Les chercheurs ont constaté que l’état permanent de pauvreté, le stress et d’autres facteurs environnementaux, y compris la guerre et la privation des besoins de base influaient directement sur l’intelligence d’un enfant et par conséquent sur ses perspectives de vie.
Auparavant, on croyait que l’intelligence était à 80% d’origine génétique. Ces dernières conclusions, cependant, montrent qu’au moins 50% de l’intelligence d’un individu sont effectivement déterminés par des facteurs environnementaux. Plus précisément : plus il y a de stress, plus est contrarié le développement mental. Comme l’un des chercheurs, Richard Nisbett, psychologue à l’Université du Michigan à Ann Arbor l’a déclaré : « Au cours de la Seconde Guerre mondiale certains enfants en Hollande ont commencé l’école avec retard à cause de l’occupation nazie, avec des conséquences capitales. Le QI moyen pour ces derniers enfants était de sept points inférieurs à celui des enfants qui sont arrivés à l’âge scolaire après l’occupation ».
La persécution nazie et la Seconde Guerre mondiale en Europe qui a duré de 1933 à 1945, ont affecté une génération entière d’enfants. En revanche, la dépossession par Israël et l’occupation de la Palestine dure depuis plus de six décennies. Des générations d’enfants palestiniens ont été touchés physiquement, psychologiquement et matériellement. Depuis le moment où Ariel Sharon a tout fait pour déclencher l’Intifada al-Aqsa à la fin de 2000, la répression israélienne a été la plus dure et la plus régulièrement renouvelée pour Gaza.
Selon le rapport « La bande de Gaza : une implosion humanitaire », publié par la BBC en mars 2008 disait : « En Septembre 2007, une enquête de l’UNRWA dans la bande de Gaza a révélé qu’il y avait un taux de près de 80% d’échec dans les classes des écoles de quatre à neuf, avec jusqu’à 90% de taux d’échec en mathématiques. En janvier 2008, l’UNICEF a indiqué que les écoles de Gaza avaient annulé les cours qui consommaient trop d’énergie, tels que l’informatique, les laboratoires scientifiques et les activités parascolaires ».
Le rapport ajoute : « Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue dans la bande de Gaza a fortement augmenté. Aujourd’hui 80% des familles de Gaza dépendent de l’aide humanitaire, comparativement à 63% en 2006. Cette augmentation révèle des niveaux sans précédent de pauvreté et montre l’incapacité d’une grande majorité de la population à acheter de la nourriture de base ».
La guerre, la pauvreté, le stress causé par l’insécurité financière et personnelle par le fait de vivre sous l’occupation, la pénurie constante de produits de première nécessité comme la nourriture, le manque de traitement des eaux usées, le manque d’eau et de soins médicaux, la menace constante d’une attaque par les forces armées israéliennes, toutes les contraintes de l’emprisonnement, le manque de liberté de mouvement, l’absence de droit... telles sont les réalités quotidiennes des enfants dans Gaza, les réalités qu’eux-mêmes, leurs parents et leurs grands-parents ont connu toute leur vie.
C’est le cauchemar récurrent qui est celui de Gaza.
Une vie d’enfant
À première vue, Khalil âgé de 13 ans ressemble à un quelconque jeune adolescent. Son jeune corps commence tout juste à arriver à maturité, et il est curieux, facilement distrait et un peu espiègle. Un examen plus attentif révèle cependant une absence dans son regard. En fait, si l’on ne voyait que ses yeux, on supposerait que Khalil est proche de 50 ans, pas de 13. Ce qui fait défaut, c’est ce sentiment d’invincibilité et d’optimisme permanent fréquent chez les jeunes de son âge ailleurs dans le monde. Alors que les enfants américains et européens peuvent parler du dernier groupe de rap, de leurs vacances scolaires ou de leurs dernières vantardises, Khalil hausse simplement les épaules.
« Excusez-moi, mais la guerre a effacé tous mes beaux souvenirs », dit-il quelque peu sarcastique. « La moitié de ma maison a été détruite, de sorte que je suis maintenant dans une situation que je n’avais jamais imaginée auparavant. Après des années de vie dans une grande maison, je vis maintenant dans la ville d’Al Zahra. »
La maison de Khalil a été détruite en Janvier 2009, au cours de la guerre d’agression appelée Plomb Durci, plongeant cette famille de classe moyenne dans l’errance en un seul instant. Contrairement à une catastrophe naturelle, il n’y avait venant du monde extérieur, ni fonds d’assistance ni d’assurance... Sa situation a été le fait de l’homme - et Khalil est loin d’être le seul dans ce cas.
Encore traumatisé, il se souvient d’un de ses amis déchiqueté par un missile israélien qui avait frappé son quartier.
Naturellement, ce sont des choses qu’il aimerait mieux oublier, mais il ne le peut pas. Parce que du fait du blocus d’Israël, peu de moyens sont disponibles pour l’aider à faire face à son traumatisme et aller de l’avant dans la vie.
Les histoires des enfants sont difficiles à entendre, bien sûr. Mais comme tout parent le sait, la douleur des enfants est vécue deux fois de plus par ceux qui sont responsables de leur bien-être. L’amour seul peut aller aussi loin.
La frustration des parents
Abu Abdullah de Rafah exprime la douleur de la plupart des parents à Gaza : l’incapacité à protéger leurs enfants. Son épouse se sent malheureuse parce qu’elle ne peut les réconforter. Les enfants plus jeunes, âgés de 10, 7 et 4 ans, font pipi au lit et elle se sent impuissante à calmer leurs craintes. « C’est comme un cancer, vous ne pouvez pas le contrôler ou l’arrêter », dit Umm Abdullah.
Pensif, Abou Abdallah est assis sur le perron de sa maison à regarder ses enfants jouer « aux Arabes et aux Israéliens », la version pour les territoires occupés « des Cowboys et les Indiens » ou « Gendarmes et Voleurs ». Dans le rôle d’un soldat, son fils aîné Abdullah, pointe une arme-jouet en plastique, d’origine chinoise, sur la tête de son frère. « Je vais te tuer tout de suite », dit l’adolescent.
Le jeu est populaire chez les enfants qui ont peu de solutions pour canaliser leurs émotions depuis l’opération Plomb durci. Abu Abdullah préfèrerait qu’ils jouent au football, mais ce jeu reflète la réalité de leur vie et il donne à ses enfants un certain sentiment de la contrôler.
Son fils Abou Abdullah souffre de cauchemars à cause les bombardements des F-16 israéliens sur son quartier. Dans ses rêves, tous les enfants s’enfuient de la maison ou de l’école. Certains de ses amis sont blessées, d’autres morts, et les sirènes des ambulances hurlent sans cesse dans sa tête. Mais c’est plus qu’un cauchemar : c’est ce qu’il a réellement vu, et il rejoue ces scènes dans sa tête ad nauseam, ce qui le laisse rarement en paix.
Les craintes d’Abdullah ne sont pas imaginaires. Lorsque sa mère l’a envoyé acheter des lentilles à l’épicerie qui est à moins de trois minutes, le garçon est revenu à la maison sans les lentilles mais avec son pantalon trempé d’urine. Interrogé sur les lentilles, Abdullah a commencé à pleurer puis a dit à sa mère avec un tremblement de peur dans la voix que « les drones sont en train de bombarder ».
Les enseignants qui travaillent avec les élèves en situation difficile dans les quartiers des centres-villes à travers le monde, peuvent témoigner des effets de la pauvreté, de la violence, des armes et de la peur sur les enfants contraints par les circonstances à vivre dans ces conditions. Gaza est ce genre de ville par excellence. Ses enfants font face non seulement à des bandes qui se constituent, mais ils doivent aussi supporter les agressions généralement dans le milieu de la nuit, de la quatrième armée au monde. Les effets sur les enfants sont prévisibles : les bagarres et des comportements violents dans les écoles et dans les rues, ont augmenté en fréquence et en intensité selon les psychologues qui visitent les écoles de Gaza.
La psychologue Zahia Al Qarra qui travaille pour le Community Mental Health Program(GCMHP) affirme que 79,9% des enfants se sentent dans une grande prison. Et 79,3% disent ne pas avoir accès à ce dont ils ont besoin ou envie.
Selon une étude récente du GCMHP, 20% des enfants de Gaza souffrent de stress post-traumatiques [SSPT], et d’autres 13% reçoivent un diagnostic de dépression. Dans les écoles de l’UNRWA dans Gaza, où l’alphabétisation et les normes sont généralement élevés, 9000 élèves du primaire sont en échec scolaire et ont échoué aux examens de fin d’année.
Un autre psychiatre du GCMHP confirme que les cas de maladie, des problèmes comportementaux et de traumatismes psychologiques se sont multipliés chez les enfants de Gaza, citant l’augmentation des comportements autistiques, l’énurésie, la succion du pouce, le rongement des ongles, les colères, les flashbacks où ils revivent des scènes de guerre dans leurs propres quartiers, la peur de l’obscurité, l’agoraphobie, la panique au bruit des avions, le désintérêt pour les activités sociales et de groupe... en résumé tous les symptômes du SSPT et de la dépression.
« Ce ne sont pas seulement les enfants », dit Abu Diaa, père de sept enfants. « C’est aussi nous, les adultes qui avons besoin d’un soutien psychologique. »
Comme la plupart des parents dans la bande de Gaza, Abu Diaa - dont le seul revenu est une pension d’invalidité suite à une blessure reçue en 2003 - se préoccupe constamment de trouver de la nourriture et des vêtements pour ses enfants.
« Il s’agit de deux différents types de traumatismes, » explique Abu Diaa, « vivre dans la crainte d’attaques, et en même temps s’inquiéter parce que l’on a pas d’emploi pour mettre sa famille à l’abri du besoin. »
Les psychiatres et les médecins généralistes dans Gaza observent que les parents ne réalisent souvent pas à quel point leurs enfants sont traumatisés. Beaucoup essaient de faire face à leur propre douleur et à leur propre stress et souvent négligent ou suivent avec retard un traitement. Ajoutez à cela la stigmatisation sur la recherche de traitement psychologique pour eux-mêmes ou leurs enfants... La société palestinienne et arabe n’aiment pas tout ce qui ressemble à de la victimisation, et demander de l’aide est souvent assimilé à l’admission d’impuissance et que l’on est donc une victime. Le directeur du GCMHP, Dr. Ahmed Abu Tawahinah, note que quand un patient consulte un médecin, il ne dit jamais qu’il est déprimé ou qu’il souffre de SSPT. « Au contraire, il va dire quelque chose comme : ’J’ai un mal de tête’. »
Une société sous stress
Les effets physiques et psychologiques de la situation désastreuse dans Gaza sont omniprésents. Selon Al Qarra du GCMHP, les divorces ont augmenté, souvent à cause de la pauvreté. Lorsque les parents sont incapables de s’occuper de leurs enfants en raison de leur propre traumatisme, ajoute-t-elle, un nombre croissant d’enfants sont forcés de quitter la maison ou de s’enfuir. Ils se retrouvent dans la rue, fouillant dans les poubelles pour trouver quelques petites choses à vendre pour faire un peu d’argent ou pouvoir manger. Des incidents liés à de la violence sexuelle, ce qui n’existait quasiment pas dans la bande de Gaza, sont également signalés.
En septembre dernier, 20 mois après la guerre d’Israël contre Gaza, le Dr Jamil Al Tahrawi - un professeur d’université spécialisé en psychologie sociale - a décidé d’analyser les créations artistiques des enfants à Gaza pour tenter d’évaluer la profondeur de leur traumatisme psychologique. Il a demandé à 455 enfants de dessiner ce qu’ils voulaient. Plus de 82,3% ont été attiré par des images directement liées aux attaques israéliennes sur Gaza. Certains de ces dessins montrent des combattants de la résistance palestinienne, des soldats israéliens, des chars, des bulldozers, des ambulances, des hélicoptères, des F-16 et drones israéliens [avions sans pilote].
Les enfants ont surtout utilisé des couleurs claires dans leurs dessins, en évitant les couleurs foncées comme s’ils en avaient peur. Le Dr. Al Tahrawi et d’autres médecins à Gaza y ont trouvé une indication claire, d’après les dessins, d’un traumatisme lié à des crimes de guerre similaires à ceux mentionnés dans le rapport du juge Richard Goldstone, pour le Conseil [des Nations Unies] des droits de l’homme. En effet, le Dr Al Tawahiha confie que tous les 1,6 million d’habitants de Gaza sont traumatisés dans une certaine mesure, « dont moi-même ».
Comme Israël poursuit ses attaques sur Gaza, le cauchemar continue pour Abdullah et tous les habitants du territoire sous blocus. Presque deux ans après l’opération Plomb Durci, Abdullah a encore peur de s’endormir, peur de jouer et peur de marcher jusqu’à l’école dans la journée, même avec son père à ses côtés. On ne peut que deviner les effets à long terme sur les plans physiques, émotionnels et intellectuels qu’auront sur sa vie et sur celles de millions d’autres Palestiniens l’occupation israélienne permanente et le blocus sur Gaza. Une chose est certaine : tous les Palestiniens sont affectés.
Photo : Après la guerre lancée par Israël en décembre 2009 et janvier 2010, les enfants de Gaza qui retournés sur les bancs des écoles ont marqué la présence de leurs camarades assassinés en posant leurs noms aux places à présent vides - Photo : AP
* Mohammed Omer a collaboré à de nombreuses revues et magazines, y compris le Washington Report on Middle East Affairs, Pacifica Radio, Electronic Intifada, The Nation, et Inter Press Service ; il a également fondé le blog Rafah Today. Il a été récompensé du Prix pour le Journalisme 2007 Martha Gellhorn.
Info Palestine
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