqu’à ces derniers jours, contre la dictature égyptienne. Mais tout se passe désormais comme s’il ne s’était pas, sur le sujet, tenu coi depuis des années : le très (très) burlesque site où se construit jour après jour le culte halluciné de sa personnalité le portraiture en presque libérateur des populations cairotes...

Politis

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