lundi 7 mars 2011

Derrière la révolte arabe, un mot que nous n’osons pas prononcer (Truth Out)

John PILGER

Désormais, l’ennemi a un nom.

Peu après l’invasion de l’Irak en 2003, j’ai interviewé Ray McGOvern, un des officiers du groupe d’élite de la CIA qui préparait le rapport quotidien des services de renseignement pour le Président. McGovern se trouvait au coeur du monolithe de la « sécurité nationale » que constitue le pouvoir américain et a pris sa retraite avec les félicitations du président.

La veille de l’invasion, lui et 45 autres officiers supérieurs de la CIA et d’autres services de renseignement ont écrit au Président George W. Bush pour dire que les « tambours de la guerre » étaient basés sur des mensonges et non des renseignements.

« C’était du bidon à 95%, » m’a dit McGovern.

« Comment ont-ils fait pour s’en tirer ? » lui ai-je demandé.

« C’est la presse qui a permis aux cinglés de s’en tirer ».

« Qui sont les cinglés ? »

« Les gens de l’administration Bush ont des croyances assez proches de celles exprimées dans « Mein Kampf » », a dit McGovern. « Ce sont ces personnes qui, dans les milieux du sommet que je fréquentais, étaient qualifiés de « cinglés » ».

J’ai dit : « Norman Mailer a écrit qu’il pensait que l’Amérique était entrée dans un état pré-fasciste. Qu’en pensez-vous ? »

« Eh bien, j’espère qu’il a raison, parce qu’il y en a d’autres qui disent que nous y sommes déjà. »

Le 22 janvier 2011, McGovern m’a envoyé un courrier électronique pour me faire part de son dégoût soulevé par le traitement barbare infligé par l’administration Obama au lanceur d’alerte Bradley Manning et les poursuites contre le fondateur de Wikileaks, Julian Assange.

« À l’époque, lorsque George et Tony [Blair] ont décidé que ça pouvait être amusant d’attaquer l’Irak, » a-t-il écrit, « j’ai dit quelque chose comme le fascisme avait déjà commencé ici. J’avoue que je ne pensais pas que les choses allaient empirer à ce point et aussi rapidement. »

Le 16 février, le Secrétaire d’État Hillary Clinton a prononcé un discours à l’Université George Washington où elle condamnait les gouvernements qui arrêtaient les manifestants et réprimaient la liberté d’expression. Elle a loué le pouvoir libérateur de l’Internet, tout en évitant de dire que son gouvernement prévoyait de fermer les parties d’Internet qui encourageaient la dissidence et la diffusion de la vérité. Ce fut un discours d’une hypocrisie spectaculaire, et McGovern se trouvait parmi le public. Scandalisé, il s’est levé de sa chaise et, en silence, a tourné le dos à Clinton. Il fut immédiatement saisi par la police et l’agent de sécurité et battu au sol, traîné dehors et jeté, ensanglanté, en prison. Il m’a envoyé des photos de ses blessures. Il a 71 ans. L’agression s’est déroulée sous les yeux de Clinton qui n’a pas interrompu son discours.

Le Fascisme est un mot difficile à prononcer, parce qu’il colporte toute l’imagerie autour du Nazisme et il est souvent employé à tort contre les ennemis officiels de l’Amérique et pour promouvoir les aventures militaires occidentales avec le recours d’un vocabulaire issu de la lutte contre Hitler. Et pourtant, le fascisme et l’impérialisme sont jumeaux.

Au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, ceux qui dans les états impérialistes avaient donné leurs lettres de noblesse à la supériorité raciale et culturelle de la « civilisation occidentale » ont découvert que Hitler et le fascisme avaient employé des méthodes nauséabondes étonnement similaires aux leurs. Du coup, la notion même d’impérialisme américain fut rayée des livres d’histoire et la culture populaire d’une nation impériale forgée dans la conquête génocidaire des peuples indigènes et une guerre contre la justice sociale et la démocratie fut rebaptisée « la politique étrangère des États-Unis ».

Comme l’historien William Blum l’a écrit, depuis 1945, les États-Unis ont détruit ou subverti plus de 50 gouvernements, dont bon nombre de démocraties, et ont fait appel à des meurtriers en masse tels que Suharto, Mobutu et Pinochet pour jouer les sous-traitants. Au Moyen orient, chaque dictature et pseudo-monarchie a été soutenue par les États-Unis. Dans « Opération Cyclone », la CIA et MI6 ont secrètement fomenté et financé l’extrémisme islamique. L’objectif était d’écraser le nationalisme et la démocratie. La majorité des victimes du terrorisme d’état occidental ont été des musulmans. Les gens courageux qui ont été abattus la semaine dernière à Bahrein et en Libye (cette dernière étant « un marché britannique prioritaire » selon les « fournisseurs » d’armes officiels britanniques) ont rejoint les enfants de Gaza explosés en morceaux grâce au dernier modèle d’avion de chasse américain F-16.

La révolte dans le monde arabe n’est pas dirigée uniquement contre un dictateur local, mais aussi contre la tyrannie économique mondiale concoctée par le Département du Trésor US et imposée par l’Agence pour le développement international US (USAID), le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale, qui ont pris soin de réduire des pays comme l’Égypte en de vastes « usines à sueur » où la moitié de la population gagne moins de 2 dollars par jour. Le triomphe du peuple égyptien fut le premier coup porté contre ce que Benito Mussolini appelait le Corporatisme, un mot qui apparaît dans sa définition du fascisme.

Comment l’Occident libéral est-t-il tombé dans un tel extrémisme ? « Il est nécessaire de détruire l’espoir, l’idéalisme, la solidarité, la préoccupation pour les pauvres et les opprimés, » observa Noam Chomsky il y a vingt ans, et « remplacer ces sentiments dangereux par l’égoisme, un cynisme omniprésent qui prétend que... l’ordre capitaliste d’état avec ses inégalités et oppression inhérents est le mieux que l’on puisse faire. En fait, une campagne de propagande internationale massive se déroule pour convaincre les gens – particulièrement les jeunes – que ceci est non seulement ce ils doivent penser mais que c’est en fait exactement ce qu’ils pensent. »

Comme les révolutions européennes de 1848 et le soulèvement contre le Stalinisme en 1989, la révolte arabe s’est débarrassée de la peur. Aux États-Unis, où 45 pour cent des jeunes Afro-américains sont sans emploi et les gestionnaires de « hedge funds » les mieux payés touchent en moyenne un milliard de dollars par an, les manifestations massives contre les coupes budgétaires et les suppressions d’emploi se sont répandues dans les états du centre tels le Wisconsin. En Grande-Bretagne, le mouvement de protestation en plein essor, UK Uncut, se prépare à engager des actions directes contre ceux coupables d’évasions fiscales et les banques voraces.

Quelque chose a changé, définitivement. Désormais, l’ennemi a un nom.

John Pilger

http://www.truth-out.org/behind-ara...

Traduction "on pourrait commencer par faire des listes" par VD avec probablement les fautes et coquilles habituelles

Le Grand Soir

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